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La réforme des cours d’assises n’aura pas lieu

Le rapport du groupe de travail sur les délais d’audiencement des procédures criminelles a soumis des « propositions d’évolutions » pour réduire l’encombrement des cours d’assises. Pas de révolution en cours mais des axes méthodologiques diffusés aux juridictions.

par Marine Babonneaule 24 janvier 2017

En 2015, deux affaires émeuvent le monde judiciaire : une femme condamnée en 2014 à trente ans de réclusion criminelle pour assassinat et tentative d’assassinat est remise en liberté en raison de la durée excessive de son incarcération dans l’attente de son procès en appel. Même chose pour celui qui avait été jugé en 2011 à vingt ans de prison et qui attendait toujours son procès en appel. La Chancellerie décide alors de saisir la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et la direction des services judiciaires (DSJ) pour que soit mené « un travail de réflexion » sur la situation des cours d’assises de France et plus particulièrement « sur les délais d’audiencement des procédures criminelles ». Le rapport de 70 pages est finalement rendu en juin 2016, après consultation des chefs de cour, mais n’a pas été rendu public. Voici ce qu’il contient.

Un délai d’audiencement en moyenne de 4,5 ans en première instance

Les cours d’assises sont surchargées, c’est ce qui est répété de manière lancinante. Encore faut-il savoir exactement ce à quoi cela fait référence et les causes d’une éventuelle embolie judiciaire. Le groupe de travail a d’abord travaillé sur les statistiques : on y apprend donc qu’entre 2005 et 2014, il y a eu un « déclin tendanciel sensible de l’activité des cours d’assises », passant de 2 990 arrêts rendus à 2 096. Parallèlement, le stock d’affaires en attente augmente de manière « très sensible et continue » à partir de 2011, passant de 1 934 dossiers à 2 321 en 2014. Il s’agit surtout des assises en appel. En revanche, le délai moyen d’audiencement reste stable. Il est d’environ 4,5 ans en première instance et de 1,61 an en appel. Enfin, « on comptait 2,9 jours d’audience pour un arrêt en 2010 contre 3,2 jours pour un arrêt en 2014 ». Partout, les dossiers avec accusés libres passent au second plan, « la priorité est en effet systématiquement donnée aux dossiers dans lesquels les accusés sont détenus ». Logique, comme le rappelle le rapport, puisque le délai légal pour les détenus devant être jugés en première instance ne peut dépasser un an à compter de l’ordonnance de mise en accusation et ne peut excéder « le délai raisonnable » imposé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour le procès en appel.

Second facteur « délicat » à prendre en compte : l’hétérogénéité des pratiques locales en matière d’audiencement. En fonction des ressorts, une politique réelle d’audiencement sera menée, ailleurs elle fera l’objet d’un protocole, là-bas, elle sera simplement formalisée mais néanmoins organisée par les cours d’appel et les juridictions de première instance. Difficile d’imposer, en fonction des contraintes et spécificités locales, une méthode unique. Le rapport insiste néanmoins sur la nécessité de systématiser dans toute la France la tenue de réunions d’audiencement. Quid de la gestion stocks, élément crucial pour contrôler notamment la durée des détentions provisoires ? Selon le groupe de travail, « leur suivi est assuré systématiquement et régulièrement mais avec une fréquence variable et des outils ou une méthodologie disparates, pas toujours efficients. En outre, le constat peut être dressé d’un manque généralisé de dispositifs d’alerte permettant une action plus proactive dans les suivis des dossiers criminels à audiencer ».

« Ne pas être conciliantes à l’excès » avec l’agenda des avocats
Les avocats « ne sont jamais associés » au processus d’audiencement. En revanche, toutes les cours signalent qu’ils sont « informés » le plus en amont possible, entre un et six mois avant le début de la session. Néanmoins, pour préserver l’intérêt de cette concertation en vue d’audiencement efficient, la prise en compte des disponibilités des avocats doit s’opérer dans le cadre d’un dialogue raisonné. Elle suppose pour les juridictions de ne pas être conciliantes à l’excès afin de ne pas dépendre d’avocats excipant systématiquement de leur indisponibilité pour choisir leur président ou refusant de tenir compte des contraintes d’audiencement, en termes de délais notamment, auxquelles la juridiction est confrontée […]. Dans d’autres ressorts, pour assurer une meilleure gestion des dossiers et se prémunir contre d’éventuelles manœuvres dilatoires, des critères et des règles ont été prévus pour harmoniser les demandes motivées par l’indisponibilité des avocats et justifier leur refus, notamment en sollicitant une demande écrite et la production de justificatifs ». C’est ainsi le cas à Paris.

