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Refus de protection diplomatique : une action indemnitaire est – en théorie – envisageable

L’acte de gouvernement restera encore longtemps une anomalie juridique. Dans certains arrêts, le juge déclare qu’une décision, apparemment administrative, n’est pas de nature à faire l’objet d’un débat par la voie contentieuse, ou qu’un acte échappe, à raison de sa nature, à tout contrôle juridictionnel (T. confl. 2 févr. 1950, Radiodiffusion française, n° 1243, Lebon 652 ). Ces périphrases permettent de reconnaître l’acte de gouvernement, expression que le juge n’utilise que très rarement (T. confl. 12 févr. 1953, Lebon 585 ; CE 18 juin 1852, Famille d’Orléans, n° 24334, S. 1852. 2. 307 ; 24 juin 1954, Barbaran, Lebon 712 ; CE, ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens, nos 55049 et 55055, Lebon 143 ; JCP 1962. II. 12613, concl. J.-F. Henry ; ibid. I. 1711, obs. J. Lamarque ; RDP 1962. 2994, concl. ; AJDA 1962. 214, obs. J.-M. Galabert et M. Gentot ; D. 1962. 109, obs. G. Morange ; RDP 1962. 288, note G. Berlia ; S. 1962. 147, note R. Bourdoncle ; 8 févr. 1963, De Mari, n° 57618, Lebon 809 ; AJDA 1963. 430, note V. S. ; 26 juill. 1982, Guichenne, n° 32173, Lebon ), alors que les commissaires du gouvernement, de nos jours rapporteurs publics, ainsi que la doctrine, l’emploient. Conscient de l’anomalie qui consiste à faire échapper certains actes à tout contrôle juridictionnel dans un État de droit, le juge administratif limite les conséquences de cette théorie en recourant à deux méthodes : le recours à l’acte détachable et l’admission du recours en indemnité.

La Mutuelle centrale de réassurance (MCR) a présenté au ministre des Affaires étrangères deux demandes tendant à obtenir réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait des mesures de nationalisation et d’expropriation intervenues en Algérie en 1963 et 1964. La première tendait à l’exercice de la protection diplomatique, afin que le gouvernement français prenne à son compte sa réclamation indemnitaire dirigées contre l’État algérien et saisisse la Cour internationale de justice de La Haye. Cette demande ayant été rejetée implicitement, la MCR a présenté au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères une réclamation préalable visant à l’indemnisation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de son précédent refus, fondée sur la rupture d’égalité devant les charges publiques, qui est elle aussi restée sans réponse. La MCR a ensuite saisi le Tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande, et, en appel, la Cour administrative d’appel de Paris, qui a annulé le jugement mais rejeté la requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État rappelle l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître de recours en annulation formés contre un acte relatif à l’exercice de la protection diplomatique, non détachable de la conduite des relations internationales de la France (v. déjà, CE 8 mars 1968, S Rizeries indochinoises – Maïseries indochinoises, n° 57414, Lebon  ; 25 mars 1988, S Sapvin, n° 65022 ) et l’impossibilité d’engager la responsabilité de l’État pour faute en un tel cas.

Le juge poursuit en décidant que « la juridiction administrative est, en revanche, compétente pour connaître de conclusions indemnitaires tendant à la mise en cause de la responsabilité sans faute de l’État, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, du fait de décisions non détachables de la conduite des relations internationales de la France », avant de rejeter la demande, les conditions d’engagement de cette responsabilité n’étant pas remplies. La démarche du juge (CE, ass., 24 oct. 2024, n° 465144, Dalloz actualité, 13 nov. 2024, obs. E. Maupin ; AJDA 2024. 2039 ) est classique et innovante à la fois et l’espèce constitue un petit pas dans la possible réparation des conséquences d’un acte de gouvernement.

L’exercice de la protection diplomatique indétachable des relations internationales

De longue date, le juge recourt à la théorie de l’acte de gouvernement dans le cadre de la protection diplomatique et consulaire (CE 1er mars 1967, Maugein, n° 56180, Lebon ; 30 mars 1966, Guyot, n° 59947, Lebon 259 ; 4 oct. 1968, Lévy, n° 71894, Lebon ) et affirme son incompétence concernant « les actes ou faits par lesquels les autorités françaises interviennent ou refusent d’intervenir auprès des puissances étrangères » (P. Serrand, L’acte de gouvernement : contribution à la théorie des fonctions juridiques de l’État, thèse, Paris II, 1996, 293).

