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Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la réserve de propriété.

« Sûreté vedette de la fin du XXe siècle » (M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et P. Pétel, Droit des sûretés, LexisNexis, coll. « Manuels », 10e éd., 2015, n° 851), dont les atours la rapprochent de la sûreté idéale, la clause de réserve de propriété traverse les décennies sans que son succès ne se démente. Dérogeant au principe du transfert de propriété solo consensu (C. civ., art. 1196), la clause de réserve de propriété suspend l’effet translatif du contrat, le plus souvent une vente, jusqu’au complet paiement de la contrepartie, le plus souvent, le prix de vente (C. civ., art. 2367). Ignorée du code civil jusqu’à l’ordonnance du 23 mars 2006, qui a procédé à une simple codification à droit constant, la réserve de propriété est simplement ponctuellement retouchée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés. C’est ainsi une réforme a minima, qui n’épuise pas les termes de l’habilitation (v. art. 60-I, 8° de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 : autorisant le gouvernement à « compléter les règles du code civil relatives à la réserve de propriété, notamment pour préciser les conditions de son extinction et les exceptions pouvant être opposées par le sous-acquéreur »), qui est opérée : la clause de réserve de propriété, telle que dessinée par la présente ordonnance, ressemble (presque) à s’y méprendre à celle consacrée par l’ordonnance du 23 mars 2006.

Ainsi, la stabilité du régime de la clause de réserve de propriété prédomine, ce n’est qu’exceptionnellement que des évolutions sont opérées.

Droit antérieur à la réforme : la stabilité des principes

À la lecture de l’ordonnance du 15 septembre 2021, un constat s’impose : les articles 2367 et suivants du code civil, siège de la clause de réserve de propriété, sont très largement inchangés. Les principes directeurs demeurent donc.

S’agissant, en premier lieu, de sa constitution et de ses effets. Sa formation répond à un formalisme dépourvu de toute lourdeur : seul un accord des volontés est exigé et l’écrit, exigé par l’article 2368 du code civil, n’est qu’une simple règle de preuve (sur la publicité facultative et son intérêt en cas de procédure collective, v. art. 117 du décr. 28 déc. 2005). L’assiette de la clause de réserve de propriété, quant à elle, se caractérise par sa grande polyvalence : la réserve de propriété mobilière, faisant l’objet corpus de règle nourri, côtoie la réserve de propriété immobilière, dont seul le principe est consacré (C. civ., art. 2373, al. 2). Quant aux créances garanties, si l’on songe immédiatement au prix de vente, on ne saurait s’arrêter à lui : tout contrat impliquant un transfert de propriété d’un bien moyennant une contrepartie peut inclure une telle sûreté. Le contrat d’entreprise peut donc donner prise à la clause de réserve de propriété (v. par ex., Com. 29 mai 2001, n° 98-21.126, inédit, RTD civ. 2001. 930, obs. P. Crocq ; v. égal. P. Puig, Contrat d’entreprise et transfert de propriété, in Mélanges J. Dupichot, Bruylant, 2004, p. 393 s.). Les effets de la clause de réserve de propriété laissent, quant à eux, une large place aux parties (Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16011 sur les clauses abusives, D. 2016. 2516 ; ibid. 2017. 877, chron. M. Latina et E. Le Corre-Broly ; ibid. 1996, obs. P. Crocq ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ contrat 2017. 29, obs. J. Lasserre Capdeville ; RTD civ. 2017. 197, obs. P. Crocq ) qui peuvent, en dépit du silence des textes, prévoir conventions d’occupation précaire, octroyant alors au débiteur le droit de jouir et d’user du bien. Usuelle en pratique, cet aménagement va fréquemment de pair avec les clauses ayant pour effet de dissocier le transfert de propriété et le transfert des risques. L’adage Res perit domino est ainsi fréquemment écarté et le débiteur, non propriétaire, supporte les risques (Com. 20 nov. 1979, Mécarex (1er arrêt), Bull. civ. IV, n° 300 ; D. 1980. IR 571, note B. Audit ; JCP 1981. II. 19615, note J. Ghestin ; v. égal. Com. 19 oct. 1982, Mecarex (2e arrêt), Bull. civ. IV, n° 321 ; RTD civ. 1984. 515, note J. Huet : l’obligation de restitution de l’acquéreur n’est qu’une obligation de moyens et non de résultat).

S’agissant, en second lieu, des droits du créancier en cas de défaillance du débiteur. L’efficacité de la clause de réserve de propriété n’est plus à démontrer. En effet, demeuré propriétaire du bien, cette sûreté confère au créancier le droit de revendiquer le bien et d’en disposer. Il est ainsi préservé des affres du concours. Cette efficacité est d’autant plus grande qu’elle est accentuée par différentes mesures favorables à la revendication. L’incorporation du bien vendu ne fait pas obstacle à la revendication du bien, dès que le bien peut être séparé sans causer de dommage (C. civ., art. 2370) ; le créancier ayant vendu des choses fongibles peut revendiquer des « biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte » (C. civ., art. 2369). Cette dernière règle, « hérétique au regard de la notion de propriété » (M. Cabrillac, Les sûretés réelles entre vins nouveaux et vieilles outres, in Mélanges P. Catala, Litec, 2001, p. 709 s., nos 22 s.), est incontestablement de nature à favoriser l’efficacité de la clause. Néanmoins, une incertitude demeure, que ne lève pas l’ordonnance du 15 septembre 2021, quant aux droits du créancier en présence d’autres créanciers revendiquant la propriété de ces et en l’absence de stocks suffisants : si l’article 2369 suggère que leurs droits respectifs soient calculés au prorata de la somme restant due à chacun, on ne peut, hier comme aujourd’hui, avoir de certitude (P. Crocq, « Sûretés mobilières. – Clause de réserve de propriété », Jurisclasseur, Droit civil, n° 97 ; comp. F. Pérochon, La revendication de biens fongibles par le vendeur, LPA 14 sept. 1994, p. 82, n° 19 : prônant une répartition au prorata de la quantité livrée). Enfin, dernière manifestation de cette efficacité favorisée par le législateur : le report des droits du créancier réservataire sur la créance de prix de revente du bien et le report des droits sur l’indemnité d’assurance en cas de destruction du bien.

