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Rappels utiles sur la responsabilité des membres de l’enseignement public

Lorsque la responsabilité d’un membre de l’enseignement public se trouve engagée à la suite d’un fait dommageable commis au détriment des élèves qui lui sont confiés, la responsabilité de l’État est substituée à celle de l’enseignant.

par Dorothée Goetzle 20 novembre 2017

Une enseignante d’une classe de petite section de maternelle était poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de violences physiques ou morales sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité sur ces enfants âgés de trois à quatre ans. Les juges du premier degré l’avaient renvoyée des fins de la poursuite. Dans un arrêt infirmatif, les seconds juges l’avaient déclarée coupable de violences n’ayant entraîné aucune ITT. Ce choix était notamment motivé par plusieurs témoignages parfaitement concordants et circonstanciés qui relataient les propos dévalorisants tenus par l’enseignante à l’égard de certains de ses élèves. De plus, l’institutrice, qui s’emportait souvent, malmenait physiquement les élèves en les tirant par les bras ou leurs vêtements, en leur donnant des tapes sur la tête et en les « balançant » dans le couloir, dans le noir, à titre de punition. Les témoignages avaient permis de recenser plusieurs scènes de hurlements et de brimades physiques. En particulier, l’enseignante avait donné une gifle à l’un de ses élèves, ce qui était confirmé par un certificat médical. En outre, la prévenue reconnaissait les faits tout en tentant de minimiser la portée de son geste.  

Compte tenu de tous ces éléments, les seconds juges soulignaient le comportement inadapté de la prévenue à l’égard de ces jeunes enfants. Ils relevaient que par ses répétitions, ce comportement avait nécessairement généré pour les enfants, même en l’absence de tout contact physique, un sentiment d’angoisse face à leur maîtresse. En conséquence, pour les seconds juges, les douze enfants composant la classe de l’enseignante avaient subi un trouble émotionnel et/ou psychologique assez intense pour caractériser le délit de violences sans incapacité de travail. Parmi ces douze enfants, certains avaient été des victimes directes, d’autres avaient subi ce trouble émotionnel et/ou psychologique en qualité de témoins de ces faits répétés. 

La chambre criminelle approuve l’entrée en voie de condamnation en relevant que les violences physiques, psychologiques ou verbales dont l’enseignante a été déclarée coupable « excédaient le pouvoir disciplinaire dont disposent les enseignants ». Toutefois, il n’échappe pas aux Hauts magistrats que selon l’article 593 du code de procédure pénale tout jugement ou arrêt doit être motivé et que l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence. Or, la chambre criminelle relève que deux des mineurs concernés n’ont pas été frappés et n’ont eu « aucun souci particulier ». Dès lors, la question est de savoir si le fait d’avoir été témoin de ces faits répétés avait ipso facto généré un trouble émotionnel ou psychologique permettant de caractériser le délit de violences physiques ou psychologiques. Pour la Cour de cassation, la réponse est non. La chambre criminelle considère en effet que ces deux mineurs n’ont pas été directement l’objet de violences physiques ou psychologiques. Les concernant, l’infraction n’est donc pas caractérisée.

Parallèlement, pour échapper à la condamnation civile, l’enseignante invoquait devant la chambre criminelle l’article L. 911-4 du code de l’éducation. La prévenue relève en effet que les règles de compétence des juridictions sont d’ordre public et peuvent être invoquées à tous les stades de la procédure. Elle précise que selon l’alinéa 1er de ce texte, lorsque la responsabilité d’un membre de l’enseignement public se trouve engagée à la suite d’un fait dommageable commis au détriment des élèves qui lui sont confiés, la responsabilité de l’État est substituée à celle de l’enseignant qui ne peut jamais être mise en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants.  Sans surprise, la chambre criminelle approuve ce raisonnement. Après avoir rappelé le sens de cette disposition, les Hauts magistrats soulignent qu’en condamnant la prévenue à payer des dommages-intérêts aux parties civiles, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée de l’article L. 911-4 du code de l’éducation. 

Ce choix est logique. En effet, cette disposition substitue à la responsabilité des membres de l’enseignement public celle de l’État dont seuls les tribunaux civils peuvent connaître. Ce faisant, il s’agit d’une exception législative au principe de séparation des autorités administrative et judiciaire posé par la loi des 16 et 24 août 1790. La distinction classique faite en droit administratif entre faute de service et faute personnelle est ici inopérante. Ainsi, la faute de l’instituteur qui engage l’État peut aussi bien être une faute de service qu’une faute personnelle (T. confl. 31 oct. 1950, Dlle Gavillet). Il peut également s’agir, comme c’est le cas en l’espèce, d’une faute pénale entraînant la poursuite personnelle de l’enseignante devant le juge répressif. En conséquence, en vertu de l’article L. 911-4 du code de l’éducation, l’enseignante n’aurait pas dû être condamnée civilement par la juridiction pénale à indemniser le préjudice subi par les jeunes enfants.  Il faut toutefois préciser que si l’État est condamné à indemniser les victimes, il peut toujours introduire une action récursoire contre le membre de l’enseignement public afin d’obtenir le remboursement des sommes versées (CE 13 juill. 2007, n° 297390, Ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche c/ Kruger, Lebon ; AJDA 2007. 1437 ; AJFP 2008. 30, et les obs. ). 

L’intérêt de cet arrêt est de rappeler l’interdiction faite au juge pénal de se prononcer sur d’éventuelles réparations dues par l’enseignante, celle-ci étant civilement irresponsable. Bien entendu, la juridiction répressive demeure toujours valablement saisie de l’action civile en ce qu’elle « tend seulement à établir la culpabilité du prévenu ». Ce faisant, cet arrêt rappelle une nouvelle fois que l’action civile est une sorte d’hydre à deux têtes, avec à la fois une face vindicative et une face réparatrice, mais qui, en l’espèce, doit être exercée non contre l’enseignante civilement irresponsable mais contre l’État, qui se substitue à elle (C. Ambroise-Castérot, Responsabilité pénale des enseignants et dissociation de l’action civile, D. 2007. 187 ; M. Hunter-Hénin, La responsabilité des instituteurs : un îlot de subjectivité au sein du droit de la responsabilité pour fait d’autrui, D. 2002. 1517 ).