Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Recevabilité d’un moyen et action oblique

Dans un arrêt rendu le 21 septembre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle l’importance d’utiliser la voie oblique pour critiquer le rejet d’une demande formée par une autre partie dans le lien d’instance.

L’action oblique n’est que rarement sous le feu des projecteurs dans des arrêts publiés au Bulletin et chaque décision rendue peut donc être l’occasion d’une certaine attention de la part des lecteurs à l’instar d’ailleurs de l’action paulienne (v. à ce titre au sujet d’une action paulienne contre une donation et du truchement d’une transaction homologuée, Civ. 1re, 14 sept. 2022, n° 17-15.388 FS-B, Dalloz actualité, 20 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1597 ). On se rappellera que l’action oblique permet au créancier d’exercer des droits et actions à caractère patrimonial pour le compte de son débiteur quand la carence de celui-ci compromet les droits de son partenaire économique et ce conformément à la nouvelle rédaction de l’article 1341-1 du code civil tel qu’issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. On sait que la jurisprudence issue du droit ancien avait pu « forger un régime original » de ce mécanisme (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1712, n° 1559) si bien que la décision rendue le 21 septembre 2022 viendra utilement en préciser les contours largement applicables quant au nouvel article 1341-1. Rappelons les faits pour comprendre comment le problème s’est posé devant la chambre commerciale de la Cour de cassation. Une personne remet un chèque à l’encaissement sur son compte ouvert auprès d’une banque le 7 janvier 2014. Le chèque est toutefois rejeté le 28 février suivant pour défaut de qualité du signataire et non-conformité de la signature. La banque du bénéficiaire décide donc de le contre-passer. À la suite de cette dernière opération, le bénéficiaire du chèque litigieux présente désormais un solde débiteur sur son compte. Sa banque l’assigne en paiement dudit solde, le bénéficiaire appelant en garantie la banque tirée. En première instance les juges du fond condamnent la banque tirée à relever et garantir le bénéficiaire de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre. Mais voici qu’en appel, le jugement est infirmé précisément sur ce chef de condamnation. La Cour déboute, en effet, le bénéficiaire du chèque de sa demande d’appel en garantie. Son contradicteur, à savoir sa propre banque, se pourvoit alors curieusement en cassation reprochant à ce raisonnement une violation de l’article 1240 du code civil. La curiosité est rapidement expliquée : l’établissement bancaire avait compris que sa seule de chance de paiement résultait du triomphe de la prétention de son adversaire à appeler en garantie la banque tirée.

Nous ne nous attarderons pas sur le fond du moyen de cassation développé car à cette hauteur du procès, la chambre commerciale relève d’office un autre moyen fondé, cette fois-ci, sur l’irrecevabilité de la demande formulée, faute de démontrer une action oblique et donc d’une qualité à agir de la sorte. La chambre commerciale relève, par conséquent, que « la société Banque Rhône-Alpes ne soutient ni n’établit que l’éventuelle carence de M. S. dans l’exercice de son droit à se pourvoir en cassation compromet ses droits de créancier ».

Rappelant les fondamentaux de la procédure civile en terme de qualité à formuler un moyen, la chambre commerciale en profite pour appuyer l’importance de l’action oblique dans un arrêt qui, sous ses airs de haute technicité, est en réalité un mémento fort utile des bases en la matière.

Du bon usage de la procédure civile : rappel des fondamentaux

La chambre commerciale donne dans l’arrêt du 21 septembre 2022 une très belle leçon de procédure civile. Les faits rappelés précédemment permettaient de bien comprendre que la situation cristallisait plusieurs rapports de droit superposés en raison du chèque impayés : un premier rapport de droit entre la banque et son client qui présentait un solde débiteur, un second entre la banque du tiré et le bénéficiaire du chèque sur le fondement d’une responsabilité délictuelle. Or, en rejetant l’appel en garantie du bénéficiaire, les juges du fond ont privé ce dernier de son probable et unique moyen d’obtenir le remboursement de son solde débiteur. À la suite de ces rapports superposés des différents liens d’obligation, le lien d’instance dans le litige en est un juste reflet : la banque du bénéficiaire contre son client, celui-ci appelant en garantie la banque du tireur du chèque. C’est l’entrée dans le lien d’instance de ce second établissement bancaire qui a pu cristalliser des doutes quant au fond.

