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Article
Refus d’une mutation pour des raisons religieuses : la justification de la sanction disciplinaire
Refus d’une mutation pour des raisons religieuses : la justification de la sanction disciplinaire
La mutation disciplinaire d’un salarié ne constitue pas une discrimination directe injustifiée en raison des convictions religieuses lorsqu’elle est motivée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante.
par Clément Couëdel, Juriste en droit social, Chargé d'enseignement en droit privéle 4 février 2022
Fondement incontournable et indispensable de notre société démocratique, la liberté de religion est consacrée par une multitude de textes destinés à lui donner sa pleine mesure. S’agissant plus particulièrement de la relation de travail, le législateur a accordé une importance certaine au fait religieux en entreprise. Pour preuve, l’article L. 1132-1 du code du travail interdit toute sanction ou tout licenciement en raison des « convictions religieuses » du salarié. En parallèle, l’article L. 1321-3 du code du travail précise que le règlement intérieur ne peut « comporter de dispositions lésant les salariés dans leur emploi et leur travail en raison […] de leurs opinions ou confessions », règle toutefois susceptible d’être aménagée au nom du principe de neutralité (C. trav., art. L. 1321-2-1).
La liberté de religion se trouve parfois confrontée aux choix de l’employeur et au fameux triptyque qui visent les pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction. Cette problématique fait ainsi surface lorsque le salarié invoque un motif religieux pour se soustraire à des actes attendus de lui en application du contrat de travail. On en vient à se questionner sur le seuil d’admissibilité du refus ainsi opposé par le salarié. Jusqu’à quel point le salarié est-il légitime à se retrancher derrière ses croyances pour s’opposer à l’exécution normale des tâches liées à son poste ? Comment l’employeur peut-il (doit-il ?) alors intégrer ce paramètre dans la gestion courante de l’entreprise ? C’est tout l’objet de l’arrêt rendu par la chambre sociale le 19 janvier 2022.
En l’espèce, un salarié travaillant en qualité de chef d’équipe dans une entreprise de nettoyage avait été muté, dans le respect de sa clause de mobilité, sur le site d’un cimetière. Après avoir refusé cette mutation du fait d’une incompatibilité d’horaires avec d’autres obligations professionnelles, le salarié invoquait ses convictions religieuses hindouistes lui interdisant de travailler dans un cimetière. Considérant l’objection du salarié, l’employeur lui notifiait une mutation disciplinaire sur un autre site avant d’initier la procédure de licenciement, pour faire face au refus réitéré du salarié de rejoindre son nouveau poste. Invoquant une discrimination fondée sur les croyances religieuses, le salarié saisissait la juridiction prud’homale afin d’obtenir la nullité de la mutation disciplinaire et du licenciement. La cour d’appel de Paris accédait à sa demande et prononçait la nullité de la sanction disciplinaire et du licenciement et condamnait l’employeur au versement de diverses sommes. Ce dernier formait un pourvoi en cassation.
Dans un arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation invalide le raisonnement des juges d’appel en rappelant que « les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et « répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ». Suivant cette logique, la chambre sociale considère que « la mutation disciplinaire prononcée par l’employeur était justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». Cette notion, issue de la directive 2000/78 et reprise à l’article L. 1133-1 du code du travail, est conçue comme une exigence « objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause » (CJUE 14 mars 2017, aff. C-188/15, Micropole Univers, Dalloz actualité, 20 mars 2017, obs. M. Peyronnet ; AJDA 2017. 551 ; ibid. 1106, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère, C. Gänser et P. Bonneville ; D. 2017. 947 , note J. Mouly ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 450, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 422, obs. P. Adam ; Constitutions 2017. 249, chron. A.-M. Le Pourhiet ; RTD eur. 2017. 229, étude S. Robin-Olivier ; ibid. 2018. 467, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2017. 342, étude G. Gonzalez ). La chambre sociale s’en remet donc à la jurisprudence de la CJUE pour esquisser la marche à suivre. Il convient d’abord de tenir compte « de la nature et des conditions d’exercice de l’activité du salarié ». Dans le cas présent, le salarié avait été affecté sur un nouveau site afin d’y effectuer, en sa qualité de chef d’équipe, des tâches similaires à celles occupées auparavant, et ce après que l’employeur a fait jouer régulièrement la clause de mobilité prévue au contrat. Il importe ensuite d’évaluer le « caractère proportionné au but recherché de la mesure ». En l’espèce, la mutation disciplinaire permettait de garantir le « maintien de la relation de travail par l’affectation du salarié sur un autre site de nettoyage ».
Selon les juges du quai de l’Horloge, l’activité et le statut du salarié ainsi que la finalité de la mesure disciplinaire suffisaient à écarter le caractère discriminatoire de la mutation prononcée consécutivement au refus. La haute juridiction y voit une démarche raisonnable et raisonnée de la part de l’employeur, lequel a recherché un certain équilibre afin de satisfaire les attentes du salarié tout en intégrant les contraintes inhérentes à l’entreprise. Suivant la tendance générale (Soc. 1er févr. 2017, n° 16-10.459 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2017, obs. M. Peyronnet ; D. 2017. 550 , note J. Mouly ; ibid. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 215, étude J.-G. Huglo et R. Weissmann ; RDT 2017. 332, obs. I. Desbarats ; 7 juill. 2021, n° 20-16.206 B, Dalloz actualité, 22 juill. 2021, obs. L. Malfettes ; D. 2021. 1336, communiqué C. cass. ; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; RFDA 2021. 1053, chron. C. Eoche-Duval ), il est attendu de l’employeur qu’il démontre une certaine adaptabilité pour intégrer, autant que possible, les croyances des salariés. Tel est le cas, semble-t-il, en l’espèce. Il est vrai que l’employeur aurait pu en tirer les conséquences sur le plan organisationnel en proposant une mobilité plutôt que de s’engager directement sur le terrain disciplinaire. À cet égard, force est de constater qu’un poste correspondant à sa qualification professionnelle était disponible puisqu’il lui a été proposé à titre de sanction. Au contraire de la cour d’appel, la Cour de cassation estime pourtant que l’employeur a, dans une juste proportion, mis en balance les intérêts légitimes de l’entreprise et les considérations propres aux croyances religieuses affichées par le salarié. Aussi, la mutation disciplinaire ne constituait pas une discrimination directe injustifiée en raison des convictions religieuses.
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