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Recel d’apologie du terrorisme : un outil non nécessaire pour prévenir le terrorisme ou un outil de moins ?

Pour le Conseil constitutionnel, le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme porte à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

par Dorothée Goetzle 26 juin 2020

Selon l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Le délit de recel d’apologie d’acte de terrorisme permet, quant à lui, d’incriminer la détention, en toute connaissance de cause, de fichiers ou de documents caractérisant l’apologie d’actes de terrorisme, lorsque cette détention s’accompagne d’une adhésion à l’idéologie exprimée dans ces fichiers ou documents. Ce faisant, ce délit poursuit le double objectif de prévenir la diffusion publique d’idées et de propos dangereux en lien avec le terrorisme et d’empêcher l’endoctrinement d’individus susceptibles de réitérer de tels propos ou de commettre des actes de terrorisme.

C’est donc sans surprise, tant la conciliation entre ces deux règles est un exercice périlleux, que cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions combinées de l’article 321-1 du code pénal et de l’article 421-2-5 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Il faut en effet se souvenir que c’est dans un arrêt du 7 janvier 2020 que la Cour de cassation a consacré le délit d’apologie du terrorisme, fruit de la combinaison du recel et de l’apologie du terrorisme (Crim. 7 janv. 2020, n° 19-80.136, Dalloz actualité, 5 févr. 2020, obs. S. Lavric ; D. 2020. 312 , note D. Roets ; Légipresse 2020. 81 et les obs. ; ibid. 238, étude B. Fiorini ; 24 mars 2020, Dalloz actualité, 29 avr. 2020, obs. M. Recotillet).

En l’espèce, les requérants reprochent au délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme de méconnaître la liberté d’expression et de communication et les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines. Ils font notamment valoir qu’en raison de l’absence de différence substantielle et fondamentale entre la consultation d’un site internet terroriste et le téléchargement ou la détention sur un support informatique du contenu de tels sites, rien ne permet de distinguer le délit de recel de celui de consultation habituelle de sites internet terroristes jugé contraire à la liberté de communication par le Conseil constitutionnel dans des décisions du 10 février 2017 (Cons. const. 10 févr. 2017, n° 2016-611 QPC, Dalloz actualité, 14 févr. 2017, obs. D. Goetz ; D. 2017. 354 ; ibid. 2018. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ pénal 2017. 237, obs. J. Alix ; Dalloz IP/IT 2017. 289, obs. M. Quéméner ; Constitutions 2017. 91, chron. A. Cappello ; ibid. 187, chron. ; RSC 2018. 75, obs. P. Beauvais ) et du 15 décembre 2017 (Cons. const. 15 déc. 2017, n° 2017-682 QPC, Dalloz actualité, 19 déc. 2017, obs. D. Goetz ; AJDA 2017. 2499 ; D. 2018. 97, et les obs. , note Y. Mayaud ; ibid. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 94, Décision A. Ponseille ; ibid. 99, chron. A. Ponseille ; RSC 2018. 75, obs. P. Beauvais ). En outre, il est intéressant d’observer que la répression du délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme est aggravée par rapport à celle du délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, puisqu’aucune cause exonératoire n’est prévue.

Après avoir rappelé la possibilité évidemment offerte au législateur de prévoir des règles destinées à lutter contre l’incitation et la provocation au terrorisme, les Sages soulignent avec force leur attachement à la libre communication et à la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer. Il est ainsi rappelé au législateur la nécessaire et difficile conciliation à trouver entre ses deux impératifs. En effet, quel que soit l’objectif poursuivi, les atteintes portées à l’exercice de la liberté de communication doivent toujours être nécessaires, adaptées et proportionnées.

Or, en l’espèce, le Conseil constitutionnel estime qu’aucune de ces conditions n’est satisfaite. Pour lui, le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme porte à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

Sur le critère de nécessité, le Conseil constitutionnel réitère la logique au cœur des décisions des 10 février et 15 décembre 2017. Il est en effet indiqué dans la QPC rapportée que la législation comprend déjà d’autres infractions dites de préventions de la commission d’actes de terrorisme, étant précisé que l’autorité administrative dispose elle aussi, dans ce but de prévention, de larges pouvoirs. Ainsi, le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme n’est pas un outil nécessaire pour permettre aux autorités administrative et judiciaire de surveiller et de poursuivre les personnes qui consultent ou collectent des messages faisant l’apologie d’actes de terrorisme lorsque cette consultation ou cette collection s’accompagnent d’un comportement révélant une intention terroriste. Au titre de ces outils de prévention des actes de terrorisme, il faut notamment citer le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d’acte de terrorisme (C. pén., art. 421-2-1), le fait d’adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d’exercer sur elle des pressions afin qu’elle participe à un tel groupement ou qu’elle commette un acte de terrorisme (C. pén., art. 421-2-4), le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes (C. pén., art. 421-2-5), le fait de préparer la commission d’un acte de terrorisme dès lors que cette préparation est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur (C. pén., art. 421-2-6). De plus, dans le cadre des procédures d’enquête relatives à ces infractions, les magistrats et enquêteurs disposent de pouvoirs étendus pour procéder à des mesures d’interception de correspondances émises par voie de communication électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation, de fixation d’images et de captation de données informatiques.

Dans le même esprit, les critères d’adaptation et de proportionnalité ne sont pas satisfaits, le Conseil constitutionnel considérant que le délit de recel d’apologie du terrorisme réprime le seul fait de détenir des fichiers ou des documents faisant l’apologie d’actes de terrorisme sans que soit retenue l’intention terroriste ou apologétique du receleur comme élément constitutif de l’infraction.

Pour toutes ces raisons, le Conseil constitutionnel en déduit que le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme porte à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Il formule par conséquent, au sujet des mots « ou de faire publiquement l’apologie de ces actes », figurant à l’article 421-2-5 du code pénal, une réserve d’interprétation. Toutefois, sous cette réserve, le texte est déclaré conforme à la Constitution, en ce qu’il ne méconnaît ni la liberté d’expression et de communication ni les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.