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Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions relatives à la formation et à l’étendue du cautionnement.

Droit antérieur et présentation de la réforme

La formation et l’étendue du cautionnement faisaient l’objet avant la réforme de quelques dispositions dans le code civil qui constituaient la section Première du chapitre consacré au cautionnement. Mais l’essentiel du droit positif ressortait depuis plusieurs années soit de dispositions insérées dans le code de la consommation, relatives à la mention manuscrite (C. consom., anc. art. L. 331-1 à L. 331-3, L. 343-1 à L. 343-3, L. 314-15, L. 314-16 et L. 341-51-1) et à l’exigence de proportionnalité (C. consom., anc. art. L. 314-18, L. 332-1 et L. 343-4), soit de solutions prétoriennes, sur le devoir de mise en garde, pure création jurisprudentielle, ou le régime des exceptions opposables par la caution, qui était le résultat d’une interprétation discutable de l’article 2313 ancien du code civil. Le régime du cautionnement s’est ainsi développé en dehors du code civil, au détriment de la lisibilité et de l’accessibilité du droit positif, encore dégradées par un contentieux foisonnant (v. not., C. Albiges, La recodification du droit du cautionnement, Formalisme, proportionnalité et obligations d’information, quelles perspectives ?, in Le réforme du droit des sûretés, ss la dir. de L. Andreu et M. Mignot, Institut Universitaire Varenne, p. 73).

La réforme présente deux avantages majeurs. Sur la forme d’abord, elle a réuni dans le code civil, au sein de la Section II qui est l’objet de la présente étude, l’ensemble des règles applicables à la formation et à l’étendue du cautionnement. Elle a ainsi abrogé les dispositions du code de la consommation relatives au formalisme et à la sanction de la disproportion (Ord., art. 32), tout en codifiant le devoir de mise en garde. Sur le fond ensuite, elle est porteuse de plusieurs modifications majeures : le législateur a repensé ces règles avant de les intégrer dans le code civil, et il entend combattre la jurisprudence, notamment sur l’opposabilité des exceptions.

Le formalisme

Deux dispositions concernent la forme du cautionnement. D’abord, le nouvel article 2294 du code civil reprend l’ancien article 2292 et dispose que « Le cautionnement doit être exprès. Il ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». Le cautionnement ne peut donc être tacite et doit être interprété strictement. Mais il est surtout un contrat solennel lorsqu’il est souscrit par une personne physique puisque l’article 2297 nouveau dispose, en son alinéa 1er, qu’« À peine de nullité de son engagement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme écrite en toutes lettres ». Ce texte, qui reprend l’idée d’une mention obligatoire sanctionnée par la nullité du contrat, apporte plusieurs modifications majeures par rapport au droit antérieur.

D’abord, le champ d’application du formalisme est étendu à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques alors qu’il ne concernait avant la réforme que les cautions personnes physiques s’engageant au profit de créanciers professionnels (C. consom., anc. art. L. 331-1 et L. 343-1). La protection de la caution en sort accrue, et toute discussion sur la qualification de créancier professionnel est ainsi évitée (v. par ex., Com. 9 juill. 2009, n° 08-15.910 P, D. 2009. 2198 , note S. Piédelièvre ; ibid. 2032, obs. X. Delpech ; ibid. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 758, obs. P. Crocq ; RTD com. 2009. 601, obs. D. Legeais ; ibid. 796, obs. D. Legeais ; RLDC oct. 2009, 35, obs. J.-J. Ansault ; Banque et droit, n° 127, sept.-oct. 2009. 44, obs. F. Jacob ; 27 sept. 2017, n° 15-24.895 P, D. 2017. 1908 ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; JA 2017, n° 568, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ contrat 2017. 544, obs. Y. Picod ; JT 2017, n° 202, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2018. 178, obs. P. Crocq ; RTD com. 2018. 161, obs. D. Hiez ; Gaz. Pal. 21 nov. 2017, p. 26, obs. M.-P. Dumont-Lefrand).

