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Rappels utiles sur la distinction entre bande organisée et association de malfaiteurs

L’intérêt de cet arrêt de cassation partielle est de répondre à une question pratique importante : à quelles conditions est-il possible de poursuivre et de condamner cumulativement un même individu pour escroquerie en bande organisée et association de malfaiteurs ?

par Dorothée Goetzle 28 mai 2018

Entre l’infraction d’association de malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée, la ressemblance est frappante. En effet, l’article 132-71 du code pénal dispose que « constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions ». L’article 450-1 du code pénal souligne quant à lui que « constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». Pourtant, en dépit de cette ressemblance, il est essentiel de savoir quel est le critère distinctif entre la bande organisée et l’association de malfaiteurs. En pratique, deux hypothèses peuvent se présenter, selon que ces textes s’appliquent alternativement ou cumulativement. Sur l’application alternative de la bande organisée ou de l’association de malfaiteurs, la chambre criminelle a déjà précisé que la seule constitution d’une équipe de plusieurs malfaiteurs ne peut suffire à qualifier la bande organisée, dès lors que cette équipe ne répond pas au critère supplémentaire de structure existant depuis un certain temps (Crim. 8 juill. 2015, n° 14-88.329, Dalloz actualité, 31 août 2015, obs. C. Benelli-de Bénazé , note R. Parizot ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2016. 141, obs. C. Porteron ). L’arrêt rapporté présente l’intérêt de se positionner sur les conditions à réunir pour pouvoir poursuivre cumulativement un même individu des chefs d’escroquerie commise en bande organisée et d’association de malfaiteurs.

En l’espèce, onze individus étaient poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef notamment d’escroquerie en bande organisée. Il leur était reproché d’avoir obtenu une diminution de TVA en donnant l’apparence de livraisons intracommunautaires entre plusieurs sociétés françaises et diverses sociétés de droit belge, luxembourgeois, espagnol ou portugais, à des ventes à grande échelle de cartes téléphoniques prépayées d’opérateurs français à des sociétés qui étaient en réalité situées sur le territoire national. Ils étaient également poursuivis pour des faits d’association de malfaiteurs, commis dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, ayant consisté, en vue de la commission du délit d’escroquerie en bande organisée, en l’organisation de rendez-vous, la constitution de sociétés fictives en France et à l’étranger ou encore l’établissement de faux documents. Trois des onze prévenus relevaient appel de la décision du tribunal correctionnel et formaient ensuite un pourvoi en cassation. Les juges du fond avaient en effet renvoyé deux des prévenus des fins de la poursuite pour association de malfaiteurs et étaient entrés pour le surplus en voie de condamnation à l’encontre des trois requérants. Ils avaient évalué à 6 164 310 € le montant du préjudice de l’Etat français au titre de l’impôt dont le paiement avait été éludé.

Dans le premier moyen, qui est écarté par la chambre criminelle, une des requérantes conteste sa déclaration de culpabilité du chef d’escroquerie en bande organisée. La chambre criminelle approuve la cour d’appel de l’avoir condamnée de ce chef en soulignant que « la déclaration frauduleuse d’opérations non imposables au titre de la TVA, lorsque cette déclaration est acceptée par l’administration, vaut décharge au sens des dispositions de l’article 313-1 du code pénal ». Ensuite, sur la bande organisée, la chambre criminelle rappelle les éléments constitutifs traditionnels de cette circonstance aggravante en soulignant qu’en l’espèce, l’escroquerie avait été conçue et mise en place par plusieurs individus qui s’étaient concertés. Elle en déduisait que l’infraction avait été préméditée et, selon la formule consacrée, « commise au moyen d’une organisation structurée » (Crim. 11 janv. 2017, n° 16-80.610, Dalloz actualité, 25 janv. 2017, obs. D. Goetz ). La suite du raisonnement de la Cour de cassation est particulièrement intéressante, car la chambre criminelle en profite pour ajouter qu’il n’est pas indispensable, pour caractériser la bande organisée, que les fonctions nécessaires à la mise en œuvre du mode opératoire aient été exercées par les mêmes personnes pendant toute la période de commission des faits poursuivis. Cette précieuse remarque met en relief une particularité de la bande organisée, à savoir qu’il s’agit d’une circonstance aggravante réelle qui ne nécessite pas de démontrer la participation continuelle à l’organisation de l’opération (Crim. 15 sept. 2004, n° 04-84.143, D. 2004. 2765 ).

Le moyen suivant, également écarté par la chambre criminelle, se concentre sur l’évaluation du préjudice subi par l’État français. Les hauts magistrats approuvent les juges du fond d’avoir considéré que l’État, en ce qu’il a subi un préjudice, était recevable en sa demande de dommages et intérêts à l’encontre des auteurs d’infractions pénales quand bien même il exercerait parallèlement une action en recouvrement de la taxe fraudée. En d’autres termes, « l’action en réparation du dommage résultant du délit d’escroquerie à la TVA est distincte de l’action en recouvrement de la taxe fraudée dans le cadre d’une procédure fiscale ».

Le dernier moyen est à l’origine de la cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel. Le requérant reprochait aux juges du fond de l’avoir déclaré coupable des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement et de l’avoir condamné à un emprisonnement délictuel de quinze mois avec sursis. L’argument de l’intéressé consistait à relever qu’il était également condamné du chef d’escroquerie en bande organisée pour avoir joué un rôle de transporteur de fonds. Les juges du fond avaient justifié cette condamnation en soulignant qu’il connaissait parfaitement son importance dans le schéma frauduleux mis en place. En outre, ils avaient relevé sa participation active au processus frauduleux, notamment en s’entendant avec les principaux organisateurs avec lesquels il agissait en totale confiance et en confectionnant des factures fictives nécessaires à la réalisation de l’escroquerie. Après avoir visé le principe ne bis in idem, la chambre criminelle rappelle le principe suivant : « des faits qui procèdent d’une manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent être retenus comme élément constitutif d’une infraction et circonstance aggravante d’une autre infraction » (D. 2015. 2541, obs. R. Parizot ). En l’espèce, la chambre criminelle considère que, pour déclarer le prévenu coupable d’escroquerie en bande organisée, les juges du fond ne pouvaient pas retenir des faits constitutifs d’association de malfaiteurs indissociables de ceux caractérisant la bande organisée.