Mais si l’on est attentif au pourvoi, on remarque que le seul demandeur à la cassation est l’établissement bancaire du bénéficiaire. Le bénéficiaire du chèque n’a, en effet, pas formé un tel pourvoi. On comprend donc aisément le problème : si celui-ci ne forme pas de recours, quelle qualité à agir peut avoir la banque pour critiquer le rejet de l’appel en garantie de son client ? C’est ce que note, fermement et simplement, la Cour de cassation au paragraphe n° 6 de l’arrêt, signant un défaut de qualité à agir dans ce contexte. La chambre commerciale ne condamne pas pour autant la recevabilité du moyen développé par la banque : elle le sauve de la noyade en quelque sorte. Ou, du moins, pour filer la métaphore, elle lui propose une bouée de sauvetage, à savoir utiliser la voie oblique de l’article 1341-1 du code civil (§ n° 8 de l’arrêt). Le régime général de l’obligation permet alors utilement de sauver la mise quant aux conditions fondamentales pour soutenir un moyen et ceci à hauteur de cassation ou ailleurs.

Ce rappel au fondement même de l’action en justice sur la qualité pour critiquer une prétention est intéressant car la Cour de cassation aurait pu s’en dispenser. L’arrêt a, en effet, l’air d’un obiter dictum à lui seul : le pourvoi aurait pu être purement et simplement rejeté, peut-être même en rejet non spécialement motivé. Le but de cette motivation reste de renseigner la pratique sur ce type de situations : à savoir bien utiliser l’action oblique dans les rapports de droit superposés.

De l’art de l’action oblique : la technique en mouvement

La leçon de droit ne s’arrête pas à la procédure civile, elle se prolonge fort opportunément dans le régime général de l’obligation. Après avoir rappelé le sens de l’article 1341-1 du code civil, la chambre commerciale déduit des conclusions qui lui sont présentées que la banque du bénéficiaire n’a pas réuni les conditions de l’action oblique. À dire vrai, la banque « ne soutient ni n’établit » (§ n° 9) les conditions de ce mécanisme. En d’autres termes, après le moyen relevé d’office et la possibilité pour les parties de s’en expliquer, l’établissement bancaire n’a pas su saisir la perche qui lui était tendue pour apporter la preuve desdites conditions. Bien évidemment, ceci signe très certainement que celles-ci n’étaient tout simplement peut-être pas réunies. La difficulté essentielle reste de pouvoir rapporter la preuve de la compromission des droits du créancier, point sur lequel des difficultés apparaissent régulièrement. Ici, il aurait donc fallu démontrer que l’absence de pourvoi en cassation pouvait compromettre les droits de la banque.

N’est-ce pas, pour autant, sage d’au moins penser que si la banque s’en était saisie elle aurait pu voir son moyen recevable ? Il existe probablement une chance que la réponse soit positive car le contentieux qu’elle a engagé contre son client aurait vu son issue facilitée si celui-ci était garanti par la banque tirée ayant refusé de manière peu légitime, selon le plaideur, le chèque litigieux (sur ceci, v. M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Éréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 632 s., nos 1254 s.). Mais à hauteur de cassation, rien n’est moins sûr et il faut s’arrêter ici du point de vue des suppositions. La technicité redoutable de l’action oblique n’en est pas moins au service d’un rappel utile sur la qualité pour critiquer le rejet d’une demande d’un adversaire notamment quand les liens de droits superposés rendent la situation parfois peu lisible même pour les plaideurs.

Rare arrêt sur l’action oblique, la décision du 21 septembre 2022 permet de mieux en cerner le rôle fondamental en procédure civile. Sans sa démonstration, l’irrecevabilité peut être rapidement encourue rendant tout examen au fond purement et simplement impossible. La pratique en sera avertie : si le créancier souhaite utiliser une action de son débiteur (par exemple, se pourvoir en cassation), sa démonstration de l’action oblique doit être bien menée. Sinon, il n’encourt que l’irrecevabilité de son moyen et donc le rejet de son pourvoi.