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Recours contre une décision d’approbation des comptes du conseil de l’ordre

L’article 19, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 permet à tout avocat de déférer à la cour les délibérations ou décisions du conseil de l’ordre de nature à léser leurs intérêts professionnels. Cette notion d’intérêt professionnel s’entend tant de l’intérêt moral que financier de l’avocat concerné. Le contrôle auquel les membres du conseil de l’ordre doivent se livrer lors de l’approbation des comptes doit être personnel et effectif, ce qui suppose qu’ils puissent disposer de l’ensemble des informations utiles à l’exercice de leur mission.

par Gaëlle Deharole 19 juin 2018

Estimant n’avoir pas été en mesure d’exercer les missions d’administration et de gestion des biens de l’ordre que les dispositions d’ordre public de la loi du 31 décembre 1971 leur impartissent, deux avocates avaient contesté les décisions et délibérations du conseil de l’ordre. Elles critiquaient, plus particulièrement, la décision d’approuver les comptes de l’ordre des avocats du barreau de Paris pour l’année 2015.

Les demanderesses soutenaient en effet que le bâtonnier, bien qu’il ait été sollicité à quatre reprises, s’était refusé à leur communiquer l’information préalable nécessaire à l’approbation des comptes annuels. Aussi, elles considéraient que les résolutions avaient été adoptées de façon irrégulière et sollicitaient l’annulation des délibérations concernées.

Deux questions étaient en l’espèce soumises à la cour d’appel de Paris : la première question concernait la recevabilité du recours des deux avocates, inscrites au barreau de Paris et membres élues du conseil de l’ordre. La seconde question concernait quant à elle la sanction de l’insuffisance de l’information.

La recevabilité du recours

Les parties s’opposaient en l’espèce sur la recevabilité du recours formé par les demanderesses. Celles-ci présentaient, en effet, une double qualité : elles étaient non seulement des avocates inscrites au barreau de Paris, mais également des membres élues du conseil de l’ordre. Or l’article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 prévoit deux cas d’ouverture d’un recours contre les décisions du conseil de l’ordre. Plus spécialement, le deuxième alinéa dispose que les délibérations ou décisions du conseil de l’ordre de nature à léser les intérêts professionnels d’un avocat peuvent être déférées à la cour d’appel, à la requête de l’intéressé. Ce recours est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire (Civ. 1re, 17 oct. 1995, n° 93-20.546 ; 21 févr. 1995, n° 93-12.881, Dalloz jurisprudence).

Le conseil de l’ordre arguait de l’irrecevabilité du recours au motif que le texte de l’article 19 n’ouvrait pas de recours aux membres du conseil qui auraient émis un vote minoritaire.

À l’opposé, les demanderesses entendaient démontrer qu’elles avaient non seulement qualité mais également intérêt à agir. Concernant la qualité à agir, elles soutenaient qu’elles agissaient non seulement en qualité de membres élus mais également en qualité d’avocates inscrites au barreau de Paris. Chacune de ces qualités présentait un intérêt spécifique à agir : après avoir rappelé que la lésion des intérêts moraux permet à un avocat d’exercer le recours prévu par l’article 19, elles faisaient valoir qu’en tant que membres élus du conseil de l’ordre, elles ont une responsabilité personnelle dans l’approbation des comptes et qu’en tant qu’avocate inscrite au barreau de Paris, elles ont un intérêt professionnel et financier à voir respecter le principe de la collégialité pour des décisions qui impactent leurs cotisations.

L’argumentation trouvait ancrage dans la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation qui avait précisé le régime du recours de l’article 19. La première chambre civile avait en effet précisé que les intérêts professionnels légalement protégés comprennent les intérêts moraux et économiques d’un avocat membre d’un syndicat d’avocats, alors que ce syndicat, qui n’avait pas la qualité d’avocat, n’était pas recevable à agir sur le fondement de l’article 19 de la loi du 31 décembre 1971 (Civ. 1re, 15 mai 2015, n° 14-15.878, Dalloz actualité, 21 mai 2015, art. A. Portmann ; ibid. 2016. 101, obs. T. Wickers ; adde 7 avr. 1987, n° 85-17.768). La première chambre civile avait encore jugé que cette disposition ne prévoit l’ouverture d’un recours que dans l’hypothèse d’une décision émanant du conseil de l’ordre, à l’exclusion des avis valablement émis par le bâtonnier ou son délégué (Civ. 1re, 20 mars 2013, n° 12-19.301, Dalloz actualité, 8 avr. 2013, art. M. Babonneau ), mais n’est pas limitée aux délibérations ou décisions de caractère juridictionnel (Civ. 1re, 19 janv. 1994, n° 91-21.821, D. 1995. 167 , obs. A. Brunois ).

