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La réforme du droit des entreprises en difficulté : point d’actualité

Les spécialistes du droit de l’entreprise en difficulté savent que la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 doit entrer en vigueur avant le 17 juillet prochain, ce qui provoque à la Chancellerie une certaine effervescence. Le député Romain Grau a par ailleurs procédé à plus de 120 auditions et entend proposer ses pistes de réforme car des améliorations pourraient être apportées par ordonnance par la suite.

par Georges Teboulle 4 juin 2021

Les règles fixées par la directive

La directive est relativement souple dans le cadre des principes qu’elle souhaite unifier, les cadres de restructuration préventive introduisant cependant la notion de difficulté qui « engendre une menace réelle et grave pour la capacité actuelle ou future d’un débiteur de payer ses dettes à l’échéance » (consid. 28). Ces difficultés doivent menacer la continuité des activités et à moyen terme ses liquidités. Le considérant 32 a aussi prévu la possibilité de bénéficier d’une suspension temporaire des poursuites individuelles afin de pouvoir continuer à exercer les activités ou préserver la valeur du patrimoine pendant la durée des négociations. C’est ce que nous vivons pendant cette crise.

Le sort du garant

Cette suspension devrait aussi s’appliquer au bénéfice du tiers garant. Pour autant, cette suspension doit pouvoir être refusée lorsque le comportement du débiteur n’inspire pas confiance (« comportement qui est généralement celui d’une personne qui est incapable de payer ses dettes à l’échéance […] », consid. 33).

Les clauses de résiliation anticipée

La possibilité de suspendre des clauses de résiliation anticipées peut aussi être activée en cours de négociation (consid. 40). La directive prévoit l’organisation des créanciers en classes organisées autour de droits « sensiblement similaires ». Cela tient aussi compte du rang des créances et des intérêts. Au minimum, les créanciers garantis et non garantis devraient être considérés comme appartenant à des classes distinctes (consid. 44).

Il est en outre prévu que chaque droit national puisse fixer des majorités requises pour garantir qu’une minorité de parties affectées dans chaque classe ne puisse faire obstacle à l’adoption d’un plan de restructuration qui ne porterait pas excessivement préjudice à leurs droits et intérêts.

Le principe de la validation d’un plan de restructuration par une autorité judiciaire ou administrative paraît nécessaire pour garantir que la réduction des droits des créanciers ou des intérêts des détenteurs de capital est proportionnée aux avantages de la restructuration et qu’ils ont accès à un recours effectif (consid. 48).

En outre, il convient de comparer la situation offerte par un plan à ce que les créanciers pourraient raisonnablement attendre en cas de liquidation, ce qui implique que l’autorité constituée puisse rejeter un plan qui ne respecterait pas cette condition d’un plan plus favorable qu’en situation liquidative (consid. 49 et 52 not.).

Il est possible de procéder à une validation forcée du plan de restructuration s’il est soutenu au moins par une classe affectée ou lésée de créanciers en tenant compte de la valeur du débiteur en tant qu’entreprise en activité (consid. 54). Ce point est particulièrement intéressant et peut être riche de conséquences pour les actionnaires.

L’application forcée interclasses

Le principe de l’application forcée interclasses suppose qu’une autorité vérifie que les classes dissidentes de créanciers affectés ne soient pas excessivement lésées par le plan proposé (consid. 55). Il s’agit à cet égard de tenir compte des intérêts d’une classe dissidente qui doit être traitée au moins aussi favorablement qu’une autre classe de même rang.

Il est aussi intéressant de noter que les états membres doivent veiller à ce que les actionnaires ou autres détenteurs de capital ne doivent pas raisonnablement empêcher l’adoption de plans de restructuration qui permettraient au débiteur de retrouver la viabilité (consid. 57). Il est tenu compte de la situation des salariés qui doivent être tenus informés (consid. 60, 61 et 62).

