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L’ordonnance portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés était très attendue, tant par la doctrine que les praticiens.

1. Loi d’habilitation. L’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés est enfin parue ; à un jour près de l’expiration de l’habilitation donnée par la loi du n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France, dite loi « Attractivité » (B. Dondero, Premières observations sur l’ordonnance réformant les nullités en droit des sociétés, Le Quotidien, Lexbase, 14 mars 2025). On rappelle que les objectifs de l’habilitation donnée au gouvernement par l’article 26, I, 1°, de cette loi, étaient « de simplifier et de clarifier le régime des nullités en matière de droit des sociétés, afin de renforcer la sécurité juridique de la constitution des sociétés, de leurs actes et délibérations ainsi que des règles qui y sont exposées ».
2. Refonte du régime des nullités. Contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, l’ordonnance ne se contente pas de procéder à des ajustements, ici ou là, concernant le régime des nullités en droit des sociétés qui, en dépit de multiples modifications, avait vieilli depuis la grande loi sur les sociétés commerciales du 24 juillet 1966 et sa reprise, en grande partie, dans le code civil par la loi du 4 janvier 1978. C’est en effet une ordonnance copieuse, de plus de 70 articles, qui refond le régime des nullités en droit des sociétés, incluant aussi bien les nullités des sociétés que celles des décisions sociales. Cela mérite d’être souligné car le « Rapport sur les nullités en droit des sociétés » remis à la Chancellerie par le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) le 27 mars 2020, dont est inspirée l’ordonnance, ne préconisait pas de toucher au régime des nullités des sociétés. Au motif qu’elles ne posaient pas ou plus de difficultés, ce qui est vrai, le groupe de travail avait donc concentré ses réflexions sur les nullités des décisions sociales et ce, en s’inspirant de travaux doctrinaux, singulièrement ceux d’un auteur (E. Guégan, La nullité des décisions sociales, Dalloz, 2020).
L’ordonnance va donc au-delà de cette question fondamentale. Ainsi que l’indique le Rapport au président de la République l’accompagnant, lequel consent à un effort de pédagogie (il est articulé autour de 3 axes : « genèse », « objectifs » et « présentation des textes »), dont la lecture suffit pour mesurer l’importance de la réforme, deux objectifs sont poursuivis par l’ordonnance, dans cet ordre : cantonner les nullités des « décisions sociales » quant à leur cause et leurs effets d’abord ; simplifier et harmoniser le régime des nullités des sociétés ensuite.
3. Appréciation globale de la réforme. Disons les choses, le sentiment que laisse une première lecture de l’ordonnance est mitigé. D’un côté, il est indéniable que les nullités des sociétés sont largement simplifiées et harmonisées, étant donné que l’ensemble des règles spéciales du code de commerce seront abrogées au 1er octobre 2025, tantôt pour être fondues dans le droit commun des articles 1844-10 et suivants du code civil, réécrits en conséquence ; tantôt pour disparaître, parce qu’elles faisaient « doublon » avec celles du code civil, nuisant ainsi à la lisibilité et l’intelligibilité de la matière ; tantôt pour être reclassées dans des dispositions spéciales du code de commerce : c’est le cas de celles concernant les restructurations des sociétés de capitaux et les augmentations de capital des sociétés par actions. D’un autre côté, cependant, on est plus hésitant s’agissant de l’objectif de réduction des causes de nullité des décisions sociales. Cela procède pour l’essentiel de l’insertion du critère matériel de la violation des « dispositions impératives du droit des sociétés », sur la recommandation du rapport du HCJP, en lieu et place de celui de localisation de la norme violée dans le titre IX du code civil ou le livre II du code de commerce. Certes, l’extension des causes de nullité des décisions sociales est contrebalancée, dira-t-on, par le pouvoir accru des tribunaux. S’inspirant encore des travaux du HCJP, l’ordonnance neutralise en général le caractère automatique de la nullité des décisions sociales, en conférant au juge des pouvoirs étendus pour, d’abord apprécier l’opportunité du prononcé de la nullité, qui devient donc facultative par principe, ensuite en moduler les effets dans le temps, c’est-à-dire en lui donnant la possibilité de lutter contre le phénomène des nullités en cascades (v. infra nos 43 s.). Il n’en demeure pas moins que les incertitudes qui entourent l’étendue des « dispositions impératives du droit des sociétés » vont mécaniquement ouvrir plus largement la voie au contentieux des nullités des décisions sociales, ce qui ne répond pas, a priori, ni s’agissant des délais ni s’agissant du coût, aux objectifs de « sécurisation » et de « cantonnement » des nullités des décisions sociales.