Plus spécialement, la cour d’appel de Paris avait eu à connaître d’un précédent recours formé, par les mêmes demanderesses, contre une délibération du conseil de l’ordre et contestant l’approbation des comptes pour l’année 2012 (Paris, 11 févr. 2016, n° 13/20146, Dalloz actualité, 22 févr. 2016, art. A. Portmann isset(node/177449) ? node/177449 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>177449). La cour de Paris avait alors relevé que les demandeurs agissaient tant en qualité d’avocat inscrit au barreau de Paris qu’en qualité de membres du conseil de l’ordre. Elle avait précisé que « la notion d’intérêts professionnels s’entend comme comprenant tant l’intérêt moral que financier de l’avocat concerné ». Aussi, « toute atteinte avérée au fonctionnement normal des institutions issues de la loi de 1971 est à la fois d’ordre moral en raison de la méconnaissance même des règles régissant le fonctionnement de celle-ci, mais aussi d’ordre financier dès lors que de l’approbation des comptes dépend le montant des cotisations ordinales acquittées par chaque membre du barreau ». Cette décision avait été approuvée par la Cour de cassation qui avait jugé qu’« en dénonçant des conditions de vote ne permettant pas au conseil de l’ordre d’exercer réellement la mission de gestion et d’administration à lui conférée par l’article 17 de la loi précitée, les requérants, avocats et en cette qualité membres du conseil, avaient un intérêt financier et moral à agir ». La première chambre civile avait, à cette occasion, précisé que le contrôle budgétaire participe directement de cette mission de gestion et d’administration et que toute atteinte avérée au fonctionnement normal des institutions ordinales, en raison de la méconnaissance même des règles régissant leur fonctionnement, est d’ordre moral (Civ. 1re, 4 oct. 2017, n° 16-15.418, Dalloz actualité, 6 oct. 2017, art. A. Portmann isset(node/186950) ? node/186950 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186950).

Suivant le même raisonnement, et après avoir rappelé les dispositions de l’article 19, alinéa 2, la cour précise en l’espèce qu’« il est constant que la notion d’intérêt professionnel s’entend tant de l’intérêt moral que financier de l’avocat concerné ». Reprenant la même formulation, elle rappelle que « toute atteinte au fonctionnement normal des institutions est à la fois d’ordre moral, en raison de la méconnaissance des règles régissant la profession, mais aussi d’ordre financier dès lors que l’approbation des comptes a une incidence sur le montant des cotisations ordinales acquittées par chaque membre du barreau ». Il en résulte que « le fait que l’approbation des comptes ait pu être réalisé sans que l’ensemble des membres du conseil de l’ordre ait reçu une information suffisante leur permettant d’assurer pleinement leurs fonctions constitue une atteinte aux intérêts professionnels, tant moraux que financiers de l’avocat ». Le recours étant déclaré recevable sur ces fondements, il restait à déterminer s’il était bien fondé au regard du droit à l’information des élus du conseil de l’ordre.

Le droit à l’information

Les demanderesses arguaient de l’irrégularité de la décision portant sur l’approbation des comptes du barreau de Paris pour l’exercice 2015. Elles prétendaient en effet avoir été insuffisamment informées et soutenaient que cette irrégularité devait être sanctionnée par l’annulation de la décision d’approbation des comptes.

Aux termes de l’article 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, le conseil de l’ordre a pour tâche de « gérer les biens de l’ordre, de préparer le budget, de fixer le montant des cotisations des avocats relevant de ce conseil de l’ordre ainsi que celles des avocats qui, appartenant à un autre barreau, ont été autorisés à ouvrir un ou plusieurs bureaux secondaires dans son ressort, d’administrer et d’utiliser ses ressources pour assurer les secours, allocations ou avantages quelconques attribués à ses membres ou anciens membres, à leurs conjoints survivants ou à leurs enfants dans le cadre de la législation existante, de répartir les charges entre ses membres et d’en poursuivre le recouvrement ».

Par la décision précitée du 4 octobre 2017, la première chambre civile avait précisé que « le contrôle budgétaire participe directement de [la] mission de gestion et d’administration » du conseil de l’ordre. Elle avait encore, à cette occasion, précisé sa doctrine en matière de droit à l’information des élus du conseil de l’ordre. Plus précisément, elle avait jugé que la cour d’appel avait pour seul pouvoir de prononcer la nullité des délibérations irrégulièrement prises par ce conseil, après avoir procédé à une analyse précise et détaillée des informations remises aux membres du conseil, et déterminé si celles-ci étaient suffisantes.

C’est sur ce point que les demanderesses plaçaient la discussion. Elles soutenaient qu’en leur qualité d’élues du conseil de l’ordre, elles avaient pour mission de contrôler les dépenses et la destination exacte des fonds ainsi que la réalité des missions exercées par les personnes désignées par l’ordre. Elles soulignaient que cette mission devait être menée avec vigilance et sur le fondement d’une information suffisante.

La cour d’appel de Paris était donc appelée à se livrer à une analyse in concreto des informations délivrées afin de déterminer si celles-ci étaient suffisantes et, en cas d’insuffisance, prononcer la sanction de l’annulation. Les juges constataient en l’espèce que « les documents adressés aux membres du conseil de l’ordre sont des documents de synthèse qui ne permettent pas de connaître de manière précise les dépenses incluses dans les différents postes ». Or « le contrôle auquel les membres du conseil de l’ordre doivent se livrer lors de l’approbation des comptes doit être personnel et effectif, ce qui suppose qu’ils puissent disposer de l’ensemble des informations utiles à l’exercice de leur mission ». Constatant que « les informations qui sont de nature à permettre un contrôle effectif de l’exécution du budget par le conseil de l’ordre » n’ont pas été remises aux requérantes, la cour distingue deux séries de délibérations : celles nécessitant une information qui n’a pas été apportée et celles pour lesquelles l’information diffusée était suffisante. Concernant les premières, elles « doivent être annulées faute d’avoir été prises dans des conditions d’information suffisante à un contrôle effectif ». Les secondes, quant à elles, « ne sont pas affectées par l’absence des informations réclamées par les requérantes et il n’y a donc pas lieu de les annuler ».

La cour d’appel précise encore que la confidentialité sur les honoraires et rémunération n’est pas opposable aux membres du conseil de l’ordre dont la mission consiste notamment à gérer les biens de l’ordre, à administrer et utiliser ses ressources et à répartir les charges entre les membres.