Les modalités d’évaluation de l’entreprise devraient être sécurisées par un expert ou une évaluation présentée par le débiteur ou une autre partie (consid. 63).

Le rebond

La possibilité de rebond est aussi évoquée avec la possibilité pour un débiteur de commencer une nouvelle activité dans le même domaine ou un domaine différent pendant la mise en œuvre du plan de remboursement (consid. 74). La directive prévoit aussi la possibilité d’une remise de dette dans les procédures comprenant un plan de remboursement, une réalisation d’actifs ou une combinaison des deux (consid. 75). Ces possibilités de remises de dette sont explorées aux considérants 77 et suivants. L’utilisation des moyens de communication électronique permettant de réduire la durée des procédures et faciliter une meilleure participation des créanciers est prévue au considérant 90.

Après ces rappels, quelques articles de l’article méritent d’être commentés à l’aune des réflexions actuellement menées, tant à la Chancellerie qu’à l’Assemblée nationale et dans d’autres cercles, et notamment la commission Richelme qui a déposé son rapport en février 2021. Il est aussi intéressant de relire cette directive à l’aune de la crise de la covid-19 – à l’époque imprévisible – et des réflexions actuellement menées que nous évoquerons ci-après.

Les axes de la réforme

L’article 3 prévoit une alerte précoce et un accès aux informations, ce qui se rapproche de la réflexion actuellement menée par le député Romain Grau sur la prise en compte des signaux faibles en sensibilisant les experts-comptables comme l’avait proposé la commission Richelme sur la nécessité de susciter une réaction plus rapide et de réagir à la première alerte. À cet article, il est fait état des outils d’alerte précoce sur certaines défaillances de paiement et la collecte des informations nécessaires.

Il s’agit ici d’un élément essentiel qui doit être rapproché des outils d’autoévaluation disponibles sur internet et notamment proposés par les greffiers des tribunaux de commerce.

Sur les conditions d’accès aux cadres de restructuration préventive, notre droit positif les prévoit et il est essentiel de rappeler ici que les états membres peuvent introduire un test de viabilité : cette exigence est particulièrement nécessaire dans le contexte de la crise actuelle car il va être important de pouvoir trier les entreprises qui ont vocation à être sauvées et celles qui ne pourraient faire l’objet que d’un acharnement thérapeutique et dont le constat d’échec doit être dressé.

Les pouvoirs du tribunal

Il est prévu que les états membres puissent limiter l’intervention de l’autorité judiciaire ou administrative mais, pour autant, notre droit est plutôt attaché à l’intervention d’un juge fort, ce qui correspond actuellement au pouvoir dévolu aux présidents des tribunaux en matière de prévention.

Pendant la crise, les pouvoirs des délégués à la prévention de nos tribunaux ont été élargis, notamment par la possibilité de la suspension sur requête et il serait bienvenu que cette capacité d’intervention plus importante puisse être validée et maintenue même après la crise. Malgré les critiques qui semblent être retenues, ce nouveau dispositif favorise la négociation en rétablissant l’équilibre et il tient compte de l’absence de visibilité en période de crise. Le créancier n’est pour autant pas privé de la possibilité de contester et de susciter un débat contradictoire. Cela est en effet un facteur d’efficacité. Le développement de la communication par internet permet cet accroissement du rôle du juge en prévention pour faire face à ce surcroît de travail.

L’article 5 de la directive prévoit que le débiteur est non dessaisi en prévention, ce qui correspond à notre droit positif. Cependant, la désignation d’un praticien paraît nécessaire en cas de suspension générale des poursuites lorsque le plan de restructuration doit être validé, notamment par une autorité judiciaire ou lorsque la désignation d’un praticien est demandée par le débiteur ou la majorité des créanciers. En l’état, notre droit de la prévention repose uniquement sur l’initiative du débiteur, le conciliateur ne pouvant être demandé par la majorité des créanciers.

