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Recours : délai de deux ans pour notifier une décision et droit à un procès équitable

Ne méconnaît pas le droit au procès équitable la cour d’appel qui déclare irrecevable le recours en révision contre une décision rectifiée qui n’a pas été régulièrement notifiée dans les deux ans. En revanche, il n’y a pas lieu d’appliquer cette sanction lorsqu’un recours, même irrégulier, a été formé durant ce délai. 

par Mehdi Kebirle 31 mai 2018

Voici deux arrêts intéressants rendus par la deuxième chambre civile le 17 mai 2018 en ce qui concerne l’application de l’article 528-1 du code de procédure civile qui impose une notification du jugement dans le délai de deux ans de son prononcé. Au-delà de ce délai, « la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal », qu’il s’agisse d’un recours ordinaire ou extraordinaire. Cette disposition, qui n’est applicable qu’aux jugements qui tranchent tout le principal et à ceux qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, mettent fin à l’instance, impose au plaideur un cadre temporel dans l’accomplissement de cette formalité essentielle que constitue la notification de la décision rendue.

Les deux arrêts sous commentaire apportent des précisions sur l’application de ce texte et de la sanction qu’il prévoit.

Dans le premier arrêt (n° 16-28.742), un recours en révision avait été formé contre un arrêt du 12 septembre 2002. Entaché d’une erreur matérielle, cet arrêt avait été rectifié par une décision du 4 février 2003. Le recours a été déclaré irrecevable par les juges du fond au motif qu’il n’était pas justifié que l’arrêt du 4 février 2003 avait été, tout comme l’arrêt du 12 septembre 2002 qu’il rectifiait, notifié dans les deux ans de son prononcé. Partant, le demandeur, qui avait régulièrement comparu, n’était plus recevable en application de l’article 528-1 du code de procédure civile à exercer un recours en révision à son encontre.

Dans son pourvoi en cassation, le demandeur faisait notamment grief à la décision d’irrecevabilité de porter atteinte à son droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que le principe de proportionnalité. Par une formule lapidaire, la haute juridiction écarte cette critique. Elle relève que c’est sans méconnaître l’article 6, § 1, précité que les juges du fond ont fait application de l’article 528-1 du code de procédure civile et conclu à l’irrecevabilité du recours.

La Cour de cassation rappelle ainsi qu’il n’y a aucune contrariété entre l’exigence imposée par l’article 528-1 et le droit à un procès équitable. Bien au contraire, cette contrainte participe à l’effectivité de ce droit. Selon la haute juridiction, les principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice qui fondent les dispositions de ce texte constituent des impératifs qui ne sont pas contraires aux dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention (Civ. 2e, 30 janv. 2003, n° 99-19.488 P, D. 2003. 2722, et les obs. , note E. Ben Merzouk ; JCP 2003. I. 128, no 20, obs. Cadiet ; Dr. et proc. 2003. 248, note Hoonakker ; Gaz. Pal. 10-11 oct. 2003, p. 15, obs. du Rusquec ; Soc. 9 nov. 2005, n° 02-41.243 P). La position adoptée dans l’arrêt rapporté n’est donc pas surprenante (v. déjà Civ. 2e, 20 déc. 2001, n° 00-11.875). En revanche, il faut aussi noter, c’est que la Cour régulatrice refuse d’effectuer, ce que l’invitait à faire le pourvoi, un contrôle de proportionnalité sur l’application au cas d’espèce de cette exigence. Il est sur ce point surprenant de constater que le demandeur arguait d’une méconnaissance du « principe de proportionnalité » sans expliquer en quoi l’exigence de l’article 528-1 avait en l’espèce méconnu son droit à un procès équitable, de sorte qu’il n’avait pas mis en mesure la Cour d’effectuer un tel contrôle. L’approche retenue par la haute juridiction procède d’une stricte application de la loi et découle d’un syllogisme parfait : il existe un délai de deux ans pour notifier à défaut de quoi une sanction est appliquée, ce délai n’est pas respecté, la sanction doit donc être appliquée.

