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Réforme du droit des entreprises en difficulté : publication du décret d’application

Le décret n° 2021-1218 du 23 septembre 2021 vient préciser les modalités d’application des dispositions issues de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce.

Alors que le décret d’application de la procédure judiciaire de traitement de sortie de crise se fait toujours attendre (K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : instauration temporaire d’une procédure judiciaire de traitement de sortie de crise, Dalloz actualité, 7 juin 2021), celui de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 réformant le droit des entreprises en difficulté vient d’être publié au Journal officiel. Les dispositions de cette ordonnance et de son décret d’application n° 2021-1218 du 23 septembre 2021 entreront en vigueur le 1er octobre 2021, et seront applicables aux procédures ouvertes à compter de cette date.

Toutefois, il est précisé que pour les procédures ouvertes avant le 22 mai 2020, les modifications des plans arrêtés seront soumises aux nouvelles dispositions relatives à la consultation des créanciers. L’organisation des dispositions du décret d’application suit celle de l’ordonnance. On y retrouve des dispositions de mise en cohérence des textes modifiant le code de commerce sur les aspects de droit des entreprises en difficulté, mais également d’adaptation avec la mise en place du « comité social et économique » et la modification de vocabulaire en droit des sûretés. Nos observations suivront l’articulation qui avait été choisie pour commenter l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 (K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : la nouvelle réforme publiée !, Dalloz actualité, 17 sept. 2021 ; Réforme du droit des entreprises en difficulté : instauration des classes de parties affectées, Dalloz actualité, 20 sept. 2021).

Les dispositions relatives à la prévention des difficultés des entreprises

Afin de renforcer le pouvoir du président du tribunal, l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 lui permet de déclencher une phase de « mini-enquête » dès qu’il convoque le dirigeant. L’article 3 du décret d’application précise que le délai pour la déclencher est de « trois mois au plus tard à compter de la date d’envoi de la convocation » (C. com., art. R. 611-12 mod.).

Dans le cadre de la procédure de conciliation, l’article 5 du décret d’application crée une nouvelle disposition imposant au débiteur de dresser, avec l’assistance du conciliateur, un état de l’intégralité des frais liés à cette procédure, mais également au mandat ad hoc qui aurait « immédiatement précédé l’ouverture de la conciliation » (C. com., art. R. 611-39-1 nouv.). Il s’agit d’une nouvelle exigence propre à la procédure de conciliation. Cette disposition vise une plus grande transparence dans le coût global des procédures amiables. Si les montants des honoraires tant du conciliateur que du mandataire ad hoc étaient déjà connus de la juridiction consulaire, puisqu’arrêtés par le président du tribunal, il n’en n’était pas ainsi pour les autres intervenants (avocat, expert-comptable, société de conseil et d’analyse financière). Au nom de cet objectif de transparence, la disposition souffre peut-être d’un écueil, celui de ne pas viser la situation, certes exceptionnelle mais possible, où trois procédures amiables se succèdent (conciliation, puis mandat ad hoc, puis conciliation) en raison par exemple de l’absence de finalisation de la négociation dans le délai classique de quatre voire cinq mois de la première conciliation). Les honoraires du conciliateur (de la première conciliation) ne semblent pas devoir être intégrés dans cet état.

On relèvera in fine la modification du premier alinéa de l’article R. 611-44 du code de commerce par l’article 6 du décret d’application prévoyant que l’accord de conciliation ne peut être communiqué au tiers opposant « qu’une fois la tierce opposition déclarée recevable ». Cette assertion renforce la confidentialité de la conciliation en évitant un détournement de la tierce opposition aux fins de se voir communiquer l’accord.

Les dispositions relatives à la procédure de sauvegarde et à la procédure de sauvegarde accélérée

Nous avions vu que l’article 23 de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 avait apporté une précision utile en prévoyant que « les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent procéder à la déclaration de leur créance pour la sauvegarde de leur recours personnel », et ce même avant paiement. Dans ce prolongement, l’article 13 du décret d’application précise que le débiteur doit porter à la connaissance du mandataire judiciaire l’identité de ces personnes. Celui-ci les informe ensuite de la possibilité qui leur est offerte de solliciter le bénéfice des dispositions de la procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers prévue aux articles L. 711-1 et suivants du code de la consommation (C. com., art. R. 622-5-1 nouv.). La conséquence de cette disposition est double. D’une part, l’information du mandataire judiciaire constitue un complément à la liste des créances que doit lui remettre le débiteur. Pour ces créanciers invités à déclarer leurs créances, on peut supposer qu’il s’agit d’un avis à produire spécifique en ce qu’il doit mentionner les articles L. 711-1 et suivants du code de la consommation. D’autre part, et dans ce prolongement, cette disposition vise à assurer une meilleure information des personnes physiques sur le recours aux mesures de traitement des situations de surendettement.