Ensuite, la mention n’est plus prérédigée par le législateur, comme l’était celle des articles L. 331-1 et L. 314-15 anciens du code de la consommation. L’objectif est ici de réduire le contentieux qu’avaient fait naître ces dispositions en cas de non-respect de la rédaction légale de la clause. La Cour de cassation avait d’ailleurs fait évoluer sa jurisprudence : sanctionnant naguère toute erreur qui n’était pas purement matérielle (Com. 5 avr. 2011, n° 09-14.358 P et 5 avr. 2011, n° 10-16.426 P, D. 2011. 1132, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2012. 1573, obs. P. Crocq ; ibid. 1908, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; Defrénois 2012. 40388, obs. S. Cabrillac), elle avait ensuite accepté la validité des cautionnements comprenant une mention qui, bien que différente de la mention légale, n’altérait pas son sens et sa portée (principe constant depuis, Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 12-18.544 P, D. 2013. 1460, obs. V. Avena-Robardet , note J. Lasserre Capdeville et G. Piette ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; RDI 2013. 359, obs. H. Heugas-Darraspen ; Dr. et patr. juill. 2013, obs. A. Aynès ; JCP E 2013. 1268, obs. D. Legeais). La casuistique était importante, la prévisibilité des solutions médiocre (v. D. Fenouillet et alii, Droit de la consommation, Dalloz Action 2020-2021, nos 352.71 s.), sans oublier que la Cour de cassation avait créé des sanctions propres à certaines irrégularités, telles que la réduction de l’assiette du droit de gage du créancier si l’ensemble des « biens et revenus » du débiteur n’était pas visé (Com. 1er oct. 2013, n° 12-20.278 P, D. 2014. 127, obs. V. Avena-Robardet , note M. Julienne et L. Andreu ; ibid. 2013. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; ibid. 2014. 1610, obs. P. Crocq ; ibid. 2136, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2013. 791, obs. D. Legeais ; JCP 2014. 207, note J.-D. Pellier ; Com. 27 mai 2014, n° 13-16.989 NP) ou encore l’absence de garantie des accessoires non mentionnés dans la mention manuscrite (Com. 4 nov. 2014, n° 13-24.706 P, D. 2014. 2293 ; ibid. 2015. 1810, obs. P. Crocq ; RDI 2015. 29, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJCA 2015. 33, obs. Y. Picod ; RTD civ. 2015. 182, obs. P. Crocq ; Gaz. Pal. 3-4 déc. 2014, p. 15, obs. C. Albiges ; ibid. 22 janv. 2015, p. 9, obs. M. Mignotl ; ibid. 15-17 mars 2015, p. 26, obs. P. Pailler ; RLDC janv. 2015. 33, obs. J.-J. Ansault ; Defrénois 2015. 490, obs. S. Cabrillac ; Banque et dr. 1-2/2015. 75, obs. E. Netter ; JCP 2015. 604, obs. P. Simler ; 17 mai 2017, n° 15-26.397 NP ; 14 mars 2018, n° 14-17.931 NP).

Désormais, le contenu de la mention est allégé puisque, notamment, la durée du cautionnement n’y figure plus. Surtout, la liberté de rédaction est plus grande. Mais il existe un risque qu’un nouveau contentieux se substitue à l’ancien et porte sur l’appréciation de la clarté suffisante de la mention. Si l’indication du montant de l’engagement en lettres et en chiffres ne pose a priori pas de difficulté, d’autant que les rédacteurs ont pris le soin de prévoir l’éventualité d’une discordance entre les deux, il reste la question de l’incidence d’une rédaction malheureuse de l’engagement de payer en cas de défaillance du débiteur, ou encore celle de l’absence de mention des accessoires. Sur ce point en effet, l’article 2295 nouveau généralise l’ancien article 2293, alinéa 1er, en précisant que « sauf clause contraire, le cautionnement s’étend aux intérêts et autres accessoires ». Pourtant, l’article 2297 semble exiger de mentionner les accessoires dans la mention apposée par la caution personne physique. Ces accessoires pourraient donc, demain comme aujourd’hui, n’être pas garantis s’ils ne sont pas visés par la mention apposée par la caution. Il reviendra alors au juge d’indiquer les rédactions acceptables, celles qui ne le sont pas, et celles qui impliquent d’adapter l’étendue du cautionnement.

Enfin, la mention de l’article 2297 nouveau peut être apposée par la caution sans être manuscrite. La voie est ainsi ouverte à la dématérialisation du cautionnement, conformément au principe posé par l’article 1174 du code civil, et à l’article 1175 au sein duquel l’exception relative aux sûretés consentis pour des besoins non professionnels a été supprimée par la réforme.