4. Regrets ? Parmi les nombreuses propositions du HCJP, certaines n’ont pas été retenues. On songe en particulier à celles tendant à encourager plus encore la régularisation des nullités (HCJP, Rapport sur les nullités en droit des sociétés, p. 25). Ainsi, les injonctions spéciales de régularisation et la possibilité de nommer un mandataire chargé de la régularisation n’ont pas été consacrées. Il est vrai que le juge dispose déjà de prérogatives étendues, lesquelles sont maintenues (C. civ., art. 1844-13). Mais des dispositions spéciales auraient été opportunes afin de souligner l’originalité de ce mécanisme de réparation des sociétés et des décisions sociales, à la différence d’une simple renonciation, outre que l’on pouvait espérer que les dispositions légales nouvelles détailleraient plus avant les conditions de sa mise en œuvre, que l’on sait parfois difficile en pratique. La loi de ratification de l’ordonnance pourrait être l’occasion de préciser les conditions de la régularisation.
5. Dispositions transitoires. L’article 70 de l’ordonnance prévoit que les dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur au 1er octobre 2025, à l’exception de la sanction de la nullité des décisions collectives pour absence de désignation d’un auditeur des informations en matière de durabilité qui, elle, n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2027. Chacun sait que cette question de l’application de la loi dans le temps est sensible. En simplifiant, deux visions sont concevables.
5-1. Thèse de l’application immédiate aux actes sociaux passés avant le 1er octobre 2025 : non. La première approche serait de considérer que les dispositions nouvelles s’appliquent à toutes les actions en nullité introduites à compter du 1er octobre, peu important que les actes sociaux critiqués (constitutions de sociétés, insertions de clauses statutaires ou décisions sociales) aient été passés avant le 1er octobre 2025. Cette thèse de l’application immédiate de la loi nouvelle pourrait se prévaloir de la nature « hybride » des règles nouvelles, à mi-chemin entre règles substantielles et règles procédurales gouvernant l’office du juge s’agissant du prononcé de la nullité. La dimension institutionnelle des sociétés pourrait encore être invoquée au soutien de cette application immédiate, voire les effets légaux du contrat de société ou de telle décision sociale.
5-2. Thèse de la survie de la loi ancienne pour les actes sociaux passés avant le 1er octobre 2025 : oui. Pourtant, il nous semble assez clair que les règles substantielles afférentes à la validité ou la licéité de la société, de certaines clauses statutaires et des décisions sociales, se trouvent directement affectées par le droit nouveau. Il suffit d’énoncer le rabot apporté aux causes de nullité des sociétés ou, à l’inverse, l’extension difficile à mesurer des causes de nullité des décisions sociales. Une lecture plus juste, à notre avis, consiste à plaider en faveur du maintien de la loi ancienne pour les sociétés constituées, les clauses statutaires insérées ou les décisions sociales prises avant le 1er octobre 2025. On ne verrait pas a priori que la société nulle sous l’empire du droit antérieur se trouve « validée » par l’ordonnance nouvelle, en raison de la suppression de telle cause de nullité. Inversement, on verrait encore moins qu’une décision sociale qui n’encourait que la nullité facultative hier se trouve désormais exposée à une nullité de droit ou que les décisions prises sous l’empire du droit antérieur, annulables uniquement pour la violation d’une disposition impérative du titre IX ou du livre II, se trouvent exposées à d’autres règles impératives. La survie de la loi ancienne correspond d’ailleurs bien à l’idée en vertu de laquelle les nullités dont le régime est modifié viennent avant tout sanctionner des règles substantielles de validité d’actes juridiques.
