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Refus d’aménagement d’une peine d’emprisonnement : quelle motivation ?

Cet arrêt fournit de précieuses indications sur les exigences de la chambre criminelle dans le contrôle de la motivation des juges du fond en cas de rejet d’une demande d’aménagement de peine.

par Dorothée Goetzle 17 avril 2019

Pour faciliter la réinsertion du condamné, les juridictions de jugement peuvent prononcer une peine en décidant qu’elle sera aménagée. En matière correctionnelle, cet aménagement de peine ab initio est obligatoire (M. Herzog-Evans, Vers un droit à l’aménagement de peine lorsque les conditions sont réunies ?, AJ Pénal 2016. 257 ; A. Ponseille, Aménagement de peine et de surpopulation carcérale, AJ pénal 2014. 494 ; Y. Carpentier, Essai d’une théorie générale des aménagements de peine, RSC 2017. 192 ).

En l’espèce, un individu était poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d’outrages à personne dépositaire de l’autorité publique, rébellion et usage de stupéfiants. En son absence, cette juridiction le condamnait à cinq mois d’emprisonnement. L’intéressé relevait appel. Les seconds juges confirmaient la déclaration de culpabilité et la condamnation à un emprisonnement délictuel de cinq mois. En outre, ils refusaient d’aménager la peine prononcée par le tribunal correctionnel. La cour d’appel justifiait sa position en indiquant qu’elle était dans l’impossibilité matérielle d’ordonner l’aménagement sollicité en l’absence d’éléments précis sur la situation professionnelle de l’intéressé, notamment quant à ses horaires de travail et lieux d’exercice de sa profession. L’intéressé, maçon dans l’entreprise familiale, percevait un salaire mensuel de 1 500 €. Il faisait remarquer, dans son pourvoi en cassation, que l’impossibilité matérielle d’ordonner l’une des mesures d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal ne pouvait pas in casu être caractérisée. Son argument consistait à mettre en avant qu’il avait personnellement comparu devant la cour d’appel et que les magistrats ne lui avaient pas posé de questions sur ses horaires et lieux de travail. Pour justifier la cassation de l’arrêt de la cour d’appel, les hauts magistrats visent l’article 593 du code de procédure pénale selon lequel tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. À leurs yeux, en disant n’y avoir lieu à aménagement de la peine d’emprisonnement, alors que l’intéressé, présent à l’audience, pouvait répondre à toutes les questions des juges leur permettant d’apprécier la faisabilité d’une mesure d’aménagement, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

S’il n’est pas nouveau que le rejet d’une demande d’aménagement de peine doit être motivé, l’intérêt de cet arrêt est de préciser quelle forme concrète doit revêtir cette motivation. En 1997, la chambre criminelle soulignait qu’en retenant la gravité des faits, leur caractère intolérable, l’implication prépondérante du prévenu dans l’organisation d’un trafic de stupéfiants, ainsi que sa personnalité et ses antécédents judiciaires, une cour d’appel avait motivé sans insuffisance une condamnation à deux ans d’emprisonnement sans sursis. Dans cet arrêt, les seconds juges avaient ainsi pu écarter « implicitement, mais nécessairement », l’éventualité d’une exécution de la peine sous le régime de la semi-liberté (Crim. 22 mai 1997, JCP 1997. IV. 1910).

Vingt-deux ans séparent la jurisprudence précitée de l’arrêt rapporté. Aujourd’hui, les exigences de la chambre criminelle au sujet de la motivation du refus d’un aménagement de peine se sont considérablement renforcées. Dans plusieurs arrêts du 29 novembre 2016, la Cour de cassation a rappelé les principes énoncés à l’article 132-19 du code pénal qui prévoit que la peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée que si toute autre sanction est manifestement inadéquate (Crim. 29 nov. 2016, n° 15-86.712, Dalloz actualité, 12 déc. 2016, obs. S. Fucini ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 96 ). Ces arrêts sont les premiers à avoir implicitement dégagé, en plus du contrôle de la motivation du prononcé de la peine d’emprisonnement ferme, un contrôle de la motivation de la décision ne prononçant pas d’aménagement de la peine ferme prononcée. Dans un arrêt du 29 novembre 2018, la Cour de cassation a ensuite explicitement indiqué que la peine d’emprisonnement sans sursis doit, en principe, faire l’objet d’un aménagement qui ne peut être écarté par les juges que par une motivation spéciale (Crim. 29 nov. 2018, nos 15-83.108 et 15-86.116, Dalloz actualité, 12 déc. 2016, obs. S. Fucini, préc. ; D. 2016. 2465 ; AJ pénal 2017. 96 ; Rev. sociétés 2017. 438, note B. Bouloc ; RSC 2017. 314, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2017. 459, obs. B. Bouloc ). En outre, la jurisprudence a déjà précisé qu’en l’absence du prévenu régulièrement cité et faute d’éléments lui permettant d’apprécier la situation personnelle de celui-ci en vue d’aménager la peine d’emprisonnement, la cour d’appel a justifié sa décision en ne la motivant qu’au regard de la gravité de l’infraction et de l’importance du casier judiciaire du prévenu (Crim. 28 nov. 2012, n° 12-80.639 P, Dalloz actualité, 20 déc. 2012, obs. M. Léna ; Dr. pénal 2013. Comm. 20, obs. M. Véron). Dans la même veine, la chambre criminelle a déjà considéré que n’est pas tenue, au regard des exigences de l’article 132-24 du code pénal, de caractériser autrement l’impossibilité d’ordonner une mesure d’aménagement de peine la cour d’appel qui prononce une peine d’emprisonnement en l’absence du prévenu régulièrement cité et faute d’éléments lui permettant d’apprécier la situation personnelle de celui-ci en vue d’un tel aménagement (Crim. 28 nov. 2012, n° 12-81.140 P, Dr. pénal 2013. Comm. 20, obs. M. Véron). Dans l’arrêt rapporté, la situation était toutefois différente. En effet, si le prévenu régulièrement cité était effectivement absent devant le tribunal correctionnel, il s’était ensuite présenté, assisté de son avocat, devant la cour d’appel.

En l’espèce, la cassation est donc logique. En plus de s’inscrire avec continuité dans la jurisprudence antérieure, il s’agit d’une conséquence inévitable de la réécriture de l’article 132-19 du code pénal par la loi du 3 juin 2016. En effet, le dernier alinéa de ce texte précise sans ambiguïté que, lorsque le tribunal correctionnel prononce une peine d’emprisonnement sans sursis et ne faisant pas l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues aux mêmes sous-sections 1 et 2, il doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.