L’article 2297, alinéa 2, prévoit en outre une mention spécifique pour la renonciation au bénéfice de discussion – ou solidarité verticale – et de division – ou solidarité horizontale. Le texte est ainsi plus large que les articles L. 314-16 et L. 331-2 anciens du code de la consommation qui ne visaient que la renonciation au bénéfice de discussion. En revanche, aucune rédaction précise n’est imposée, ce qui, là encore, ouvrira la voie à un contentieux sur l’éventuelle imprécision ou inexactitude des termes choisis. Le législateur consacre enfin la solution actuelle sur la sanction de l’irrégularité de ces mentions de solidarité : le cautionnement n’est pas nul, mais simple et conjoint (constant depuis Com. 8 mars 2011, n° 10-10.699 P, D. 2011. 1193, obs. V. Avena-Robardet , note Y. Picod ; RTD civ. 2011. 375, obs. P. Crocq ; RTD com. 2011. 402, obs. D. Legeais ).

Les articles L. 331-3 et L. 314-17 anciens du code de la consommation étant abrogés et non repris, un cautionnement authentique, ou contresigné par un avocat – qui n’est pas soumis à l’exigence de la mention manuscrite en application des articles 1369, alinéa 3 et 1374 du code civil – devrait désormais pouvoir être à la fois illimité et solidaire.

La proportionnalité

Comme elle l’a fait pour le formalisme, la réforme a intégré dans le code civil l’exigence légale de proportionnalité, et corrélativement abrogé les articles L. 314-18, L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation, mais cette recodification ne s’est pas faite à droit constant. L’article 2300 nouveau du code civil dispose que « Si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ».

Une première évolution, qui apparaît dans le texte final de l’ordonnance alors qu’elle n’était pas proposée par les avant-projets, consiste à n’apprécier la disproportion qu’au jour de la conclusion de l’engagement. Il suffit donc désormais qu’un cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un professionnel soit manifestement disproportionné au jour de sa souscription pour que la sanction soit encourue. Le créancier ne peut plus y échapper en établissant que la caution est « en mesure d’y faire face au moment où elle est appelée » (voir l’avant-projet d’ordonnance qui reprenait sur ce point, en substance, les textes anciens).

Cette faveur pour les cautions est cependant contrebalancée par la seconde évolution portée par le texte nouveau, qui crée une sanction beaucoup moins sévère pour le créancier. Le code de la consommation prévoyait la décharge totale de la caution, sans que ses capacités à payer une partie de sa dette ne puisse avoir une quelconque influence. Cette sanction présentait l’avantage majeur d’être dissuasive (D. Fenouillet, Le code de la consommation ou pourquoi et comment protéger la caution ?, RDC 2004. 304 ; ibid. 2011. 137, obs. ss Com. 22 juin 2010, n° 09-67.814), même si certains la jugeaient excessive et fruste (P. Simler, Cautionnement : Garanties autonomes. Garanties indemnitaires, 5e éd., « Traités », LexisNexis, 2015, n° 880 ; M. Bourassin, V. Brémond et M.-N. Jobard-Bachellier, Droit des sûretés, 5e éd., « Université », Sirey, 2016, n° 257 ; N. Mathey, Le caractère excessif de l’engagement de la caution, RDBF 2012. Dossier 41 ; G. Piette, La sanction du cautionnement disproportionné, Dr. et patr. 2004. 44 s.). L’ordonnance a donc opté pour la seule réduction de l’engagement et a suivi en cela l’avant-projet de l’Association Capitant pourtant critiqué sur ce point (S. Cabrillac, L’exigence légale de proportionnalité du cautionnement : plaidoyer pour le maintien d’une comparaison utilisée par la loi et sa sanction… disproportionnée, in Études en l’honneur du professeur M.-L. Mathieu, Bruylant, 2019, p. 119 ; A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit de sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 ). L’article 2300 nouveau apporte cependant une précision importante, en indiquant que la réduction a lieu à hauteur des capacités financières de la caution au jour de l’engagement, et non au jour des poursuites. Il s’agit donc de réduire l’engagement, non à ce qui peut être payé par la caution poursuivie, mais au montant auquel les parties auraient dû, ab initio, plafonner le cautionnement. Il reste que les créanciers n’auront plus grand intérêt à prendre le soin d’adapter l’engagement de la caution à sa situation financière. Les cautionnements disproportionnés risquent donc de se multiplier. Les créanciers bénéficiaires de plusieurs cautionnements devront cependant être vigilants dès lors qu’un cautionnement, même disproportionné, doit être pris en compte pour apprécier la proportionnalité d’un autre (v. la jurisprudence constante sur la prise de la prise en compte de « l’endettement global de la caution y compris celui résultant d’engagements de caution », not. Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812 P, D. 2013. 1340, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; RTD civ. 2013. 607, obs. H. Barbier ).