L’article 14 du décret d’application modifie le premier alinéa de l’article R. 622-7 du code de commerce en substituant les mots : « le prix est remis » par les mots : « la quote-part du prix est remise ». Cette modification était attendue depuis longtemps au regard de la contradiction entre l’article L. 622-8 du code de commerce (qui parle du versement de la « quote-part » du prix) et l’article R. 622-7 du code de commerce (qui parlait du versement du « prix »). Cette correction clarifie désormais le périmètre du prix qui fait l’objet de la consignation.

Des dispositions sont précisées en ce qui concerne les créances publiques au sein des articles 18 et 19 du décret d’application qui étendent les délais pour saisir la commission des chefs des services financiers (CCSF). Le délai de deux mois prévu jusqu’à présent est porté à cinq mois maximum à compter de l’ouverture de la procédure de conciliation, ce qui correspond à la durée maximum de la procédure de conciliation (C. com., art. D. 626-12 mod.). Le délai passe, par ailleurs, de deux mois à six mois pour l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire (C. com., art. D. 626-13 mod.), ce qui est le délai maximum pour la première période d’observation. La modification apparaît opportune : les délais prévus initialement apparaissaient courts en pratique pour avoir un regard éclairé sur le retournement de l’entreprise et, par-delà, finaliser une demande auprès de la CCSF.

L’article 21 du décret d’application augmente de quinze à vingt-et-un jours le délai pour permettre aux créanciers de faire part de leurs observations au commissaire à l’exécution du plan dans le cadre d’une consultation adressée par le greffe sur une modification substantielle du plan de sauvegarde ou de redressement (C. com., art. R. 626-45, mod.). La modification de la disposition est ici favorable aux créanciers pour lesquels le délai de quinze jours pouvait sembler court.

En revanche, une incohérence textuelle apparaît pour l’obligation de notification à la caution afin qu’elle puisse faire valoir ses droits alors même que le juge-commissaire a statué sur la créance. L’incohérence apparaît entre le nouvel alinéa 2 de l’article L. 624-3-1 (Ord., art. 26) et la modification de l’article R. 624-8 du code de commerce (Décr., art. 17) puisque le premier indique la « notification » à la caution alors que le second utilise le terme de « signification ». Or, il s’agit de modalités procédurales différentes, la lettre recommandée avec accusé de réception pour la notification, un acte d’huissier de justice pour la signification. La notification prévue dans le nouvel article L. 624-3-1 du code de commerce pouvait d’ailleurs laisser penser que celle-ci devait être effectuée par le greffe du tribunal au visa des observations présentes sur l’état des créances déposé par le mandataire judiciaire. Or, l’emploi du terme « signification » nous amène, de manière plus cohérente, a imposé cette obligation au créancier poursuivant qui devra, avant d’assigner le garant personne physique ou morale en paiement, purger cette voie de recours.

En outre, on notera que désormais, le créancier ne peut plus assigner le débiteur pour que le tribunal statue sur le projet de plan ou aux fins de clôture de la procédure (Décr., art. 31 ; suppression des mots « ou par assignation d’un créancier » à l’art. R. 628-11 c. com.).

Enfin, est supprimée la disposition réduisant le délai avant l’expiration duquel le juge-commissaire ne peut désigner aucun contrôleur, qui était de huit jours (contre 21 jours en droit commun ; Ord., art. 33 ; abrogation des art. R. 628-14 à R. 628-19 c. com.).

Les dispositions relatives au rebond du dirigeant

Dans le prolongement des dispositions relatives au rebond du dirigeant, la valeur de la réalisation de l’actif est réhaussée de 5 000 à 15 000 € pour l’ouverture d’un rétablissement professionnel (Décr., art. 44 ; C. com., art. R. 645-1 mod.).

Dans ce même objectif, une précision utile est apportée lorsque le tribunal prononce la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer (prévue à l’art. L. 653-8 c. com.). L’acte de notification du jugement doit mentionner « que la procédure pour obtenir le relèvement de ces sanctions est régie par les articles L. 653-11 et R. 653-4 du code de commerce » (Décr., art. 45 ; C. com., art. R. 653-3 mod.). Cette mesure d’information est une modification heureuse, le débiteur ayant souvent méconnaissance de la possibilité de relèvement de ces sanctions, notamment en contribuant personnellement au paiement du passif de la société.

Les dispositions relatives aux classes de parties affectées

À l’instar des dispositions relatives aux classes de parties affectées dans l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, celles du décret d’application du 23 septembre 2021 sont prévues dans un seul article (Décr., art. 22) portant réécriture intégrale de la section 3 du chapitre VI du titre II du livre VI du code de commerce.

