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Rapport judiciaire se fondant sur un rapport officieux : nullité… si grief

À peine de nullité, pour vice de forme, supposant de démontrer l’existence d’un grief, l’expert doit accomplir personnellement la mission qui lui est confiée. N’est affecté d’aucune irrégularité de nature à entraîner la nullité le rapport d’expertise lorsque l’expert a examiné, avec les parties, des documents annexés à un rapport d’expertise officieux non contradictoire, dès lors que la partie a pu y répondre, ce qui exclut tout grief.

Dans le cadre d’un litige opposant un locataire à son bailleur, et relatif à la résiliation du bail aux torts de ce dernier, une expertise est ordonnée en référé.

Ne pouvant, pour des raisons météorologiques, accéder au toit de l’immeuble pour constater les désordres, l’expert avait examiné, avec les parties, les documents photographiques annexés à un précédent rapport d’expertise, officieux et non-contradictoire.

Le bailleur s’était prévalu de la nullité de ce rapport d’expertise judiciaire, au motif que l’expert n’avait pas rempli personnellement sa mission, en violation de l’article 233 du code de procédure civile.

La cour d’appel d’Agen ne l’avait pas suivi, et le bailleur n’obtiendra pas une meilleure écoute devant la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.

Le rapport d’expertise judiciaire à l’épreuve de la nullité pour vice de forme

La Cour de cassation nous dit que « les irrégularités affectant le déroulement des opérations d’expertise (…) sont sanctionnées selon les dispositions de l’article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure, et notamment aux irrégularités de forme de l’article 114 du code de procédure civile ».

Cela mérite quelques explications, car c’est une nullité soumise à un régime un peu différent des nullités des actes de procédure.

L’irrégularité des opérations d’expertise relève du régime des exceptions de procédure, mais sans pour autant être une exception de procédure, comme nous l’a précisé la Cour de cassation (Civ. 2e, 31 janv. 2013, n° 10-16.910 P, D. 2013. 372 ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero ; JCP 2013. 263, note X. Vuitton ; Gaz. Pal. 24-25 mai 2013, p. 27, note Amrani Mekki ; Procédures 2013. Chron. 2, obs. Raschel ; ibid. n° 98, note Perrot ; Dr. et pr. 2013. 55, note Fricero).

En conséquence, et ce rappel ne paraît pas inutile, il n’y a pas lieu de saisir le magistrat de la mise en état en application de l’article 789 du code de procédure civile pour qu’il se prononce sur cette nullité, lequel magistrat de la mise en en état étant déjà bien occupé par ailleurs pour trancher les fins de non-recevoir dont il a hérité.

Et cette nullité présente aussi une particularité, en ce que la sanction pourra être atténuée. En effet, la nullité peut ne pas être intégrale, et ne pas affecter l’ensemble du rapport d’expertise (Civ. 2e, 12 juin 2003, n° 01-13.502 P, D. 2003. 2284 ; Gaz. Pal. 9-10 juill. 2004, p. 13, obs. du Rusquec).

Pour autant, c’est bien le régime des nullités qui régit l’irrégularité.

Et si l’arrêt précité du 31 janvier 2013 pouvait éventuellement laisser entendre le contraire, l’irrégularité, et donc la nullité, devra être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (Civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 12-21.484 P, D. 2014. 1040 ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1231, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre ; AJ fam. 2014. 382, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2014. 936, obs. B. Vareille ; Gaz. Pal. 10-12 août 2014, p. 33, obs. Leducq ; ibid. 9 sept. 2014, p. 11, note Amrani Mekki ; ibid. 14-16 sept. 2014, p. 35, obs. Casey ; LPA 31 mars 2015, p. 10, note Blaringhem-Lévêque; ibid. 8 mai 2015, p. 14, note YildIrim ; 14 nov. 2018, n° 17-28.529 P, Dalloz actualtié, 11 déc. 2018, obs. A. Hacene et M. Kebir). Hors de question, donc, d’invoquer la nullité « en tout état de cause », et la partie devra donc veiller à ne pas couvrir l’irrégularité en présenter des moyens de défense.

Outre cette antériorité, la nullité, en ce qu’elle relève des nullités pour vice de forme – et nous ne voyons pas comment une nullité de rapport d’expertise pourrait être de fond –, obligera la partie à justifier d’un grief.

Il ne suffit pas à la partie de se prévaloir d’une irrégularité, encore faut-il qu’il existe un grief.

Et c’est là certainement la principale difficulté pour espérer obtenir une nullité.