5-3. Atténuation des effets tirés de la coexistence de deux droits. Si la survie de la loi ancienne est toujours délicate en ce qu’elle invite à la coexistence, un temps, de deux droits, certaines de ses incidences peuvent être atténuées. Tel est le cas de la réduction du délai de prescription de l’action en nullité de trois à deux ans (C. civ., art. 1844-14 mod.). Selon l’article 2222, alinéa 2, du code civil, « en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». Appliquée aux nullités du droit des sociétés, cela signifie donc que le nouveau délai de deux ans commencera le cas échéant à courir au 1er octobre 2025 pour les actions déjà nées, mais que sera prise en compte la durée de la prescription déjà écoulée, sans que la durée totale excède trois ans. Tel est ensuite le cas de l’office du juge. Le « triple test » au prononcé de la nullité des décisions sociales introduit par l’article 1844-12-1 du code civil ne devrait pas créer de distorsions de régime trop fortes. En effet, ces nouveaux critères pourront être appliqués par anticipation, par évolution ou revirement de la jurisprudence, à la condition toutefois, il est vrai, que la nullité en cause soit facultative et non de droit ; auquel cas les critères nouveaux ne sauraient s’appliquer, faute pour le juge de disposer d’un pouvoir d’appréciation. Une solution pour éviter toute difficulté serait que la loi de ratification précise, comme l’avait fait la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, que les sociétés constituées, les clauses insérées et les décisions sociales prises avant le 1er octobre 2025 demeurent soumises à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public.
6. Rendre aux articles 1844-10 et suivants du code civil leur fonction : le droit commun des sociétés. Sur le fond, ce qui retient tout d’abord l’attention, c’est évidemment la réunion dans un seul corpus de règles, celles du droit commun des sociétés aux articles 1844-10 à 1844-17 du code civil, de l’ensemble des dispositions applicables aux nullités en droit des sociétés. Logiquement, sont abrogées les dispositions propres aux sociétés commerciales, c’est-à-dire les articles L. 235-1 à L. 235-14 du code de commerce. À présent, conformément à l’esprit de l’article 1834 du code civil, ce n’est que dans les cas où une loi en dispose autrement en raison de la forme ou de l’objet de la société, que les dispositions nouvelles en matière de nullité des sociétés ou de nullité des décisions sociales doivent être, soit complétées par des règles spéciales, soit écartées à leur profit.
7. Extension de la sanction du réputé non écrit. On relève ensuite que l’article 1844-10, alinéa 2, du code civil réserve toujours la sanction du réputé non écrit des clauses statutaires contraires à une disposition impérative dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société. Simplement, mais cela fait toute la différence, comme en matière de nullités des décisions sociales, ce ne sont plus seulement les clauses contraires à une disposition impérative du titre IX du code civil qui encourent le réputé non écrit, mais toute clause contraire à une « disposition impérative du droit des sociétés ». En outre, ainsi qu’on va le voir, la réduction des causes de nullité des sociétés va mécaniquement augmenter le recours à ce texte (v. infra nos 13 s.). Partant, nul besoin de gloser pour constater que le champ de cette sanction se trouve étendu de façon significative, et ce, d’autant plus que la règle procédurale du « triple test » (C. civ., art. 1844-12-1 nouv.) pour le prononcé de la nullité des décisions sociales ne s’applique pas au réputé non écrit, sanction d’une autre nature que celle de la nullité, comme chacun le sait désormais. Le juge saisi sera donc tenu de prononcer cette sanction, même s’il est vrai, on le rappelle, que le réputé non écrit en droit des sociétés peut n’être que partiel, depuis un arrêt de principe du 29 mai 2024 rendu en matière de clauses d’exclusion de SAS, mais transposable à d’autres clauses infectées (Com. 29 mai 2024, n° 22-13.158, Dalloz actualité, 13 juin 2024, obs. J. Delvallée ; D. 2024. 1515 , note S. Farges
; ibid. 1832, obs. E. Lamazerolles, J.-M. Moulin et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2024. 441, note L.-M. Savatier
; RTD civ. 2024. 637, obs. H. Barbier
; RTD com. 2024. 705, obs. J. Moury
; ibid. 936, obs. A. Lecourt
).