La suspension des poursuites individuelles a été rendue possible pendant la crise par l’ordonnance du 20 mai 2020 qui a prévu la possibilité de suspension à l’égard de tel ou tel créancier pendant la procédure de conciliation, ce qui est une forte incitation à poursuivre la négociation et ce qui a permis de suspendre les poursuites des principaux créanciers à une période qui était particulièrement difficile pour les entreprises privées de visibilité sur leur activité future. La directive a fixé la durée initiale d’une suspension des poursuites individuelles à une période maximale de quatre mois, étant rappelé que les mesures prises pendant la crise ont permis cette suspension pendant la durée d’une conciliation dont la durée a été portée à titre provisoire à une durée maximale de dix mois.

L’intervention du juge permet de garantir que ce maintien de la suspension ne porte pas une atteinte excessive aux droits des créanciers concernés comme l’a indiqué la directive. Il a été à cet égard prévu que la durée totale de la suspension des poursuites n’excède pas douze mois, ce qui n’est donc pas contradictoire avec la période de dix mois prévue pendant cette période de crise, en principe jusqu’à la fin de l’année 2021, ce qui pourrait éventuellement être prorogé en cas de besoin, avec une durée sans doute moins longue.

Les classes de créanciers : une innovation importante ?

La directive prévoit en outre en son article 8 le contenu des plans de restructuration avec le regroupement des classes de créanciers concernées et en l’état, il semble que le champ d’application de la directive soit notamment dédié à la création d’une procédure spécifique de sauvegarde. L’adoption des plans de restructuration (art. 9) dans le cadre d’une procédure de restructuration préventive doit être garantie aux débiteurs, ce qui implique que sa crédibilité et la viabilité de son entreprise soient préalablement validées. Il est demandé que les créanciers soient répartis dans des classes distinctes représentatives d’une communauté d’intérêts suffisante sur la base de critères vérifiables.

Au minimum, la distinction entre créanciers garantis et non garantis doit donc exister. En l’état, les plans de restructuration dans le cadre des procédures collectives ne distinguent pas les créanciers privilégiés et les créanciers non privilégiés qui sont en principe soumis aux mêmes délais. Cette solution a le mérite de la simplicité mais elle pourrait sans doute faire l’objet d’une amélioration dans le sens de la directive. En outre, il paraît normal que les créanciers publics puissent faire partie d’une classe distincte, compte tenu de leur situation spécifique.

Le plan de restructuration est adopté à condition qu’une majorité calculée sur le montant des créances ou intérêts soit obtenue dans chaque classe, ce qui correspond sur le principe, au fonctionnement actuel des comités pour les plus grandes entreprises. Sans surprise, l’autorité judiciaire « ou administrative » valide les plans de restructuration (art. 10). À cet égard, il paraît souhaitable qu’un tribunal soit effectivement chargé de cette validation avec un large pouvoir d’appréciation en fonction des intérêts en présence, celui d’une entreprise jugée viable, ce qui est le meilleur garant d’une décision équilibrée et équitable. Il appartiendra ainsi à chaque acteur de défendre ses droits.

C’est en effet sur la question de l’application forcée interclasses (art. 11) que peuvent naître des divergences, s’agissant d’un plan qui n’est pas approuvé par les parties affectées, le tribunal ayant la possibilité d’imposer ce plan aux classes dissidentes lorsque certaines conditions sont réunies, ce qui suppose une approbation par une partie au moins des créanciers dans les conditions définies par la directive. Le tribunal veille à cet égard à ce traitement équitable et il doit disposer d’un large pouvoir.

En ce qui concerne les détenteurs de capital (art. 12) et les travailleurs (art. 13), il s’agit d’empêcher des situations de blocage et de laisser circuler un droit d’information et de consultation pour ces derniers. Il paraît équitable que ni les travailleurs ni l’AGS n’aient à subir les risques d’une application fixée interclasses.