La conduite des négociations diplomatiques, qui entre dans la catégorie des actes relatifs aux rapports du gouvernement français avec un État étranger ou un organisme international a toujours été considérée comme un domaine de l’acte de gouvernement (arrêt S Rizeries indochinoises, préc.). À s’en tenir à la protection diplomatique, on citera la protection des personnes et des biens français à l’étranger (CE 2 mars 1966, Dame Cramencel, n° 65180, Lebon ; AJDA 1966. 349, obs. J.-P. Puissochet et J.-P. Lecat ; RGDIP 1966. 791, note C. Rousseau ; T. confl. 11 mars 2019, Mme Rollet, épouse Dimitri c/ Agent judiciaire de l’État, n° 4153, Lebon ; AJDA 2019. 554 ; JCP 2019. 467, note M.-C. Rouault), le refus de soumettre un litige à la Cour internationale de justice (CE 9 juin 1952, Gény, n° 92255, Lebon 191), les diligences insuffisantes des autorités françaises pour rapatrier des ressortissantes françaises et leurs enfants retenus en Syrie (CE 23 avr. 2020, Mme D. et Mme C., n° 429668, AJDA 2019. 907 ; ibid. 1644 , note S. Slama ; ibid. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen ) ou le refus opposé par le Premier ministre à une demande de suspension des autorisations d’exportation de matériels de guerre à destination de l’Arabie saoudite (CE 27 janv. 2023, Assoc. Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, n° 436098, Lebon ; AJDA 2023. 155 ; ibid. 954 , note Thibaud Mulier ; D. 2023. 695, point de vue M. Bouleau ; RFDA 2023. 693, concl. C. Guibé ; RTD eur. 2023. 805, obs. D. Ritleng ).

Dès avant la Constitution de 1946 pourtant, le Conseil d’État a accepté de connaître d’actes qu’il considère comme détachables des relations internationales ou des conventions internationales, actes qui peuvent être appréciés indépendamment de leur origine ou de leurs incidences internationales (CE 5 févr. 1926, Dame Caraco, n° 83102, Lebon 125 ; D. 1927. 3. 1, note J. Devaux ; 16 déc. 1955, Époux Deltel, Lebon 592 ; D. 1956. 44, concl. P. Laurent ; RDP 1956. 150, note M. Waline ; AJ 1956. II. 243, note E. Copper-Royer ; 4 mars 1970, Mlle Houles, n° 74253, Lebon 152 ; 22 déc. 1978, Vo Thanh Nghia, n° 02348, Lebon 523 ; AJDA 1979. 4. 36, concl. B. Genevois). Ces actes se définissent soit comme des actes tournés vers l’ordre interne soit comme correspondant à des mesures pour lesquelles l’État garde une marge de manœuvre et le choix des moyens (concl. J. Massot sur CE 19 févr. 1983, S Robatel, n° 51456, Lebon , D. 1988. 365). L’acte détachable semble correspondre à un acte sans aucune incidence sur la politique internationale (concl. N. Questiaux sur CE, ass., 30 mars 1966, Ignazio Messina, n° 59664, RDP 1966. 789 ; Lebon ) ou aux incidences négligeables (CE 22 déc. 1978, Vo Thanh Nghia, préc.). Tout est question d’opportunité. « En la matière, il n’y a pas de théorie ; pour l’essentiel, il n’y a pas d’actes qui, par essence, soient détachables ou "non détachables", il y a simplement ceux que vous "détachez" et ceux que vous ne détachez pas et ce n’est pas plus mal ainsi » (concl. D. Labetoulle sur CE, ass., 23 nov. 1984, Tête, nos 54359 et 54360, Lebon ; AJDA 1985. 216).

La Cour européenne des droits de l’homme a, quant à elle, conclut que la doctrine de l’acte de gouvernement n’excède pas la marge d’appréciation dont jouissent les États pour limiter le droit d’accès d’une personne à un tribunal (CEDH 4 avr. 2024, n°...

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