8. Annonce. Pour l’essentiel, le régime des nullités en droit des sociétés demeure articulé autour d’une distinction entre la nullité des sociétés (avec désormais celles des apports) et celle des décisions sociales.
La nullité des sociétés et des apports
9. Deux régimes distincts. Le droit nouveau distingue entre la nullité des sociétés d’une part ; la nullité des apports, à la constitution ou postérieurement à celle-ci, d’autre part.
La nullité des sociétés
10. Un texte unique. Un seul texte est désormais consacré aux causes de nullité de toutes les sociétés, quelle que soit leur forme. Il s’agit de l’article 1844-10, alinéa 1er, du code civil, selon lequel « la nullité de la société ne peut résulter que de l’incapacité de tous les fondateurs ou de la violation des dispositions fixant un nombre minimal de deux associés ». La simplification et l’harmonisation des causes de nullité des sociétés emportent plusieurs conséquences.
11. Abandons de distinctions complexes. D’abord, et c’est heureux, est abandonnée la logique du droit antérieur qui faisait coexister de façon particulièrement complexe deux régimes de nullités, selon qu’était en cause la nullité de sociétés civiles ou celle de sociétés commerciales avec, pour ces dernières, une subdivision entre, d’un côté les sociétés de capitaux relevant de la directive (de codification) (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (i.e. SARL et sociétés par actions : SA, SCA, SAS et SE), et de l’autre, celles n’en relevant pas (i.e. SNC et SCS).
12. Mise en conformité avec la directive (UE) 2017/1132 et au-delà. Ensuite, le choix de limiter les causes de nullité des sociétés à deux hypothèses seulement, avec en réalité celle tenant à la nullité de la totalité des apports qui peut être assimilée à une nullité quant à ses effets (v. infra n° 18), opère une mise en conformité de notre droit des nullités des sociétés relevant de la directive (UE) 2017/1132 avec son article 11. En effet, l’article 11 de la directive interdit uniquement, en son dernier alinéa, de stipuler d’autres causes de nullité que celles limitativement énumérées par son alinéa 1er, que l’on sait par ailleurs d’interprétation stricte (depuis l’arrêt Marleasing, CJCE 13 nov. 1990, aff. C-106/89, AJDA 1991. 267, chron. T. Debard et C. Alibert ; Rev. sociétés 1991. 532, note Y. Chaput
; Dr. soc. 1991. 453, chron. J. Boulouis
; RTD com. 1991. 68, obs. C. Champaud
), mais il n’interdit pas d’en retrancher, comme c’est le cas en l’espèce. Il en résulte que le décalage qui existait entre notre droit écrit et son interprétation à la lumière du droit européen disparaît. La réforme va cependant au-delà de la mise en conformité, étant donné que la logique restrictive des nullités issue de la directive s’applique à présent à toutes les sociétés, peu important leur forme ou leur objet : sociétés civiles, SNC, SCS, sociétés coopératives agricoles qui ne sont ni civiles ni commerciales (C. rur., art. L. 521-1), etc.
13. Causes de nullités supprimées. Enfin et surtout, certaines causes de nullité des sociétés sont purement et simplement supprimées de notre droit. En effet, dès lors que les causes de nullité énoncées à l’article 1844-10, alinéa 1, sont limitatives (« la nullité de la société ne peut résulter que »), et que seul ce texte, d’ordre public, est applicable, aucune autre cause, sauf à ce qu’une loi spéciale en dispose autrement, ne saurait plus fonder le prononcé de la nullité d’une société, quelle que soit sa forme.