La solution nous paraît justifiée dans la mesure où le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et, en matière civile, le droit au double degré de juridiction n’est pas une composante du droit au procès équitable. En outre, elle se comprend au regard de la finalité qui est assignée à cette exigence. Le but essentiel de ce cadre temporel est de sanctionner l’inertie des parties qui se sont désintéressées de leur cause, soit parce qu’elles n’ont pas jugé bon de contester la décision rendue, soit parce qu’elles ne se sont tout simplement pas préoccupées de son contenu. L’expiration du délai de deux ans confère alors au jugement un caractère inattaquable. Le plaideur négligent perd tout simplement son droit d’agir et tout recours devient par conséquent irrecevable. Par cette disposition, le législateur a ainsi choisi de préserver la décision d’une incertitude permanente sur la chose jugée. L’inertie des parties devient alors une forme d’« acquiescement tacite par l’effet du temps », selon le formule du professeur Perrot (RTD civ. 1998. 475, obs. R. Perrot ). C’est sans doute là un raccourci mais qui est absolument nécessaire à la bonne marche du procès : « la procédure n’est pas faite pour les négligents qui, après avoir plaidé leur propre cause – avec chaleur n’en doutons pas ! –, se résignent à laisser passer le temps et à attendre deux ans sans se préoccuper du sort réservé à leurs prétentions, pour tirer profit de la décision ou pour la critiquer ! » (R. Perrot, préc.).

C’est précisément cette idée qui explique la solution retenue dans le second arrêt (n° 17-14.291). Dans cette affaire, il s’agissait d’une société qui avait conclu avec une autre des mandats de partenariat de distribution exclusive. Elle avait reproché à sa cocontractante d’avoir distribué des produits par l’intermédiaire d’une société tierce en violation de ces mandats. Elle a assigné ces sociétés devant un tribunal de commerce pour obtenir une indemnisation.

Elle a ensuite interjeté appel du jugement contradictoire l’ayant déboutée devant une cour d’appel, qui, par un arrêt du 12 janvier 2016, a déclaré cet appel irrecevable au visa des articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce qui donnent compétence à la cour d’appel de Paris pour connaître des demandes fondées sur le premier de ces textes. Elle a donc relevé un second appel de ce jugement, le 9 février 2016, devant cette dernière cour d’appel. Pour déclarer irrecevable ce nouvel appel, les juges du fond ont relevé que le jugement rendu le 8 janvier 2014 par le tribunal de commerce de Versailles n’avait pas été signifié, de sorte que l’article 528-1 du code de procédure civile trouvait à s’appliquer. Ce délai ayant expiré le 8 janvier 2016, le deuxième recours était irrecevable. L’arrêt est cassé par la Cour de cassation au visa de l’article 528-1 au motif que la société avait bien interjeté un premier appel, dans les deux ans suivant son prononcé. Autrement dit, par cet arrêt, la Cour de cassation souligne clairement que la règle issue de cet article ne vaut que lorsqu’aucun recours n’a été formé pendant le délai de deux ans qu’il mentionne. Lorsqu’un recours, serait-il irrégulier, a été relevé, cela suffit à paralyser l’application de cette disposition. La sanction qu’elle prévoit ne trouve donc plus à s’appliquer. La solution se comprend par référence à la finalité évoquée plus haut. Si on admet que ce texte vise à sanctionner l’inertie des parties pendant un certain temps, alors il faut bien reconnaître qu’il n’y a plus aucune raison d’y recourir lorsque les plaideurs – ou au moins l’un d’eux – s’intéressent à leur litige, quand bien même il l’aurait fait de façon maladroite ou inappropriée. Ce deuxième arrêt renferme au fond une morale : au cours du procès, il vaut sans doute mieux se tromper procéduralement que se montrer négligent en se désintéressant de sa propre cause.