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La réforme du droit des sûretés est lancée

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », autorise le gouvernement à réformer le droit des sûretés par voie d’ordonnance, d’ici mai 2021. La Chancellerie a décidé d’associer les professionnels du droit, les acteurs économiques et les universitaires dans ses travaux.

par Jean-Denis Pellierle 2 juillet 2019

La réforme du droit des sûretés est enfin lancée ! L’article 60, I, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte » (JO du 23 mai) autorise en effet le gouvernement à « prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants […] » (O. Gout, Quelle réforme pour les sûretés dans la loi PACTE ? AJCA 2019. 264  ; C. Juillet, L’article 60 de la loi Pacte, coup d’envoi de la réforme du droit des sûretés, JCP N, 31 mai 2019, p. 1208). La voie choisie pour réformer le droit des sûretés ne surprend guère, l’ordonnance étant devenue très courante depuis un certain temps, particulièrement dans les matières réputées techniques. C’est d’ailleurs la voie qui avait été empruntée lors de la précédente réforme de la matière en 2006 (ord. n° 2006-346, 23 mars 2006, relative aux sûretés). C’est également la voie qu’a privilégiée le législateur pour réformer le droit des contrats, le régime général et la preuve des obligations (ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations).

C’est ainsi l’ensemble des sûretés, tant personnelles (essentiellement le cautionnement) que réelles, qui seront touchées par la réforme, qui doit intervenir au plus tard le 23 mai 2021, étant précisé qu’« un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de quatre mois à compter de la publication de l’ordonnance […] » (L. n° 2019-486, art. 60, II). Au demeurant, comme le précise le site du ministère de la justice, « le projet de réforme envisagé par la Chancellerie va s’inspirer pour partie des travaux du groupe de travail présidé par le professeur Michel Grimaldi, sous l’égide de l’Association Henri-Capitant, auquel la Direction des affaires civiles et du Sceau avait confié la mission de formuler des propositions permettant de parachever la réforme de 2006 » (sur ce projet, v. M. Grimaldi, D. Mazeaud et P. Dupichot, Présentation d’un avant-projet de réforme du droit des sûretés, D. 2017. 1717  ; v. égal. G. Piette et D. Nemtchenko, L’avant-projet de réforme du droit des sûretés, Lexbase hebdo, éd. aff., n° 540, 1er févr. 2018 ; concernant les dispositions relatives au cautionnement, v. J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement. À propos de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri-Capitant, D. 2018. 686 , spéc. n° 4 ; comp. A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 ). La lecture de l’article 60, I, délimitant les contours de l’habilitation, corrobore cette assertion, que l’on pouvait déjà prédire à l’époque où la loi Pacte était encore à l’état de projet (v. Dalloz actualité, 24 oct. 2018, obs. Y. Blandin isset(node/192674) ? node/192674 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192674 ; ibid., 25 juin 2018, obs. J.-D. Pellier isset(node/191274) ? node/191274 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>191274). À cet égard, l’on observera que la loi, qui reprend pour l’essentiel les domaines initialement prévus au sein du projet, autorise finalement le gouvernement à « inscrire et organiser dans le code civil le transfert de somme d’argent au créancier à titre de garantie » (L. n° 2019-486, art. 60, I, 11°), ce qui devrait conduire à la consécration du nantissement de monnaie scripturale (v. à ce sujet C. Juillet, Le nantissement de monnaie scripturale dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, RLDC, mars 2018, p. 17). En outre, le gouvernement est également autorisé à « moderniser les règles du code civil relatives à la conclusion par voie électronique des actes sous signature privée relatifs à des sûretés réelles ou personnelles afin d’en faciliter l’utilisation » (L. n° 2019-486, art. 60, I, 13°). En effet, à l’heure actuelle, l’article 1175 du code civil fait exception à la possibilité de conclure par voie électronique « les actes sous signature privée relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou commerciale, sauf s’ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession » (v. à ce sujet G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, n° 462).

Mais la Chancellerie a également tenu à préciser que « le périmètre de la réforme entreprise excède toutefois les seules sûretés civiles pour aborder notamment les règles relatives aux sûretés mobilières spéciales prévues par le code de commerce et les modalités de leur publicité, ainsi que l’articulation entre le droit des sûretés et le droit des entreprises en difficulté (C. com., livre VI) ». L’article 60, I, 14°, de la loi du 22 mai 2019 prévoit en effet de « simplifier, clarifier et moderniser les règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le livre VI du code de commerce, en particulier dans les différentes procédures collectives, notamment en adaptant les règles relatives aux sûretés au regard de la nullité de certains actes prévue au chapitre II du titre III du même livre VI, en améliorant la cohérence des règles applicables aux garants personnes physiques en cas de procédure collective et en prévoyant les conditions permettant d’inciter les personnes à consentir un nouvel apport de trésorerie au profit d’un débiteur faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité ou bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement arrêté par le tribunal ». C’est d’ailleurs sur ces points que porte le questionnaire diffusé par la Chancellerie. Il est précisé à ce sujet qu’« afin d’élaborer un projet d’ordonnance, la Direction des affaires civiles et du Sceau a lancé une consultation auprès des professionnels du droit, des acteurs économiques et des universitaires. Celle-ci a permis de recueillir leurs observations sur les propositions du groupe de travail de l’Association Henri-Capitant relatives aux sûretés prévues dans le code civil, ainsi que les réponses à un questionnaire portant principalement sur la réception du droit des sûretés par le code de commerce ». Le ministère a ainsi entendu les vœux d’une partie de la doctrine, considérant qu’une nouvelle réforme des sûretés ne saurait faire abstraction du droit des entreprises en difficulté (R. Dammann et M. Guermonprez, Pour une réforme du droit des sûretés en adéquation avec le droit des entreprises en difficulté, D. 2018. 1160  ; A. Bézert, L’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri Capitant : un coup d’épée dans l’eau ? RLDC janv. 2018, p. 48). Il faut néanmoins observer que les dispositions prévues par l’avant-projet de réforme de l’Association Henri-Capitant sur ce point, pour cohérentes qu’elles soient, n’en sont pas moins lacunaires, dans la mesure où elles portent principalement sur la réalisation des sûretés dans le cadre des procédures collectives. Il s’agit de la généralisation de l’attribution judiciaire et de l’ouverture de l’attribution conventionnelle dans la liquidation judiciaire. Si elles devaient être adoptées (ce qui n’est pas expressément prévu par l’article 60 de la loi Pacte), ces mesures seraient potentiellement dangereuses pour les créanciers privilégiés (F. Macorig-Venier, L’avant-projet de réforme des sûretés de l’Association Henri-Capitant et les modifications apportées au livre VI du code de commerce, Bull. Joly Entreprises en difficulté, janv. 2018, p. 10 ; v. égal. D. Bondat, « Menaces par ordonnance ». À propos des articles 16 et 64 du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, Dr. soc. 2019. 35 , spéc. n° 22).

Quoi qu’il en soit, on ne peut que saluer l’initiative de la Chancellerie, en espérant qu’elle permettra de soumettre la réforme du droit des sûretés à une discussion constructive.