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Réflexions sur les contours du devoir de vigilance européen : quelles recommandations ?

À propos du rapport d’information n° 1149 déposé par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 28 juin 2023 et du rapport d’une commission du Club des juristes intitulé « Devoir de vigilance, quelles perspectives européennes ? »

À la suite de l’adoption d’une résolution du Parlement européen le 10 mars 20211, la Commission a présenté au Parlement européen et au Conseil, le 23 février 2022, une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (dite CSDD). Cette directive, annoncée par Ursula van der Leyen en 2020 et très attendue, vise à poser un cadre pour responsabiliser davantage un grand nombre d’entreprises quant aux impacts sociaux et environnementaux de leurs activités. Le Conseil de l’Union européenne a publié son orientation générale le 1er décembre 2022 sur le texte2, tandis que le Parlement européen s’est prononcé le 1er juin 20233.

Alors que le trilogue sur la CSDD est engagé dans un calendrier restreint par la perspective des élections européennes4, deux rapports relatifs à cette proposition de directive sont parus avant l’été à quelques semaines d’intervalle5 : d’une part, le rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité présenté par Mme Sophia Chikirou et Mme Mireille Clapot au mois de juin (Rapport AN)6 ; d’autre part, le rapport du think tank Le Club des juristes intitulé « Devoir de vigilance, quelles perspectives européennes ? », issu des réflexions d’un groupe de travail présidé par l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve publié en juillet (Rapport CJ)7.

À titre introductif, les deux rapports soulignent l’impératif de prévenir la fragmentation du marché. En effet, un certain nombre de législations relatives au devoir de vigilance concernant les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans la chaîne de valeur ont été récemment adoptées ou sont en cours de discussion. Même si ces législations s’inspirent toutes plus ou moins du devoir de « diligence », tel qu’il est dessiné dans les Principes des Nations unies8 et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)9, le danger de l’éclatement des règles pointe, qui est source de coûts importants pour les grandes entreprises dans la mesure où les chaînes d’approvisionnement transnationales sont étroitement connectées. C’est pourquoi il est insisté sur la nécessité d’appréhender le devoir de vigilance au niveau européen10, l’Union européenne devant également jouer un rôle moteur dans les négociations internationales pour permettre sa généralisation.

Les deux rapports partent également du constat que des incertitudes dans la mise en œuvre de la loi française perdurent – comme en témoignent les premières décisions rendues sur la recevabilité des affaires Total Ouganda11, Suez12, et Total Climat13. Il convient donc de faire en sorte que la future directive empêche de tels errements qui sont regrettables aussi bien pour les entreprises que les éventuelles victimes d’un manquement au devoir de vigilance.

Les principales recommandations des deux rapports concernant l’élaboration de la directive seront conjointement présentées, en suivant le plan du texte discuté.

Sur le champ d’application

Seuils

L’un des points de divergence entre le Parlement européen et le Conseil tient au champ d’application de la directive, le premier étant plus ambitieux que le second. Le Rapport AN va dans le sens du premier, en suggérant que le devoir de vigilance soit imposé aux entreprises de 250 salariés ainsi qu’aux sociétés mères ultimes, mais aussi aux entreprises non-européennes ayant réalisé un chiffre d’affaires de plus de 150 millions d’euros, dont 40 millions sur le sol européen (par elles-mêmes ou leurs filiales) : il s’agit de renforcer la portée extraterritoriale du texte. Le Rapport CJ quant à lui relève que, s’il paraît opportun de façon générale d’aligner autant que possible les diverses obligations de « compliance » auxquelles sont soumises les entreprises, l’alignement des seuils entre la directive « CSRD » adoptée le 14 décembre 202214 et la CSDD ne s’impose pas nécessairement dans la mesure où les obligations de vigilance sont plus exigeantes que les obligations de reporting. Les deux rapports se montrent en tout état de cause favorables à un accompagnement des PME : au-delà du soutien financier, les autorités de supervision dont la création est envisagée pourraient notamment assurer une bonne information des PME et de leurs donneurs d’ordres pour identifier les pays et les secteurs à risques, en s’appuyant sur les normes et outils développés par l’OCDE, comme le préconise le Rapport CJ. En outre, les deux rapports recommandent d’évaluer la pertinence des seuils après l’entrée en vigueur du texte.

Autre point de contact entre les deux rapports, ils appellent tous deux à une clarification sur la différence de nature des obligations de la CSRD et CSDD : en effet, si les points de contact entre ces deux textes sont nombreux, il existe une différence de nature fondamentale entre le devoir de vigilance (qui a une portée matérielle, impliquant un déploiement continu de procédures de diligence raisonnable) et les obligations de reporting (qui ont une nature plus formelle, à vocation informative).

Secteurs d’activités

Une autre discussion concerne les secteurs d’activités visés par la CSDD. Deux difficultés se font jour.

La première concerne l’intégration, dans le périmètre du texte, des activités financières. Le Rapport AN considère que les établissements financiers doivent s’efforcer d’identifier, mesurer et prévenir les risques associés à leurs clients directs, dans une optique de promotion d’une...

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