Le devoir de mise en garde

La création d’un texte sur le devoir de mise en garde est une avancée majeure de la réforme par rapport au droit positif et à l’avant-projet de l’Association Capitant qui restait muet sur ce point (A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit de sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678). Le texte nouveau appelle des remarques quant à l’objet du devoir de mise en garde, à son champ d’application et à sa sanction.

L’article 2299, alinéa 1er, dispose que « Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier ». Le devoir de mise en garde n’a donc plus qu’un seul objet, qui réside dans le caractère excessif du crédit garanti par rapport aux capacités de remboursement du débiteur principal. La solution contraste avec le devoir prétorien de mise en garde qui porte à la fois sur le caractère inadapté du crédit garanti par rapport aux capacités de remboursement de l’emprunteur, mais aussi sur le caractère disproportionné du cautionnement par rapport aux capacités financières de la caution (Com. 15 nov. 2017, n° 16-16.790 P, D. 2017. 2573 , note C. Albiges ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2018. 185, obs. P. Crocq ; CCC 2018. Comm. 21, obs. L. Leveneur, solution constante depuis ; v. L. Bougerol, Le devoir de mise en garde, incertitudes et perspectives, Revue de droit d’Assas, déc. 2019, p. 130). L’exclusion de la disproportion du cautionnement du champ du devoir de mise en garde est source de clarté et de lisibilité. La coexistence de deux corps de règles venant lutter contre le même mal, à savoir l’excès de l’engagement de la caution par rapport à ses propres capacités financières, était source de complexité et de contentieux.

Le champ d’application du devoir de mise en garde est également modifié pour être aligné sur celui de l’exigence de proportionnalité, puisqu’il concerne désormais les rapports de toute personne physique avec un créancier professionnel. Le devoir de mise en garde ne pèse donc plus exclusivement sur les établissements de crédit, comme on pouvait le soutenir au regard de la jurisprudence. Surtout, la réforme sonne le glas de la distinction entre la caution avertie et la caution non avertie qui était la source d’un contentieux abondant et d’une certaine insécurité juridique. Les dirigeants sociaux s’en féliciteront, à la différence des cautions personnes morales non averties qui sortent ainsi du champ de la protection.

Enfin, la réforme modifie la sanction du manquement au devoir de mise en garde. Alors que celle-ci résidait auparavant dans l’allocation de dommages intérêts venant réparer un préjudice de perte de chance de ne pas contracter (v. not., Com. 20 oct. 2009, n° 08-20.274 P, D. 2009. 2971 , note D. Houtcieff ; ibid. 2607, obs. X. Delpech ; JCP 2009, n° 46, 422, note L. Dumoulin ; JCP E 2009. 2053, note D. Legeais; JCP 2009, n° 48, 23 nov. 2009, p. 482, note S. Piedelièvre ; Banque et Dr. 11-12/2009. 62, obs. N. Rontchevsky ; ibid. 1-2/2010. 20, obs. T. Bonneau ; 12 juill. 2017, n° 16-10.793 P, D. 2017. 2020 , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2328, chron. A.-C. Le Bras, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et S. Tréard ; ibid. 2018. 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ contrat 2017. 433, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2017. 527, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2017. 669, obs. D. Legeais ), lesquels se compensaient avec la dette de la caution, l’article 2299, alinéa 2, dispose désormais que faute d’avoir mis en garde, « le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci ». Le choix de cette sanction de la déchéance met fin au recours malheureux au mécanisme de la compensation. Celui-ci impliquait en effet de considérer que la caution avait exécuté son obligation en totalité – fût-ce par compensation –, ce qui lui permettait en principe de recourir contre le débiteur pour la totalité de la dette garantie. La Cour de cassation s’écartait parfois de cette logique pour faire produire à cette compensation les effets d’une décharge directe de la caution et non d’une cause d’extinction de l’obligation satisfactoire pour le créancier puisqu’elle a notamment refusé au débiteur la possibilité d’opposer au créancier l’extinction qui était intervenu par « compensation » entre la dette de la caution et celle du créancier ayant manqué à son devoir de mise en garde (Com. 13 mars 2012, n° 10-28.635 P, D. 2012. 1043 , note A. Dadoun ; ibid. 1218, chron. J. Lecaroz, H. Guillou et F. Arbellot ; ibid. 1573, obs. P. Crocq ; ibid. 2013. 1706, obs. P. Crocq ; RTD com. 2012. 389, obs. D. Legeais ). Le recours à la déchéance permet plus de cohérence, et il devrait également plaider pour que le moyen tiré du manquement au devoir de mise en garde soit systématiquement qualifié de défense au fond, non soumise à la prescription, et non de demande reconventionnelle (v. L. Bougerol, Le devoir de mise en garde, incertitudes et perspectives, Revue de droit d’Assas, déc. 2019, p. 130).