13-1. Exit les articles 1832, 1832-1 du code civil. Premièrement, toute référence aux articles 1832 et 1832-1, alinéa 1er, du code civil disparaît, ce qui s’entend. D’une part, le renvoi à l’article 1832-1 était devenu obsolète depuis… le 1er juillet 1986, date à laquelle est devenue licite la société entre époux tenus indéfiniment et solidairement des dettes sociales. D’autre part, la suppression du renvoi à l’article 1832, s’agissant des conditions spéciales de formation du contrat de société, n’emporte pas de bouleversement majeur sur le terrain de la nullité des sociétés. Ainsi, le défaut de pluralité d’associés demeure cause de nullité des sociétés autres que les SARL et les SAS, ce qui, du reste, est conforme à la directive (UE) 2017/1132 (C. civ., art. 1844-10, al. 1er, mod.), de même que l’illicéité ou l’absence d’apports est encore sanctionnée en application du nouvel article 1844-10-1. Quant à l’atteinte au but social qu’emportent les clauses léonines, elle demeure appréhendée par la sanction du réputé non écrit (C. civ., art. 1844-1). Reste cependant, il est vrai, la condition d’affectio societatis, qui renvoie à la problématique des sociétés fictives, considérées comme des sociétés nulles et non inexistantes (Com. 16 juin 1992, n° 90-17.237, D. 1993. 508 , note L. Collet
; 22 juin 1999, n° 98-13.611, D. 2000. 389
, obs. S. Piédelièvre
; ibid. 234, obs. J.-C. Hallouin
; Rev. sociétés 1999. 824, note A. Constantin
; RTD com. 1999. 875, obs. C. Champaud et D. Danet
; ibid. 903, obs. Y. Reinhard
), mais qui, faute à présent de renvoi à l’article 1832 par l’article 1844-10, alinéa 1er, modifié, ne devrait plus être sanctionnée sur le terrain de la nullité des sociétés. Faut-il s’en émouvoir ? Il ne nous semble pas, tant la fictivité n’était déjà pas une cause de nullité des sociétés soumises à la directive (UE) 2017/1132 et, pour les autres formes sociales, constituait plutôt une sanction du droit des procédures collectives (C. com., art. L. 621-1). Or, de ce point de vue, la fictivité de la personne morale demeure, avec la confusion des patrimoines, une cause d’extension de la procédure collective à un tiers (not., C. Saint-Alary-Houin, M.-H. Monsèrié-Bon et C. Houin-Bressand, Droit des entreprises en difficulté, 14e éd., LGDJ, 2024, nos 397 s.).
13-2. Exit l’illicéité de l’objet social statutaire ? Plus surprenante est en revanche l’absence de mention à l’article 1844-10, alinéa 1er, de l’article 1833, alinéa 1er, du code civil. Il en résulte, paradoxalement, qu’une société n’encourt plus l’annulation pour illicéité de son objet social, qu’il soit statutaire ou réel, alors pourtant que l’objet social et sa licéité demeurent condition essentielle de constitution de la société en application de l’article 1833 et qu’elle peut être sanctionnée, lorsqu’elle concerne l’objet statutaire, sur le fondement de l’article 11 de la directive (UE) 2017/1132 (mais pas sur le fondement de l’objet social réel il est vrai). À ce propos, on relève logiquement que l’interdiction de régularisation, qui figurait jusqu’alors à l’article 1844-11, disparaît. On avoue néanmoins ne pas comprendre le commentaire du rapport accompagnant l’ordonnance lorsqu’il indique que son « article 3 modifie l’article 1844-11 et supprime l’exception fondée sur la cause de nullité tirée de l’illicéité de l’objet social, la modification de l’objet social qui le rendrait licite pouvant aussi éteindre l’action. » Cela sous-entend en effet, à rebours de la lettre de l’article 1844-10, alinéa 1er, modifié, que la violation de l’article 1833, alinéa 1er, à la constitution serait toujours une cause de nullité… Quoi qu’il en soit, l’absence de sanction de l’illicéité de l’objet n’est qu’apparente étant donné que la clause statutaire objet social encourt encore, si elle est illicite, une sanction : celle du réputé non écrit sur le fondement de l’article1844-10, alinéa 2, pour violation de l’article 1833, alinéa 1er, disposition impérative du droit des sociétés. Et si la société était privée d’objet social (ce qui suppose qu’elle soit en entier illicite…), la sanction encourue serait alors sa dissolution, en application de l’article 1844-7, 2°, du code civil ; donc sa liquidation. Par conséquent, si l’illicéité de l’objet social ne parait plus être une cause de nullité de la société, elle demeure toutefois sanctionnée et pourra, dans certains cas, conduire à une sanction aux effets proches.
