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Ratification du protocole sur le droit de participer aux affaires des collectivités locales

La loi n° 2020-43 du 27 janvier 2020 a autorisé la ratification du protocole additionnel de la Charte européenne de l’autonomie locale sur le droit de participer aux affaires des collectivités locales : l’occasion de revenir sur ce texte, plus de dix ans après son adoption, alors que les élections municipales se dérouleront les 15 et 22 mars prochains. 

par Charlotte Collinle 14 février 2020

Il a donc fallu plus d’une décennie à la France pour voter la ratification du Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale sur le droit de participer aux affaires locales (projet de loi adopté par le Sénat le 28 mars 2019 et par l’Assemblée le 16 janv. 2020, sans modification, et publié au JO du 28 janv. 2020, Dalloz actualité, 22 janv. 2020, obs. E. Benoit). Ce texte, qui s’ajoute à la Charte européenne de l’autonomie locale, a été adopté à Utrecht le 19 novembre 2009. En adoptant la loi n° 2020-43, la France devient le 20e État membre du Conseil de l’Europe à le ratifier. 

Une reconnaissance de la démocratie territoriale : la consécration du droit de participer à la gestion des affaires publiques

Fruit d’une réflexion qui a duré plus de vingt-cinq ans, la Charte européenne de l’autonomie locale a été ouverte à la signature des États membres du Conseil de l’Europe le 15 octobre 1985 et constitue encore aujourd’hui un instrument juridique unique de promotion et de protection de l’autonomie locale (F. Durand, Le 30e anniversaire de la charte européenne de l’autonomie locale, AJDA 2015. 2313, obs. F. Durand  ; R. Hertzog, La France et la charte européenne de l’autonomie locale, Je t’aime, moi non plus ?,  AJDA 2016. 1551, obs. R. Hertzog ). Le texte est le fruit du travail d’un comité d’experts gouvernementaux, placé sous l’autorité du Comité directeur pour les questions régionales et municipales, sur la base d’un projet présenté par la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, prédécesseur du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Elle impose que l’autonomie locale doit être intégrée dans le droit interne ou dans la Constitution des États membres pour garantir sa mise en œuvre effective. Elle prévoit par ailleurs le fonctionnement démocratique des collectivités ainsi que le principe selon lequel tout transfert de compétences aux collectivités locales doit s’accompagner d’un transfert des ressources financières. La Charte dispose en outre que les élus des collectivités locales doivent bénéficier d’un statut assurant le libre exercice de leur mandat. Enfin, les limites territoriales bénéficient d’un régime protecteur selon lequel aucun changement dans la délimitation territoriale ne peut s’effectuer sans accord de la collectivité locale concernée. Les États s’engagent enfin à respecter un certain nombre de droits fondamentaux tels le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques, le droit des collectivités à l’autonomie, le droit aux élections des organes locaux…

Le Protocole additionnel a, quant à lui, été élaboré par le Comité européen sur la démocratie locale et régionale et a été ouvert à la signature le 16 novembre 2009. Entré en vigueur le 1er juin 2012, il a pour principal objectif de consacrer le droit pour toute personne de participer aux affaires d’une collectivité locale. Comme le préambule de la Charte précédemment, le préambule du présent Protocole rappelle que « le droit de participer à la gestion des affaires publiques fait partie des principes démocratiques communs à tous les États membres du Conseil de l’Europe ». Mais, contrairement à la Charte qui se contentait de cette simple mention, l’article 1 du Protocole prévoit en détail que :

« 1. Les États Parties assurent à toute personne relevant de leur juridiction le droit de participer aux affaires des collectivités locales.
2. Le droit de participer aux affaires d’une collectivité locale désigne le droit de s’efforcer de déterminer ou d’influencer l’exercice des compétences de la collectivité locale.
3. La loi prévoit des mesures qui facilitent l’exercice de ce droit. Sans opérer de discrimination injustifiée à l’égard de quelque personne ou groupe que ce soit, la loi peut prévoir des mesures spécifiques adaptées à certaines situations ou catégories de personnes. En accord avec les obligations constitutionnelles ou internationales de la Partie, la loi peut, notamment, prévoir des mesures spécifiques réservées aux seuls électeurs.
4.1 Chaque Partie reconnaît par la loi à ses citoyens le droit de participer, en qualité d’électeur ou de candidat, à l’élection des membres du conseil ou de l’assemblée de la collectivité locale dans laquelle ils résident.
4.2 La loi reconnaît également ce droit à d’autres personnes pour autant que la Partie en décide ainsi conformément à ses dispositions constitutionnelles ou à ses obligations juridiques internationales.
5.1 Toute formalité, condition ou restriction à l’exercice du droit de participer aux affaires d’une collectivité locale doit être prévue par la loi et être compatible avec les obligations juridiques internationales de la Partie.
5.2 La loi fixe les formalités, conditions et restrictions nécessaires pour garantir que l’intégrité éthique et la transparence de l’exercice des compétences de la collectivité locale ne sont pas compromises par l’exercice du droit de participer.
5.3 Toute autre formalité, condition ou restriction doit être nécessaire au fonctionnement d’un régime politique véritablement démocratique, au maintien de la sécurité publique dans une société démocratique ou au respect par la Partie des exigences de ses obligations juridiques internationales. »