Seuils pour le champ d’application des classes de parties affectées

Parmi les dispositions attendues, le décret précise les seuils pour le champ d’application des classes de parties affectées. Sans surprise, ils correspondent à ceux des tribunaux de commerce spécialisés désignés pour les grandes entreprises (C. com., art. L. 721-8), soit 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires net, ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net. Les seuils d’application sont donc réhaussés par rapport aux anciens comités de créanciers (si le seuil du chiffre d’affaires ne change pas, le nombre de salariés passe de 150 à 250). Ce rehaussement circonscrit davantage le nombre de sociétés pouvant bénéficier de plein droit de cette mesure phare de la réforme du livre VI du code de commerce.

Délais

Le décret précise en outre quelques délais applicables dans la mise en place des classes de parties affectées.

En particulier :

  • l’administrateur judiciaire invite les parties affectées à lui faire connaître par tout moyen l’existence d’un accord de subordination (mentionné au II de l’art. L. 626-30 c. com.) au plus tard dans un délai de dix jours à compter de la réception ou de la publication de cet avis (C. com., art. R. 626-55 nouv.). Ce bref délai concourt à l’accélération de la procédure ;
  • au moins vingt et un jours avant la date du vote, l’administrateur judiciaire notifie à chaque partie affectée les modalités de répartition en classes et de calcul des voix retenues, au sein de la ou des classes auxquelles elle est affectée (C. com., art. R. 626-58 nouv.) ;
  • chaque partie affectée est informée du projet de plan, au plus tard dix jours avant le vote des classes (C. com., art. R. 626-60, al. 2 nouv.) ;
  • le nouvel article R. 626-62 du code de commerce précise les délais de mise en place et de consultation des détenteurs du capital. Ceux-ci peuvent être répartis au sein d’une ou plusieurs classes et sont convoqués selon les dispositions du livre II du code de commerce. Les délais afférents à la convocation sont toutefois aménagés par rapport au droit commun de la consultation des assemblées de détenteurs de capital, afin de permettre un déroulement rapide de la consultation des classes de parties affectées.

Voies de recours

Le décret précise également les voies de recours ouvertes aux classes de parties affectées. L’article R. 626-54, dans sa rédaction modifiée, précise que la décision par laquelle le juge-commissaire autorise qu’il soit fait application des dispositions des articles L. 626-29 à L. 626-34 est « une mesure d’administration judiciaire » ). Par conséquent, aucun recours n’est possible, notamment de la part des créanciers. Il en était de même avec les comités de créanciers.

Surtout, s’agissant de la contestation relative à la qualité de partie affectée et aux modalités de répartition en classes et de calcul des voix , le calendrier de la purge de la contestation est cadencé : délai de contestation devant le juge-commissaire de dix jours à compter de la notification par l’administrateur judiciaire ; convocation par le greffe sans délai ; décision du juge-commissaire dans un délai de dix jours au terme duquel, en cas d’absence de décision du juge-commissaire, le tribunal peut être saisi et dispose d’un délai de dix jours pour rendre sa décision ; appel contre la décision du juge-commissaire ou du tribunal pouvant être formé dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision ; cour d’appel qui statue dans un délai de quinze jours de sa saisine. Le calendrier est donc serré (entre 2 et 3 mois maximum) et favorise le déroulement rapide du process (C. com., art. R. 626-58-1 nouv.).

En outre, au plus tard dans un délai de dix jours à compter du vote des classes sur le projet de plan, la partie affectée, qui a voté contre le projet de plan et qui entend contester le respect de la condition prévue au 4° de l’article L. 626-31 ou du cinquième ou du dixième alinéa de l’article L. 626-32, saisit le tribunal par requête déposée au greffe contre récépissé (C. com. art. R. 626-64, I nouv.). Dans son jugement, le tribunal devra notamment statuer sur la valeur de l’entreprise du débiteur, au besoin en ordonnant une expertise. Nous avions déjà souligné que la détermination de la valeur de l’entreprise est source d’un contentieux compte tenu de son importance dans l’effectivité du respect des critères susvisés. Le décret d’application aménage un appel de la décision du tribunal et l’encadre dans un délai de dix jours à compter de sa notification ou de sa communication (pour le ministère public).

Nous noterons enfin le recours à la communication par voie électronique afin de faciliter et accélérer les échanges entre l’administrateur judiciaire et les classes de parties affectées, tout particulièrement le troisième alinéa du nouvel article R. 626-55 du code de commerce aux termes duquel : « Vaut consentement à la transmission par voie électronique l’utilisation de ces modalités de communication électronique » (Décr., art. 22). Cette adaptation des dispositions aux moyens de communication électroniques s’inscrit au demeurant dans les objectifs de la directive « restructuration et insolvabilité ». La boucle est bouclée… ou presque !