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Le rapport au CCSF sur l’assurance de prêt : ou comment susciter la tension

Deux vues contraires traversent le marché français de l’assurance emprunteur (ou assurance de prêt) : selon les uns, il est un modèle d’équilibre concurrentiel et de respect des droits des consommateurs. Selon les autres : la concurrence est faussée et les droits des consommateurs ne sont pas respectés. Publiant le rapport prévu par la loi n° 2022-270 du 28 février 2022, « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur », le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) contribue à la défense ardente de la première analyse. En occultant de la sorte la réalité d’un débat profondément installé, le CCSF s’affranchit de la mission que lui assigne la loi. La liberté des assurés en assurance emprunteur n’est pas effective en France. Et l’une des éminentes instances chargées de veiller aux relations entre les établissements agréés et leurs clientèles se désintéresse de cette carence. Cette posture d’ignorance des droits des consommateurs alimente le durcissement des tensions. Elle appelle inévitablement des réponses législatives plus dures, envers les prêteurs qui imposent des assurances de prêt aux assurés.

Un bilan célébrant le succès d’une loi dont l’échec est pourtant manifeste en matière de liberté de choix d’assurance par l’assuré

Le CCSF reçoit pour mission « […] d’étudier les questions liées aux relations entre, d’une part, les établissements [agréés, dont] les entreprises d’assurance et, d’autre part, leurs clientèles respectives, et de proposer toutes mesures appropriées dans ce domaine, notamment sous forme d’avis ou de recommandations d’ordre général » (C. mon. fin., art. L. 614-1). Il lui incombe donc d’identifier les difficultés « relationnelles » entre ces établissements et leurs clients ; et d’y répondre, par des propositions ajustées. Installé depuis 2004 (Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, art. 22), il forme une instance originale, dans laquelle, en pratique, les représentants des établissements agréés, ainsi que ceux des intermédiaires bancaires et d’assurance, dialoguent avec ceux des associations de consommateurs, sous le regard des pouvoirs publics, d’universitaires et de parlementaires. Une telle configuration peut susciter des résultats. Manifestement pas en matière d’assurance de prêt.

Le CCSF a publié son « Bilan de l’assurance emprunteur - 2023 », le 15 janvier 2024. La loi confie au CCSF le soin d’examiner « […] les conséquences tant pour les assureurs que pour les assurés de la mise en œuvre de la résiliation du contrat d’assurance à tout moment et de la suppression du questionnaire de santé » deux des principales mesures législatives, avec l’abaissement à cinq années du « droit à l’oubli » au bénéfice des personnes affectées de maladies lourdes. S’agissant de la substitution d’assurance de prêt, deux des objectifs du rapport publié par le CCSF consistent à évaluer « l’impact de la loi sur la segmentation tarifaire et la mutualisation » et à mesurer « l’évolution des tarifs et le niveau des garanties proposées aux emprunteurs. » (Rapp. CCSF, p. 3).

Le droit de substitution, à tout moment, de l’assurance de prêt (C. consom., art. L. 113-29) par un autre contrat d’assurance emprunteur aux garanties équivalentes (C. assur., art. L. 113-12-2) ou « résiliation infra annuelle » illustre l’esprit de dépit qui inspire la loi n° 2022-270 du 28 février 2022. Au lieu d’identifier les causes qui, manifestement, nuisent à la liberté de choix de cette assurance lors de la souscription du prêt, pour y remédier, la loi se dérobe et consacre l’imposition d’une assurance de prêt par le prêteur comme une fatalité. Elle se concentre sur les échappatoires à cette situation détrimentaire à l’assuré.

Rappelons, en termes vulgaires, l’immense anomalie qui traverse le marché de l’assurance emprunteur français : pratiquement neuf contrats sur dix sont vendus près de deux fois plus chers aux emprunteurs, avec des garanties souvent minimales. L’origine de ce résultat économique inusuel s’explique fort aisément : par les pratiques commerciales déloyales (C. consom., art. L. 121-1) et agressives (C. consom., art. L. 121-6, 1°) utilisées par les établissements de crédit agréés. Lors de la souscription des prêts, les prêteurs imposent le placement de l’assurance emprunteur de groupe. Le prix de cette dernière est bien plus élevé pour l’assuré que ceux d’assurances de prêt concurrentes. Faute de contrôle adapté, les méthodes de vente des prêteurs inhibent le jeu concurrentiel et nuisent aux assurés.

Le rapport remis par le CCSF confirme, sans exégèse, cette situation de privation de la liberté de choix de l’assuré lors de l’octroi de prêt : 77 % des nouveaux contrats d’assurance emprunteur sont des contrats de groupe, proposés par les prêteurs (Rapp. CCSF, p. 15). Le constat est, une nouvelle fois, indiscutable. Son explication se fait attendre. Surtout, la part des assurances de prêt en délégation chute, de 9,3 % à 7,5 % de la production de nouveaux contrats (Rapp. CCSF, p. 19). Dans le stock des contrats la part d’assurance de prêt externe aux prêteurs bouge de manière millimétrique : elle passe de 15,3 % en 2021 à 16 % en mai 2023. La liberté de choix de l’assurance n’a pas progressé.

Le rapport du CCSF observe le vif développement de la substitution d’assurance, au moyen d’une donnée sans grand intérêt : le nombre de demandes de substitutions formulées en deux semestres, comparées à celles de l’année 2021. Il est vrai que la configuration du marché ne pouvait laisser espérer d’autre résultat que l’accroissement des demandes de substitution. Ce n’est pas un indicateur pertinent. Ce quasi « doublement » s’avère ridicule en regard des enjeux mentionnés. Le rapport du CCSF souligne que le mouvement de substitution ne profiterait pas « au...

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