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Recevabilité de la preuve illicite : concrétisation du contrôle de proportionnalité du droit à la preuve

Le droit à la preuve est susceptible de justifier la production d’éléments obtenus illicitement qui portent atteinte à d’autres droits fondamentaux, à condition que ladite preuve soit indispensable et que l’atteinte soit strictement proportionnée. Tel est le cas d’un dispositif de vidéosurveillance dissimulé par l’employeur pour révéler des vols, dans un contexte de disparition des stocks, dès lors qu’aucune autre mesure n’était envisageable et que l’enregistrement, réalisé par le seul dirigeant, était limité dans le temps.

Imposant droit à la preuve

Depuis le retentissant revirement de jurisprudence opéré par l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans les arrêts du 22 décembre 2023 (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 et n° 21-11.330, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 291 , note G. Lardeux ; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 296, note T. Pasquier ; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier ; AJ pénal 2024. 40, chron. ; Légipresse 2024. 11 et les obs. ; ibid. 62, obs. G. Loiseau ), traduisant la position de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 10 oct. 2006, n° 7508/02, D. 2006. 2692 ; RTD civ. 2007. 95, obs. J. Hauser ; 13 mai 2008, n° 65097/01, CEDH, 13 mai 2008, n° 65097/01, D. 2009. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ; RTD civ. 2008. 650, obs. J.-P. Marguénaud ) ainsi qu’une longue évolution jurisprudentielle (Com. 15 mai 2007, n° 06-10.606 P, D. 2007. 1605 ; ibid. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; Just. & cass. 2008. 205, Conférence G. Tapie ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot ; ibid. 753, obs. J. Hauser ; Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177 P, Dalloz actualité, 23 avr. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 1596 , note G. Lardeux ; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero ; ibid. 457, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. Hauser ; Soc. 9 nov. 2016, n° 15-10.203 P, Dalloz actualité, 25 nov. 2016, obs. M. Roussel ; D. 2017. 37, obs. N. explicative de la Cour de cassation , note G. Lardeux ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Just. & cass. 2017. 170, rapp. A. David ; ibid. 188, avis H. Liffran ; Dr. soc. 2017. 89, obs. J. Mouly ; RDT 2017. 134, obs. B. Géniaut ; RTD civ. 2017. 96, obs. J. Hauser ; 30 sept. 2020, n° 19-12.058, Dalloz actualité, 21 oct. 2020, obs. M. Peyronnet ; D. 2020. 2383 , note C. Golhen ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam ; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen ; ibid. 764, obs. C. Lhomond ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli ; Légipresse 2020. 528 et les obs. ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol ; 25 nov. 2020, n° 17-19.523, D. 2021. 117 , note G. Loiseau ; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Dr. soc. 2021. 21, étude N. Trassoudaine-Verger ; ibid. 170, étude R. Salomon ; ibid. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2021. 199, obs. S. Mraouahi ; Dalloz IP/IT 2020. 655, obs. C. Crichton ; ibid. 2021. 356, obs. G. Péronne ; Légipresse 2021. 8 et les obs. ; RTD civ. 2021. 413, obs. H. Barbier ; 8 mars 2023, n° 21-20.798, n° 21-17.802 et n° 20-21.848, Dalloz actualité, 16 mars 2023, obs. L. Malfettes ; JA 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et M. Julien ), la règle est désormais que, dans un procès civil, l’illicéité dans l’obtention ou la production d’une preuve ne conduit plus nécessairement à son rejet des débats. Le droit à la preuve est susceptible de justifier la production d’éléments qui portent atteinte à d’autres droits fondamentaux, à condition que ladite preuve soit indispensable et que l’atteinte soit strictement proportionnée. Par un arrêt rendu le 14 février dernier, la Cour de cassation offre une nouvelle illustration de ce contrôle de proportionnalité en se prononçant sur la recevabilité d’une preuve obtenue par un dispositif de vidéosurveillance dissimulé par l’employeur dans un litige prud’homale relatif à un licenciement pour vol, reprenant la position retenue par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Lopez Ribalda (CEDH 17 oct. 2019, n° 1874/13 et n° 8567/13, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2019. 2039, et les obs. ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2019. 604, obs. P. Buffon ; Dr. soc. 2021. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2020. 122, obs. B. Dabosville ; Légipresse 2020. 64, étude G. Loiseau ; RTD civ. 2019. 815, obs. J.-P. Marguénaud ).