Pas de grief, pas de nullité

L’expert judiciaire n’avait pas pu accéder au toit pour constater de lui-même les désordres allégués.

Pour pallier à cette impossibilité, temporaire puisqu’elle résultait de la météo au moment des opérations d’expertise, l’expert a examiné les documents photographiques annexés à un rapport d’expertise qui non seulement était amiable, mais surtout n’était pas contradictoire.

Tout de suite, nous pensons à ces rapports d’expertise amiables, ou officieux, dont nous connaissons le peu de poids lorsqu’il s’agit d’administrer la preuve.

Si un tel rapport peut effectivement constituer un élément de preuve, encore faut-il qu’il ait été soumis à la discussion (cette fois contradictoire) des parties. Mais surtout, le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur un tel rapport, même si les parties ont pu en discuter (Cass., ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710 P, D. 2012. 2317, et les obs. ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2012. 769, obs. R. Perrot ; RJ com. 2013. 59, obs. V. Vigneau ; Civ. 2e, 7 nov. 2013, n° 12-25.334 P).

C’est au vu d’un tel rapport que le technicien commis a pu établir ses conclusions, et rédiger un rapport d’expertise judiciaire.

En d’autres termes, les documents photographiques, qui jusqu’alors avaient une valeur assez relative, se sont vus accorder le poids accordé à une expertise judiciaire dont on sait que même si elle ne lie pas le juge (C. pr. civ., art. 246), ce dernier a parfois un peu de mal à s’en défaire. Et quiconque part avec un rapport d’expertise défavorable éprouvera le plus grand mal à remonter la pente et à espérer un jugement en sa faveur. Et précisément, la nullité du rapport d’expertise peut permettre cette remontée de pente, d’où l’intérêt de tout mettre en œuvre pour pouvoir utilement invoquer cette nullité.

Il apparaît que l’expert, quant à lui, s’était fondé exclusivement sur cette seule expertise amiable, non contradictoire, pour constater la réalité des désordres. Ce que le juge ne pouvait faire, l’expert le pouvait. Ce procédé revient tout de même à donner une force particulière à un rapport officieux qui jusqu’alors ne valait pas grand-chose devant une juridiction.

Mais voilà, il se trouve que ces documents avaient été examinées avec les parties. Il a donc été soumis à la libre discussion des parties… tout comme l’est le rapport officieux communiqué dans le cadre d’un litige, et qui pourtant ne lui confère pas une autorité permettant au juge de se l’approprier de manière exclusive.

Mais surtout, et c’est certainement là l’essentiel, la partie n’avait pas contesté cette manière de faire de l’expert.

Dans son dire, la partie n’avait pas contesté la réalité des désordres constatés par l’expert avec ces documents photographiques.

En conséquence, en l’absence de contestation de la part de la partie, celle-ci ne peut arguer d’un grief.

Au regard de cet arrêt, il en ressort que la partie aurait dû anticiper cette nullité, et contester le procédé lors des opérations d’expertise. La partie aurait dû refuser que l’expert se fonde sur des éléments d’un rapport officieux.

Ne l’ayant pas fait, et n’ayant pas exigé par exemple de l’expert qu’il revienne aux beaux jours pour accéder au toit, la partie s’était privée de la possibilité de se prévaloir ultérieurement d’une nullité au motif que l’expert n’avait pas accompli personnellement sa mission.

Et pourtant, il n’était pas abusif de soutenir que l’expert n’avait pas satisfait aux dispositions de l’article 233 du code de procédure civile.

Au demeurant, la Cour de cassation ne dit pas l’inverse. Elle ne dit pas que l’expert peut, de cette manière, transformer tout ou partie d’un rapport officieux en un rapport d’expertise judiciaire.

Mais si personne ne le conteste en temps utile, la partie devra se taire à jamais, sans pouvoir arguer d’une quelconque nullité qui autrement avait probablement des chances de prospérer, dès l’instant où il n’est pas discutable que l’expert n’a pas constaté de lui-même la réalité des désordres, faut d’être monté sur le toit (v. pour la nullité d’un rapport alors que l’expert a renvoyé les parties à un rapport concernant la cause des désordres, Civ. 2e, 11 janv. 1995, n° 93-14.697 P).

Il appartient donc aux parties d’être vigilante, lorsque l’expert entend se fonder sur des éléments provenant d’une expertise officieuse, surtout lorsque les conclusions de ce rapport sont contestées.

La nullité du rapport se prépare dès le déroulement des opérations d’expertise.