« Situations inquiétantes »

La pratique de l’audiencement est fondamentale pour l’activité des cours d’assises. Or, relève le rapport, ici encore, les situations sont « contrastées », pouvant mener à « des déséquilibres et des situations inquiétantes ». Il y a d’abord la hausse du nombre de jours d’assises consacré pour chaque affaire. Pour quelles raisons ? Journées d’audience plus courtes « pour privilégier la qualité d’écoute des jurés » ou « surévaluation de la durée des audiences criminelles lors de la fixation de l’affaire au rôle » par « précaution ».

Les avocats contribuent à l’inflation du temps d’audience prévu
Parmi les facteurs « d’inflation » du principe de précaution : les avocats qui peuvent, jusqu’à la veille de l’ouverture des débats, dénoncer les témoins. Ainsi en profitent-ils, relève le document, pour « citer tardivement leurs témoins, ce qui empêche de pouvoir prévoir efficacement le temps nécessaire aux débats » et conduit, donc, « à surcalibrer la durée d’une audience pour se prémunir contre des débats trop longs ». Du « temps utile perdu ».

Les magistrats prévoient donc des audiences plus longues… qui le sont effectivement. La complexification de certains dossiers nécessite la présence d’un plus grand nombre d’experts et de témoins pour faciliter la compréhension des jurés qui n’ont pas accès aux dossiers. « Le rôle du parquet général paraît central afin d’harmoniser et de réduire leur nombre », souligne la mission. Pourquoi ne pas augmenter le nombre de formations d’assises spécialisées ? Le rôle des avocats dans la longueur des procès est également à souligner (lire encadré ci-dessous). Et, par définition, le mécanisme des assises est « sensible au moindre changement » : un dossier médiatique peut bouleverser le quotidien d’une petite juridiction, « un contrat d’objectifs à l’instruction » va augmenter mécaniquement le stock d’affaires à juger, le manque de moyens humains et matériels a également des impacts sur l’organisation d’un procès.

« L’accroissement de la place de la défense lors du procès »
L’avocat prend plus de place… C’est, selon le rapport, une évolution qui se traduit « à la fois par l’allongement de la durée des plaidoiries mais également par une attitude parfois très opposante de certains avocats de la défense, s’inscrivant dans une logique de défense de la rupture, qui multiplient les incidents d’audience et cherchent à discréditer le dossier et le président de l’audience, notamment par des interrogatoires longs et offensifs, sur le modèle du « contre-interrogatoire » anglo-saxon. Pire, cette stratégie « trouve écho auprès des jurés », qui ressentent de « la défiance envers l’institution judiciaire ». Sans compter les « interrogatoires trop longs ou redondants avec des questions déjà posées » et « la perte de temps liée à la gestion de certaines tentatives de déstabilisation par la défense ». La salve est reprise quelques paragraphes plus bas. La désorganisation de l’audiencement est en partie due « au choix de certaines stratégies de défense », notamment dans les dossiers importants médiatiques ou atypiques, prenant « la forme de nombreuses demandes de renvoi ou de citations tardives de témoins ». Et puis, « la prise en compte de l’agenda des avocats » n’aide pas à fixer des dates d’audience.

La correctionnalisation, la recette miracle ? Non

Pour désengorger les cours d’assises, les parquets ont recours « de longue date » à la correctionnalisation : des condamnations plus rapides, des temps d’audience plus courts, des procédures moins lourdes pour les victimes. Majoritairement, ce sont les vols à main armée, les tentatives d’homicide, les infractions à caractère sexuel, les trafics de stupéfiants et les vols commis à domicile avec circonstances aggravantes qui sont requalifiés. En revanche, les parquets généraux ne correctionnalisent pas tous au même moment, certains privilégiant le début de l’enquête, d’autres l’issue de l’information judiciaire. Difficile d’avoir un panorama parfait car, selon les auteurs du rapport, il n’existe pas de statistiques précises malgré un travail d’harmonisation de certains ressorts.