Une telle disposition consacre donc un véritable droit individuel à déterminer ou influencer l’exercice des compétences de la collectivité locale puisqu’elle impose aux États Parties de mettre en place un cadre législatif qui facilite l’exercice de ce droit. Cette garantie est par ailleurs accordée de manière potentiellement large, à toute personne relevant de la juridiction de l’État. La disposition prévoit en effet que l’État a pour obligation de reconnaître ces droits à ses citoyens, mais qu’il peut également en faire bénéficier d’autres personnes. Enfin, le droit de participer aux affaires d’une collectivité locale pourra être assorti de conditions, formalités et restrictions qui devront toutefois être prévues par la loi et compatibles avec les obligations juridiques internationales de la Partie, notamment celles découlant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Précisons par ailleurs que le champ d’application de cette disposition est large. Les collectivités locales auxquelles s’applique le Protocole regroupent « toutes les catégories de collectivités locales existant sur le territoire de la Partie ». La disposition précise toutefois que « chaque État peut, au moment du dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation, désigner les catégories de collectivités locales ou régionales auxquelles il entend limiter le champ d’application ou qu’il entend exclure du champ d’application du présent Protocole. Il peut également inclure d’autres catégories de collectivités locales ou régionales dans le champ d’application du Protocole par voie de notification ultérieure au Secrétaire général du Conseil de l’Europe » (art. 3).

Des mesures de mise en œuvre déjà largement prévues par le droit français

L’article 2 du Protocole prévoit par ailleurs des mesures de mise en œuvre au droit de participer aux affaires des collectivités locales. La disposition précise en effet d’une part, de manière large, que les Parties ont l’obligation d’adopter « les mesures nécessaires afin de permettre l’exercice effectif du droit de participer aux affaires d’une collectivité locale ». Elle précise néanmoins immédiatement que ces mesures doivent prévoir « 2.i. l’habilitation des collectivités locales à permettre, promouvoir et faciliter l’exercice du droit de participer établi dans le présent Protocole ; ii. l’établissement effectif : a) de procédures de participation de la population qui peuvent inclure des procédures de consultation, des référendums locaux et des pétitions, et, lorsque la collectivité locale est fortement peuplée ou géographiquement très étendue, des mesures pour faire participer la population à un niveau proche d’elle, Droit de participer aux affaires des collectivités locales, b) de procédures concernant l’accès, en conformité avec l’ordre constitutionnel et les obligations juridiques internationales de la Partie, aux documents publics détenus par les collectivités locales, c) de mesures de prise en compte des besoins des catégories de personnes qui sont confrontées à des obstacles particuliers à participer, et d) de mécanismes et de procédures en vue du traitement et de la réponse aux réclamations et suggestions concernant le fonctionnement des collectivités locales et des services publics locaux; iii. l’encouragement de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour la promotion et l’exercice du droit de participer énoncé dans ce Protocole ». C’est donc finalement, même si l’énoncé des mesures n’est pas exhaustif, à une obligation assez précise que s’engagent les États membres du Conseil de l’Europe. Pour la France, néanmoins, le régime juridique en la matière ne devrait pas être impacté.

En effet, le principe de subsidiarité a été inclus, en 2003, dans l’article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui déclare : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». D’autres textes, comme la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 ont par ailleurs contribué à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat. La répartition des compétences entre les différents niveaux d’autorités locales a par ailleurs été clarifiée par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République. D’autres outils de démocratie locale ont par ailleurs été mis en place par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003. Il en est ainsi de l’article 72-1, alinéa 1, de la de la Constitution qui prévoit un droit de pétition réservé « aux électeurs de chaque collectivité territoriale » qui leur permet de demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité d’une question relevant de sa compétence. La disposition instaure également le référendum local, qui permet à l’assemblée délibérante d’une collectivité de soumette à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité. En outre, le troisième alinéa de l’article 72-1 permet, sur la base d’une loi, de consulter les électeurs d’une collectivité lorsqu’il est envisagé de créer une collectivité dotée d’un statut particulier ou de modifier soit l’organisation d’une telle collectivité, soit les limites d’une collectivité territoriale. Ces consultations ont valeur de simple avis.

La consultation des électeurs est par ailleurs prévue par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui a introduit dans le code général des collectivités territoriales une nouvelle section « consultation des électeurs » qui rassemble les articles L. 1112-15 à L. 1112-22. Ces articles prévoient en particulier que les « électeurs d’une collectivité territoriale peuvent être consultés sur les décisions que les autorités de cette collectivité envisagent de prendre pour régler les affaires relevant de la compétence de celle-ci. La consultation peut être limitée aux électeurs d’une partie du ressort de la collectivité, pour les affaires intéressant spécialement cette partie de la collectivité » ou encore que « dans une commune, un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales et, dans les autres collectivités territoriales, un dixième des électeurs, peuvent demander à ce que soit inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la collectivité l’organisation d’une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée. (…) La décision d’organiser la consultation appartient à l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale ». Autre exemple encore, l’article L. 2143-1 du code général des collectivités territoriales pour les communes prévoit également la création de conseils de quartier. La loi sur la démocratie de proximité du 27 février 2002 oblige en effet les communes dont la population dépasse 80 000 habitants à s’en doter. Dotés d’un rôle consultatif et de proposition, leur composition et les modalités de leur fonctionnement sont fixées par le conseil municipal.

La ratification du Protocole additionnel a donc probablement plus une portée symbolique que juridique. Il n’en reste pas moins qu’il consacre, pour la première fois, un droit individuel de participer à la gestion des affaires publiques.