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Récusation : irrecevabilité de la requête n’énonçant aucun motif en dépit de conclusions ultérieures

La requête en récusation doit indiquer les motifs de récusation sous peine d’irrecevabilité, sans pouvoir être complétée par des conclusions ultérieures.

par Mehdi Kebirle 21 octobre 2019

Dénoncer l’aptitude d’un juge à connaître objectivement d’un litige n’est jamais un acte anodin. Cela revient à lui dénier une valeur – l’impartialité – qui est « inhérente à la qualité même de juge » (H. Motulsky, Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : respect des droits de la défense en procédure civile, in Mélanges P. Roubier, tome II, 1961, Dalloz, p. 190-191). Pour autant, pour n’importe quel plaideur, cette attitude peut traduire une réaction quasiment instinctive. « Notre instinct premier tend à récuser la compétence, l’impartialité, l’honnêteté de celui que l’institution judiciaire va nous donner pour juger notre cas. C’est couru d’avance, il va nous condamner et donner raison à notre adversaire dont il partage sûrement les idées, les amitiés et l’appartenance politique, […] ce juge-là nous est, a priori, hostile » (J.-F. Burgelin, Préface, in La légitimité des juges, 2004, IFR, coll. « Actes de colloque », Université Toulouse, I, p. 9).

Le droit ne peut se satisfaire de ce simple sentiment. Certes, il est absolument nécessaire qu’un juge qui ne peut traiter la cause qui lui est soumise de façon impartiale soit écarté, sans quoi le procès ne serait qu’une mise en scène ridicule et vexatoire faisant la part belle à l’arbitraire. Mais il est aussi nécessaire que, sur ce point, la raison l’emporte toujours sur la passion. Pour ce faire, le législateur enserre le processus de récusation des juges dans de strictes limites procédurales qu’il appartient aux parties de respecter scrupuleusement. En particulier, il interdit aux plaideurs de tomber dans la critique facile. Si critique de l’impartialité du juge il doit y avoir, elle ne peut être que constructive. C’est ainsi que l’article 344 du code de procédure civile oblige notamment toute partie qui souhaite soumettre une requête en récusation visant un juge à dûment la motiver, faute de quoi la demande est irrecevable, et à fournir les pièces justificatives propres à la fonder.

C’est sur cette exigence de motivation que se prononce expressément cet arrêt de la deuxième chambre civile du 26 septembre 2019.

Il s’agissait d’un litige impliquant un syndicat des copropriétaires qui avait été porté devant un tribunal de grande instance. Par déclaration consignée par le greffe de la juridiction, les demandeurs ont sollicité la récusation d’une magistrate de la chambre ayant à connaître de l’affaire. Une cour d’appel avait déclaré cette demande de récusation irrecevable sur le fondement de l’article 344 précité car la demande n’énonçait aucun motif et était donc irrecevable.

Dans le pourvoi formé à l’encontre de cette décision, le demandeur prétendait que si la demande de récusation d’un magistrat doit être introduite par requête, aucun texte n’interdit de compléter celle-ci par des conclusions. Il avançait avoir déposé, trois jours avant l’audience, des conclusions recevables, en l’absence de procédure de clôture. Selon lui, la cour d’appel ne pouvait se borner à examiner la demande de récusation à la lumière de la requête, sans prendre en considération les conclusions précitées.

La Cour de cassation rejette l’argument. Elle relève qu’en application de l’article 344 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret no 2017-892 du 6 mai 2017, la demande de récusation, qui ne peut être formée que par acte remis au secrétariat de la juridiction à laquelle appartient le juge qu’elle vise ou par une déclaration, consignée dans un procès-verbal, et doit être transmise à celui-ci pour qu’il acquiesce ou s’oppose à la récusation, doit indiquer les motifs de la récusation, à peine d’irrecevabilité. Il en résulte qu’elle ne peut être complétée par des conclusions ultérieures. C’est donc très justement que la cour d’appel, « à laquelle il appartenait de statuer au regard de la seule requête », ayant constaté que la demande de récusation n’énonçait aucun motif, l’a déclarée irrecevable.

Reprenant une position classique (V. déjà, Civ. 2e, 24 janv. 2002, n° 00-01.225, Bull. civ. II, n° 6 ; 7 avr. 2011, n° 10-15.882), la Haute juridiction rappelle par cet arrêt que « le récusant doit démontrer la réalité et la légitimité de sa requête » (Rép. pr. civ., Récusation et renvoi, par Sonia Ben Hadj Yahia, n° 112). Il a obligation d’alléguer une cause de récusation pour obtenir la mise à l’écart du juge dont il doute de l’objectivité (Civ. 2e, 2 déc. 2004, n° 04-01.469, Bull. civ. II, n° 516 ; 24 janv. 2002, n° 00-01.225, Bull. civ. II, n° 6).

L’exigence est parfaitement logique : comment apprécier les mérites d’une demande aussi grave que la demande de récusation si son auteur reste silencieux sur les motifs qui la fondent ? Aussi doit-il mettre son destinataire en mesure d’apprécier si cause de la récusation justifie une récusation (V. sur ce point, Paris, 25 mars 2002, Gaz. Pal. 15-17 sept. 2002, p. 18). La Cour de cassation souligne dans cet arrêt que la solution s’appuie sur l’article 344 précité dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-892 du 6 mai 2017.

Cependant, la réforme n’a pas mis un terme à l’exigence de motivation de la requête. La demande doit toujours, à peine d’irrecevabilité, indiquer les motifs de récusation (le texte précise désormais « ou de renvoi pour cause de suspicion légitime ») et être accompagnée des pièces justificatives. C’est également le cas lorsque la demande vise une pluralité de juges et non un seul (C. pr. civ., art. 349, mod. par Décr. n° 2017-892 du 6 mai 2017).

Au delà de cela, l’intérêt de la décision rapportée est surtout de préciser que l’exigence de motivation s’applique à la requête elle-même. Le plaideur qui n’y satisfait pas ne saurait prétendre couvrir son manquement, qu’il soit volontaire ou non, en invoquant une motivation extérieure à la demande formée. En un mot, c’est d’une motivation endogène dont il s’agit dans l’article 344 du code de procédure civile et de rien d’autre. En l’occurrence, le demandeur arguait d’une motivation exogène, présente au sein de conclusions postérieures et non à l’intérieur même de sa demande. L’argumentation qui consistait à dire que l’exigence était satisfaite dès lors que la motivation était développée à un endroit ou un autre n’avait guère de chance d’aboutir compte tenu du formalisme très poussé de la procédure de récusation. C’est bien la vertu du formalisme que de soumettre les plaideurs à une discipline stricte qui préserve l’efficacité de la procédure.

La solution a deux mérites essentiels. D’une part, elle garantit une totale transparence du plaideur sur les motifs dont il se prévaut contre son juge. D’autre part, elle garantit un accès immédiat aux justifications avancées par le plaideur. Ce n’est pas au juge de rechercher, dans les diverses écritures d’une partie qui le vise, les causes de récusation avancées à son encontre. Il ne faut pas oublier, comme le souligne la Haute juridiction, que la demande de récusation a vocation à être transmise au magistrat visé pour qu’il acquiesce ou s’oppose à la récusation C’est la moindre des choses que de contraindre le récusant à mettre son juge en mesure de savoir, dès le stade de sa requête, à quoi s’en tenir. Sans cela, sa demande ne mérite pas d’être traitée au fond : ne dispose pas du droit d’agir, le plaideur qui conteste l’impartialité d’un juge sans expliquer précisément dans sa demande, les raisons qui nourrissent son soupçon.