Cas d’un dispositif de vidéosurveillance dissimulé par l’employeur au salarié pour révéler des vols

L’affaire dont a été saisie la Cour de cassation avait déjà donné lieu à un précédent arrêt du 10 novembre 2021 par lequel la Haute juridiction avait reproché aux juges du fond de ne pas avoir pris en compte le droit à la preuve invoqué par l’employeur (Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263, Dalloz actualité, 29 nov. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 2093 ; Dr. soc. 2022. 81, obs. P. Adam ; Dalloz IP/IT 2022. 157, obs. E. Daoud et I. Bello ), d’où l’importance de la solution retenue par la cour d’appel de renvoi qui a fait l’objet d’un nouveau pourvoi en cassation.

En l’espèce, le salarié d’une pharmacie a été licencié pour faute grave au motif de vol, les faits étant démontrés par des vidéos résultant d’un dispositif de surveillance dissimulé au salarié après qu’il ait été constaté des anomalies dans les stocks.

Contestant la licéité et donc la recevabilité de la preuve, le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin de faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Débouté devant la cour d’appel de renvoi, celui-ci a formé un pourvoi en cassation articulé autour de trois arguments principaux : 1) l’employeur doit informer individuellement les salariés du dispositif de contrôle, en respectant les exigences en matière de protection des données personnelles, et doit consulter les représentants du personnel de tout dispositif de contrôle de l’activité des salariés, à défaut de quoi les preuves obtenues sont illicites ; 2) l’installation d’un système de vidéosurveillance dans les lieux et établissements ouverts au public est subordonnée à une autorisation du préfet ou, à défaut, du préfet de police, après avis d’une commission départementale présidée par un magistrat du siège ou un magistrat honoraire ; 3) la matérialité des faits reprochés pouvait être rapportée par d’autres moyens qu’une vidéosurveillance dissimulée. Or, l’employeur n’avait pas consulté les représentants du personnel, n’avait nullement informé les salariés, n’avait procédé qu’à une simple déclaration à la préfecture et avait placé les salariés sous une surveillance constante du 10 au 27 juin afin de relever d’éventuels nouveaux manquements, sans envisager d’autres procédés.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en reprenant la solution de l’assemblée plénière : « Il résulte de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l’illicéité dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ». Ainsi, « en présence d’une preuve illicite, le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi ». Ainsi, même illicite, une preuve peut exceptionnellement être recevable dans un procès civil.

Obtenue en violation de la loi, la preuve est illicite

 Une preuve est illicite, voire déloyale lorsqu’elle est obtenue en violation de la loi ou à la suite d’un stratagème. La preuve était ici, à l’évidence, illicite du fait du non-respect des règles en matière d’information individuelle des salariés (C. trav., art. L. 1222-4 ; RGPD du 24 mai 2016, art. 13 ; Loi n° 78-17 du 6 janv. 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, art. 104), de celles relatives à l’information et la consultation des représentants du personnels (C. trav., art. L. 2312-38) et de celles relatives à l’autorisation préfectorale pour les caméras filmant des lieux ouverts au public (CSI, art. L. 251-1 s.).

Diverses sanctions pénales, couvrant le délit d’entrave au fonctionnement du comité social et économique (C. trav., art. L. 2317-1), l’enregistrement de l’image d’une personne à son insu dans un lieu privé (C. pén., art. 226-1), la collecte déloyale ou illicite de données à caractère personnel (C. pén., art. 226-18) ou encore l’absence d’information des personnes (C. pén., art. R. 625-10), sont applicables. De même, civilement, conformément à l’article 9 du code civil dont il résulte le droit au respect de la vie privée ainsi que « le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation », « la seule constatation de l’atteinte […] ouvre droit à réparation » pour le salarié, ne serait-ce que d’un préjudice d’ordre moral (Soc. 19 janv. 2022, n° 20-12.420 P, D. 2022. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Légipresse 2022. 210 et les obs. ; ibid. 2023. 58, étude G. Loiseau ; ibid. 241, étude N. Mallet-Poujol ; 14 févr. 2024, n° 22-18.014 ; 12 nov. 2020, n° 19-20.583, Dr. soc. 2020. 1044, obs. C. Radé ).

D’un point de vue contentieux, il convient de distinguer la procédure pénale de la procédure civile. Dans un procès pénal, lorsqu’il est question de faire constater la commission d’une infraction, la preuve est libre pour les particuliers : « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction » (C. pr. pén., art. 427 ; Crim. 11 juin 2002, n° 01-85.559 P, D. 2002. 2657 ; ibid. 2003. 1309, chron. L. Collet-Askri ; RSC 2002. 879, obs. J.-F. Renucci ; RTD civ....

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