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Refus de restitution de bien saisi et remise parallèle à l’AGRASC

L’exercice d’un recours contre une ordonnance de refus de restitution d’un bien saisi ne prive pas le juge d’instruction de la faculté d’ordonner sa remise, aux fins d’aliénation, à l’AGRASC.

par Victoria Morgantele 28 novembre 2017

La chambre criminelle se prononce une nouvelle fois sur les difficultés pratiques de l’application de l’article 99 du code de procédure pénale et plus précisément sur la question de l’exercice d’un recours contre une ordonnance de refus de restitution d’un bien saisi, qui vient se combiner dans le même temps à la décision du juge d’instruction ordonnant la remise de ce bien à l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) aux fins d’aliénation. Par cet arrêt, la chambre criminelle vient préciser les prérogatives du juge d’instruction.

En l’espèce, une société mise en examen, propriétaire d’une automobile de luxe saisie, a déposé une requête en restitution de ce bien qui fût rejetée par le juge d’instruction puis frappée d’appel le 29 août 2016. Le juge d’instruction avait ordonné la remise de ce bien à l’AGRASC, par ordonnance du 4 novembre 2016, également frappée d’appel par la société mise en examen. La chambre de l’instruction, saisie de ce second appel, annulait l’ordonnance de remise du bien à l’AGRASC.

Au visa des articles 99 et 99-2 du code de procédure pénale, la chambre criminelle a affirmé « que l’exercice d’un recours contre une ordonnance de refus de restitution d’un bien saisi ne prive pas le juge d’instruction de la faculté d’ordonner sa remise, aux fins d’aliénation, à l’AGRASC ».

L’arrêt de la chambre de l’instruction annulant l’ordonnance de remise du bien à l’AGRASC, au motif que celle-ci avait été rendue prématurément et que « la demande de restitution frappée d’appel n’était pas définitive et privait l’appelant de son droit à un recours effectif », a été cassé par la chambre criminelle.

La Cour de cassation affirme dès lors qu’une décision de refus de restitution du bien à son propriétaire, quand bien même frappée d’appel et par conséquent non définitive, ne peut empêcher le juge d’instruction de remettre ce bien à l’AGRASC.

Si la procédure permettant au propriétaire d’obtenir la restitution d’un bien saisi dans le cadre d’une instruction est strictement encadrée par les articles 99 et 99-2 du code de procédure pénale, aucune précision n’est indiquée quant à la décision de remise d’un bien à l’AGRASC ordonnée simultanément à la demande de restitution du propriétaire, qui n’est pas jugée définitivement. Cette question des deux voies de recours avait déjà fait l’objet d’un arrêt de la chambre criminelle (Crim. 6 mai 2014, n° 13-83.203, Bull. crim. n° 123, Dalloz actualité, 27 mai 2014, obs. M. Bombled ).

Les faits de cet arrêt sont similaires aux faits de l’espèce en ce que la requête en restitution a été déposée et rejetée par le juge d’instruction, antérieurement à la décision de remise du bien à l’AGRASC. Le propriétaire avait dès lors interjeté appel de l’ordonnance de refus. Cependant, l’appel avait été déclaré irrecevable. La solution était devenue définitive, le propriétaire n’ayant formé aucun pourvoi en cassation. La chambre criminelle avançait cependant les principes du droit à un procès équitable et du droit à la propriété pour affirmer l’indépendance de ces deux recours. Le juge d’instruction qui peut ordonner la remise d’un bien à l’AGRASC doit également statuer sur la requête en restitution de ce bien.

Cette indépendance de procédure est réaffirmée plus récemment par la chambre criminelle (Crim. 22 févr. 2017, n° 16-86.547, Bull. crim. n° 99 ; Dalloz actualité, 9 mars 2017, obs. S. Fucini isset(node/183749) ? node/183749 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>183749). Les faits concernaient une demande de restitution d’un bien saisi antérieurement remis à l’AGRASC. La chambre avait souligné que le juge d’instruction devait, indépendamment de la décision de remise du bien à l’AGRASC, statuer sur le bien-fondé de la requête du propriétaire en restitution de ce bien.