Le caractère accessoire et l’opposabilité des exceptions

Le cautionnement est l’accessoire de la ou des obligations garanties. C’est la raison pour laquelle il suppose une obligation garantie valable, déterminée ou déterminable, même si celle-ci peut être présente ou future, et même si le cautionnement peut être constitué en garantie d’un ensemble d’obligations. Ces principes, naguère portés par l’article 2289 ancien, sont repris les articles 2292 et 2293 nouveaux du code civil. Le caractère accessoire est aussi le fondement de l’article 2296, qui reprend l’article 2290 ancien, et qui dispose en ses alinéas 1er et 2 que « Le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. Il peut être contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ». Ce même texte implique que la caution, qui ne peut être tenue plus durement que le débiteur principal, puisse opposer au créancier toutes les exceptions nées dans les rapports entre ces derniers. L’article 2298 nouveau dispose en ce sens, en son alinéa 1er, que « La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293 », lequel permet de se porter caution d’un incapable en toute connaissance de cause. La réforme rétablit ainsi le principe d’opposabilité des exceptions – sous réserve de l’incapacité – et combat fermement la jurisprudence de la Cour de cassation qui y portait atteinte depuis 2007. La Cour de cassation s’est notamment fondée sur la rédaction maladroite de l’article 2313 ancien du code civil, qui distinguait entre les exceptions inhérentes à la dette, opposables, et les exceptions purement personnelles, inopposables, pour juger que la caution ne pouvait se prévaloir d’une cause de nullité relative de l’obligation principale (Cass., ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, D. 2008. 514 , note L. Andreu ; ibid. 2007. 1782, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2201, note D. Houtcieff ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; AJDI 2008. 699 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2008. 331, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 585, obs. D. Legeais ; ibid. 835, obs. A. Martin-Serf ; BICC, n° 667, 15 sept. 2007, p. 38 s., rapport Pinot et avis de Gouttes ; RLDC sept. 2007, p. 25 s., note L. Aynès ; Banque et droit juill.-août 2007, p. 48, obs. F. Jacob ; CCC nov. 2007, n° 269, obs. L. Leveneur ; Dr. et proc. sept.-oct. 2007, p. 295 s., obs. Y. Picod ; JCP E 2007, 1861, note S. Piedelièvre ; JCP 2007. II. 10138, note P. Simler ; Dr. et patrimoine sept. 2007, p. 85 s., obs. P. Stoffel-Munck), d’une clause de conciliation liant le débiteur principal au créancier (Com. 13 oct. 2015, n° 14-19.734, RLDC janv. 2016, p. 28, note M. Mignot ; RD banc. fin. janv.-févr. 2016. Comm. 16, obs. D. Legeais ; 9 mai 2018, n° 16-20.212), de la renonciation du créancier à agir contre ce dernier (Com. 22 mai 2007, n° 06-12.196 P, RD banc. fin. juill.-août 2007, n° 147, obs. A. Cerles ; JCP 2007. I. 212, n° 2, obs. P. Simler), ou encore de la prescription biennale de l’obligation garantie (Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147 P, D. 2020. 523 , note M. Nicolle ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et U. Schreiber ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers ). Cette jurisprudence méconnaissait le sens historique de l’article 2313, qui ne visait qu’à rendre inopposable l’incapacité (J.-B. Treilhard, Présentation au Corps législatif, in P. A. Fenet Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. XV, Videcoq, 1827, p. 45 ; G.-A. Chabot de l’Allier, Rapport au Tribunat, op. cit., p. 58 ; adde par ex. A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, nos 77 s. et nos 475 s. ; P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., 2016, Dalloz, n° 112 ; C. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979, nos 142 s.), et était critiquée par une grande partie de la doctrine (V. cependant, v. J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation – Contribution à l’étude du concept de coobligation, préf. P. Delebecque, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 539, 2012, nos 216 s. V. égal., J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement – À propos de l’Avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri Capitant, D. 2018. 686, spéc. n° 6 ; J.-D. Pellier, Les sûretés personnelles en droit prospectif, in L’incidence de la réforme du droit des obligations sur les sûretés personnelles, Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, dir. L. Andreu et M. Mignot, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2017, p. 499, spéc. n° 30). Elle va prendre fin, de façon certaine pour les cautionnement conclus après l’entrée en vigueur de la réforme, et si la Cour de cassation s’en inspire, pour les cautionnements antérieurs.