13-3. Exit les causes de nullité des contrats en général. On relève enfin la suppression de la référence aux « causes de nullité des contrats en général » (C. civ., art. 1844-10 anc.) et, par l’abrogation de l’article L. 235-1, la disparition des causes de nullité des sociétés commerciales tirées de la violation des « lois qui régissent la nullité des contrats ». Cela a plusieurs incidences. D’une part, les vices du consentement affectant tout ou partie des associés ne constituent plus une cause de nullité la société, ce qui était déjà le cas pour les SARL et les sociétés par actions il est vrai, sauf à ce que le vice atteigne l’ensemble des associés (hypothèse d’école cela dit, mais qui était, de toutes les façons, contraire à la directive (UE) 2017/1132 qui ne vise que l’incapacité des associés au rang des causes possibles de nullité des sociétés de capitaux). La suppression de la nullité pour vice du consentement, quelle que soit la société, civile ou commerciale, justifie l’abrogation de l’article 1844-12 qui organisait une action interrogatoire, effectivement presque jamais mise en œuvre, en tous les cas à notre connaissance devant les tribunaux. On ajoute que l’article 1844-16, s’agissant de l’exception à l’inopposabilité des effets de la nullité en cas de vices de consentement (v. infra n° 45), maintenue, perd mécaniquement, pour la nullité des sociétés, son objet. D’autre part, on pourrait déduire de la suppression du renvoi aux causes de nullité des contrats en général, que la constitution frauduleuse d’une société n’est plus sanctionnée par la nullité. Certes, cette sanction n’était possible qu’à la condition que tous les associés y aient participé (Com. 28 janv. 1992, n° 90-17.389, D. 1993. 23 , note J. Pages
; RTD civ. 1993. 117, obs. J. Mestre
) et son application était discutée pour les sociétés assujetties à la directive (UE) 2017/1132, faute, une fois encore pour son article 11, de la mentionner parmi les causes possibles de nullité. D’aucuns font toutefois observer que la fraude étant un principe général du droit européen (arrêt Centros, CJCE 9 mars 1999, aff. C-212/97, AJDA 1999. 798, chron. H. Chavrier, H. Legal et G. de Bergues
; D. 1999. 550
, note M. Menjucq
; Rev. sociétés 1999. 386, note G. Parleani
; Dr. soc. 2003. 859, chron. S. Van Raepenbusch
; Rev. crit. DIP 2003. 373, étude T. Ballarino
; RTD com. 2000. 224, obs. G. Jazottes
; RTD eur. 1999. 729, chron. J.-G. Huglo
; ibid. 2000. 727, chron. J.-G. Huglo
)… toute société se trouvait exposée à la sanction (M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 37e éd., LexisNexis, 2024, n° 288). Aujourd’hui, malgré la lettre de l’article 1844-10, alinéa 1er, on peut hésiter à admettre, sans résistance, que la fraude, qui corrompt tout, ne serait plus cause d’annulation de la société. Il est vrai cependant qu’elle demeurera sanctionnée sur d’autres fondements que la nullité de la société. En effet, ce sont surtout les apports qui, en pratique, sont frauduleux, des dispositions spéciales leur étant consacrées, singulièrement lorsque ce sont tous les apports qui sont annulés, ce qui conduit alors à la dissolution de la société (v. infra n° 18). En...
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