Mais c’est alors envisager les évolutions opérées par la présente ordonnance. La stabilité des principes cède alors la place aux évolutions.

Droit issu de la réforme : les évolutions ponctuelles

Parmi les évolutions opérées par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 seules deux ont une incidence sur le régime de la réserve de propriété.

La première brise la jurisprudence, il s’agit du nouvel l’article 2372. Jusqu’à présent doté d’un alinéa unique, cette disposition est complétée par un alinéa second. Hier comme aujourd’hui, l’alinéa 1er, qui n’a fait l’objet que de modifications formelles, prévoit qu’en cas d’aliénation ou de perte du bien, les droits du créancier se reportent soit sur la créance du prix de revente (v. égal. Com. 17 mars 1998, n° 95-11.209 : transfert de propriété du bien au profit du tiers effectué en exécution du contrat d’entreprise, D. 2000. 75 , obs. D. Mainguy ; ibid. 1999. 72, obs. A. Honorat ; RTD com. 1998. 911, obs. B. Bouloc ) soit sur l’indemnité d’assurance subrogée (Com. 29 mai 2001, RTD civ. 2001. 930, obs. P. Crocq ). Instauré par la présente réforme, l’alinéa second, reprenant la formule retenue par l’avant-projet de réforme élaboré sous l’égide de l’Association H. Capitant, mérite de plus amples développements. Il dispose que « le sous-acquéreur ou l’assureur peut alors opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette ainsi que les exceptions nées de ses rapports avec le débiteur avant qu’il ait eu connaissance du report ». Autrement dit, l’opposabilité des exceptions limite les droits du créancier réservataire. Or, la jurisprudence optait jusqu’alors pour une solution diamétralement opposée : elle n’avait de cesse de refuser au sous-acquéreur la possibilité d’opposer au créancier les malfaçons du bien vendu (Com. 3 janv. 1995, n° 93-11.093, D. 1996. 219 , obs. F. Pérochon ; ibid. 221, obs. F. Pérochon ; RTD civ. 1997. 166, obs. F. Zenati ) ou de considérer que la dation en paiement faite par le sous-acquéreur constituait « un mode de paiement mettant obstacle à la revendication du vendeur » (Com. 14 mai 2008, n° 06-21.532, D. 2008. 2253, obs. A. Lienhard , note H. Aubry ; RTD civ. 2008. 520, obs. P. Crocq ; RTD com. 2008. 866, obs. A. Martin-Serf ), permettant ainsi au créancier d’exiger de lui le paiement. La solution heurtait de plein fouet le principe de l’interdiction de non-enrichissement du créancier (Comp. la solution, CE, 6e et 11e s.-sect., 12 déc. 2007, n° 296345, AJDA 2007. 2410 ). La réforme le restaure : le sous-acquéreur peut dorénavant se prévaloir d’une part des exceptions inhérentes à la dette et d’autre part des exceptions nées des rapports entre le tiers et le débiteur, dès lors qu’elles sont nées avant que le tiers n’ait eu connaissance du report. Un alignement est ainsi opéré avec les solutions adoptées tant en matière de subrogation (C. civ., art. 1346-5) que de cession de créance (C. civ., art. 1324). Néanmoins, la réserve de propriété ne connaissant nullement le concept de notification, celle-ci, contrairement à ce qui prévaut dans la cession de créance, est sans incidence.

La seconde modification, trouvant son siège dans les dispositions relatives au gage, procède à une simple clarification. En effet, le nouvel article 2335 précise le sort du gage de la chose d’autrui que l’ordonnance du 23 mars 2006 avait déclaré nul. Il aura donc vocation à s’appliquer en cas de gage de la chose dont la propriété est réservée. Il ne fait désormais plus de doute : la nullité n’est qu’une nullité relative que seul le créancier gagiste, partie protégée par la règle édictée, est en mesure d’invoquer. Le créancier réservataire ne peut donc l’exiger, en conséquence de quoi, les solutions retenues par la jurisprudence en présence d’un conflit entre ce créancier et un créancier gagiste avec dépossession, sont maintenues : la possession de bonne foi de ce dernier tiendra en échec les droits du créancier propriétaire.

Bilan et perspective

Ainsi, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ne bouleverse nullement le régime de la réserve de propriété ; les évolutions sont marginales. La possibilité qu’offrait la loi d’habilitation de restaurer le caractère accessoire de cette sûreté en admettant son extinction en cas d’extinction de la créance garantie (V. not. en matière d’effacement des dettes, Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-10.891, D. 2014. 1081 , note D. R. Martin ; ibid. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle ; RTD civ. 2014. 370, obs. H. Barbier ) n’a pas été saisie. Les conséquences inopportunes d’une telle solution demeurent donc. Les termes de l’habilitation rendaient en revanche plus délicate la dernière proposition formulée par le groupe de travail présidé par M. Grimaldi : la consécration du droit du débiteur de disposer du bien. Ainsi, la clause de style l’admettant perdurera. En effet, la consécration implicite de cette faculté par l’article 2372 (v. supra) est incertaine : la modification n’ayant eu pour seul objectif que de « combattre une solution jurisprudentielle » (v. Rapport au président de la République) relative à l’opposabilité des exceptions. Gageons que la question se posera à l’avenir.

 

Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :

 Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021

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