Pour la DACG et la DSJ, le critère « déterminant » devrait être « la volonté de ne pas encombrer la cour d’assises par des dossiers se terminant par des peines correctionnelles ». Et peu importe que la pratique de la correctionnalisation ne soit en règle générale pas choisie pour alléger la situation des cours d’assises mais pour répondre au choix d’une politique pénale. Ce qui compte, c’est « l’opportunité et l’efficacité ».

Encore faut-il que la correctionnalisation soit acceptée et juridiquement possible. Question de prescription dans certains cas, refus des juges d’instruction, opposition des avocats « qui préfèrent plaider aux assises, notamment lorsqu’ils souhaitent plaider un acquittement », ou des parties, décisions d’incompétence rendues par les juridictions correctionnelles… « la correctionnalisation, s’inscrivant en marge de la loi et relevant d’une pratique consensuelle, il suffit qu’un seul acteur judiciaire s’y oppose pour y faire échec », concluent les auteurs du rapport.

Sans compter que les juridictions elles-mêmes avouent ne pas voir dans cette pratique beaucoup de marge de progression. Car la conséquence est simple : c’est le volume du contentieux correctionnel qui s’alourdit au risque de voir ces dossiers « traités en limite de prescription de l’action publique ». Le rapport en appelle malgré tout au parquet général pour « harmoniser les pratiques » et « faciliter la rationalisation de l’audiencement des cours d’assises ».

À défaut de réforme législative, la Chancellerie assure qu’« en l’état des propositions formulées par le groupe de travail sur les délais d’audiencement des cours d’assises, et compte tenu de l’agenda parlementaire, est envisagée la diffusion d’axes méthodologiques destinés à mieux maîtriser la programmation et le déroulement des cours d’assises à droit constant. Un bilan de leur mise en œuvre permettra dans un second temps de mesurer l’intérêt d’une éventuelle réforme législative ». C’est en matière terroriste que les modifications auront peut-être lieu : le Parlement examine actuellement une proposition de loi visant à réduire le nombre d’assesseurs composant les assises spéciales (v. Dalloz actualité, 6 janv. 2017, art. C. Fleuriot isset(node/182670) ? node/182670 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>182670). 

 

Les propositions

  • définition d’un délai légal maximum d’audiencement en appel pour les accusés détenus : deux ans
  • réforme du délai de dépôt de la liste des témoins : un mois avant l’audience au lieu de 24 heures avant
  • professionnalisation des cours d’assises pour le jugement des dossiers JIRS (22 magistrats supplémentaires pour un coût d’environ 1,9 million d’euros avec une économie de 400 000 € de frais de justice)
  • allègement de l’oralité des débats (accès au dossier pour les assesseurs et les jurés)
  • renvoi à une chambre spécialisée pour l’audience des intérêts civils
  • atténuation du principe de continuité des débats
  • mise en place « d’un circuit court » : moins de témoins et moins d’experts si tout le monde est d’accord
  • procédure de CRPC criminelle
  • mise en place d’un tribunal criminel
  • irrecevabilité des expertises privées
  • limitation de l’appel au quantum ou à la nature de la peine
  • suppression de la sommation d’huissier
  • recours aux juges honoraires et réservistes
  • co-audiencement effectif entre parquet et siège
  • implication des chefs de cour d’appel
  • désignation de magistrats référents
  • fidélisation des présidents d’assises
  • généralisation des réunions d’audiencement prévisionnel
  • information en amont des avocats
  • développement d’outils de pilotage pour la gestion des stocks d’affaires
  • appel à candidatures spécifiques pour le poste de président d’assises

 

Les propositions ayant été mises en place

  • limitation du défaut criminel (loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité de la procédure pénale)
  • la fin de la désignation de la cour d’assises d’appel par la chambre criminelle (loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité de la procédure pénale)
  • la présence de jurés supplémentaires pendant le délibéré (loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité de la procédure pénale)