L’alinéa 2 de l’article 2298 pose cependant une exception importante au principe d’opposabilité des exceptions puisqu’il dispose que « Toutefois la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire ». Là encore, le texte mérite l’approbation. En effet, la défaillance du débiteur, conséquence de son insolvabilité justifiant la mise en place de mesures légales ou judiciaires, est précisément le risque garanti par le cautionnement, qui doit être pleinement efficace lorsqu’il se réalise (v. not., P. Crocq, Le droit des procédures collectives et le caractère accessoire du cautionnement, in Mélanges Malaurie, 2005, Defrénois, p. 71 s. ; P. Théry, RTD civ. 2007. 805 adde R.-J. Pothier, Œuvres. Traité des obligations, t. II, par J. Bugnet, Marchal, Billard et Cie, 2e éd., 1861, nº 380). L’article 2298, alinéa 2, est assez large en ce qu’il vise toutes « mesures ». Seront alors en principe inopposables, qu’ils soient d’origine légale ou judiciaire, les délais et remises, suspensions de poursuites, ou encore arrêts du cours des intérêts, sans oublier la sanction d’un défaut de déclaration de créance. Ce point de la réforme, qui consacre un grand nombre de solutions, devrait en revanche conduire à l’abandon de la jurisprudence actuelle qui retient que la caution peut opposer l’extinction de la créance consécutive à une déclaration irrégulière et à une décision de rejet par le jugement commissaire (Com. 22 janv. 2020, n° 18-19.526 P, D. 2020. 855 , note J.-D. Pellier ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. sociétés 2020. 193, obs. F. Reille ; RTD civ. 2020. 692, obs. P. Théry ; RTD com. 2020. 465, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. Pal. 2020, n° 15, p. 60, note P.-M. Le Corre, et 18 févr. 2020, n° 370n9, p. 39, obs. M.-P. Dumont ; BJE 2020, n° 117s6, p. 37, note M. Houssin ; JCP E 2020. 1204, n° 14, obs. P. Pétel ; RPC 2020. Comm. 52, obs. N. Borga ; RDBF 2020. Comm. 28, obs. D. Legeais ; v. égal. en ce sens l’art. L. 624-2, dans sa rédaction issue de l’ordonnance portant réforme du Livre VI du code de commerce). Seul un texte spécial, pourra désormais rendre la déclaration irrégulière opposable. Enfin, puisque ne sont concernées que les mesures « légales ou judicaires », tout délai ou remise conventionnel devrait être opposable (v. en ce sens, Com. 25 mars 2020, n° 18-26.482 ; comp., pour l’inopposabilité d’un plan conventionnel de redressement d’un débiteur surendetté, Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-12.856 P, D. 1997. 141 , concl. J. Sainte-Rose , note T. Moussa ; ibid. 178, obs. D. Mazeaud ; ibid. 200, obs. P.-L. Chatain et F. Ferrière ; RTD civ. 1997. 190, obs. P. Crocq ; RTD com. 1997. 142, obs. G. Paisant ; JCP 1997. II. 22780, note P. Mury ; ibid. I. 4033, n° 7, obs. P. Simler ; ibid. E 1997. II. 903, note D. Legeais ; Gaz. Pal. 1997. 2. Somm. 189, obs. S. Piedelièvre ; Defrénois 1997. 292, note L. Aynès).

Le législateur peut évidemment déroger à cette inopposabilité des exceptions nées des difficultés financières du débiteur principal, et c’est ce qu’il fait au sein de nombreuses dispositions du Livre VI du code de commerce, relatives notamment à la suspension des poursuites attachées au jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement, à l’arrêt du cours des intérêts, aux délais et remises accordés par un plan ou encore à l’inopposabilité consécutive à l’absence de déclaration pendant l’exécution du plan, afin d’inciter les dirigeants cautions à solliciter l’ouverture d’une procédure collective (v. not. les art. L. 622-26, al. 2 et L. 622-28, al. 1er et 2 et L. 626-11, al. 2, c. com). L’ordonnance portant réforme du Livre VI du code de commerce a d’ailleurs sur ce point aligné le sort des cautions personnes physiques en cas de redressement sur celui qui existait auparavant en cas de sauvegarde (v. la suppression du dernier alinéa de l’art. L. 631-14 et la modification l’art. L. 631-20).

 

 

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