Le débat sur la valeur

La question de la détermination de la valeur de l’entreprise, chère au droit anglo-saxon est plus difficile à cerner (art. 14) et cela vaut lorsqu’un plan de restructuration est contesté par une partie dissidente. Il s’agit en effet de veiller au respect du critère du meilleur intérêt des créanciers et de permettre la désignation d’experts, ce qui peut être une source de délais et de complexité. S’il est normal que ce critère puisse être pris en compte, une application souple devrait être autorisée vu l’urgence. Il est à redouter que les contestations soient ici une grande source d’insécurité juridique et traînent en longueur.

Les articles suivants concernent notamment les recours qui doivent être jugés d’une manière rapide, le recours contre une décision validant un plan de restructuration n’ayant pas d’effet suspensif (art. 16). La protection des financements nouveaux est bien connue dans notre droit positif qui leur a accordé une forme de privilège dit de new money étendu aux sommes apportées dans le cadre d’un plan de restructuration. À cet égard, un droit de rémunération prioritaire peut être prévu par les États.

Les obligations des dirigeants face à une probabilité d’insolvabilité visent à instaurer une obligation de diligence avec la nécessité de prendre des mesures pour éviter l’insolvabilité et d’éviter toute négligence, ce qui peut être rapproché de notre droit positif plutôt tolérant à l’égard d’une négligence du chef d’entreprise.

Les remises de dettes

Les remises de dettes prévues aux articles 20 et 21 sont à présent d’actualité, la crise de la covid ayant mis à l’ordre du jour la nécessité de procéder à des remises que le ministère des Finances souhaite voir examiner au cas par cas, en prenant en compte une réelle incapacité d’honorer les engagements. Il faudrait sans doute tenir compte de la nécessité de sauver l’entreprise, de vérifier sa capacité de remboursement, ce qui peut être fait par des professionnels, particulièrement pendant la phase de prévention. Il est dommage, d’une manière générale, que les dispositifs d’aide actuellement prévus ne constituent pas une incitation à la prévention, ce qui pourrait permettre un traitement global des créances, plutôt qu’une approche faite par un seul créancier, fût-ce l’État.

En ce qui concerne ces remises de dette, il est prévu par la directive que toute déchéance du droit de gérer une entreprise prenne fin au plus tard à l’expiration du délai de remise de dette (art. 22). À cet égard, le député Romain Grau a récemment déclaré (revue Décideurs, 11 mai 2021) que « le patron, qui est un des piliers de l’optimisme, ne doit plus être montré du doigt après un échec. Comme aux États-Unis, considérons l’échec comme formateur ». Ce député estime que l’action en comblement de passif qui concerne environ trois cents dirigeants par an serait trop sévère : « c’est la seule infraction imprescriptible avec le crime contre l’humanité », s’insurge-t-il.

Cette appréciation, certes destinée à une presse grand public, mérite sans doute une lecture plus nuancée avec la recherche d’une sanction plus équitable. En l’état, le droit de la sanction est flou avec une faute de gestion multiforme et non clairement définie, ce qui crée une inquiétude diffuse et une crainte qui peut dissuader les dirigeants de s’adresser préventivement au tribunal. En outre, la théorie redoutable de l’équivalence des conditions qui permet, théoriquement, de mettre la totalité d’un passif à la charge d’un dirigeant fautif devrait être remplacée par la responsabilité du droit commun qui paraît plus équitable dans ses principes.

Pour être complet, la directive poursuit avec la nécessité de former des praticiens compétents, de contrôler notamment la rémunération des praticiens, ce qui correspond à ce qui se pratique en France. L’utilisation des moyens de communication électroniques d’une manière étendue rejoint ce que nous venons de constater avec la crise de la covid-19 qui a provoqué un épanouissement de ces moyens et une banalisation de leur utilisation avec des insatisfactions provoquées par des dysfonctionnements mais aussi, avouons-le, une plus grande commodité et une plus grande souplesse pour l’utilisation des procédures.

Le texte attendu sera connu avant le 17 juillet.