Cette solution s’applique au cas d’espèce. En effet, la remise du bien à l’AGRASC ordonnée par le juge d’instruction doit être considérée indépendamment de la question de la restitution de ce bien au propriétaire, les deux procédures n’ayant pas le même objet. Ainsi, dans le cadre de l’instruction, le mis en examen peut uniquement s’opposer à la remise de son bien à l’AGRASC mais, en aucun cas, il ne peut demander la restitution sur ce fondement.

L’unique possibilité de demander une restitution du bien saisi est alors de déposer une requête en ce sens, sur le fondement de l’article 99 du code de procédure pénale.

L’argument du recours effectif est valablement balayé par la chambre criminelle : les deux procédures étant indépendantes, l’appel de la décision de refus de restitution du bien ne s’efface pas et au contraire, se poursuit malgré la décision du juge d’instruction de remettre le bien saisi à l’AGRASC. Par conséquent, si l’appel demeure, le droit au recours effectif et le droit de propriété sont effectifs. La remise du bien à l’AGRASC n’empêche pas la restitution du bien au propriétaire si la décision de l’appel allait dans ce sens.

En somme, l’indépendance de ces deux procédures permet de confirmer et réaffirmer le droit au recours effectif, quand bien même la décision de remise du bien à l’AGRASC serait rendue prématurément. 

Cette solution, mettant en exergue l’indépendance de la procédure de remise du bien à l’AGRASC, d’une part, et de la procédure de restitution au mis en examen, d’autre part, dans le cadre d’une information judiciaire, n’a rien de surprenant et vient s’inscrire dans une certaine continuité de solutions de la chambre criminelle en la matière.

Indépendance dans l’objet même des procédures certes, mais indépendance toutefois relative quant aux prérogatives du juge d’instruction. En effet, le juge d’instruction ne peut évincer une requête en restitution du bien, au profit de la remise de ce bien à l’AGRASC. Tel a été jugé par la chambre criminelle qui a relevé que, « lorsque le juge d’instruction a été saisi d’une requête en restitution d’un bien meuble placé sous main de justice, il ne peut ordonner la remise de ce bien à l’[AGRASC] en vue de son aliénation qu’après avoir statué par ordonnance motivée sur cette requête » (Crim. 6 mai 2014, n° 13-83.203, préc.). Cette limite aux prérogatives du juge d’instruction, qui se doit de statuer sur les requêtes avant d’ordonner une remise à l’AGRASC, vient renforcer l’effectivité du droit à un procès équitable et du droit au juge pour le propriétaire mis en examen. L’absence de réponse à une requête en restitution du bien saisi ne permettrait pas au mis en examen d’exercer son droit de recours.

La question de la garantie du droit à un recours effectif était d’ailleurs réglée par le Conseil constitutionnel : l’article 41-4 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution si, et seulement si, le propriétaire a été avisé du droit de réclamer la restitution de son bien ou que le propriétaire a réclamé sa qualité au cours de la procédure (Cons. const. 9 juill. 2014, n° 2014-406 QPC, consid. 12, D. 2014. 1498 ). Tel est bien le cas dans les faits en l’espèce, le propriétaire mis en examen a revendiqué sa qualité et a réclamé la restitution de son bien en déposant une requête en restitution et, a fortiori, en interjetant appel de l’ordonnance de rejet. 

En somme, cet arrêt vient appuyer une nouvelle fois les prérogatives du juge d’instruction, qui reste libre d’ordonner la remise d’un bien à l’AGRASC, alors même que ce bien faisait l’objet d’une autre procédure en restitution. La liberté du juge d’instruction ne se heurte alors qu’à l’exigence nécessaire de statuer sur les requêtes de façon à ce qu’un recours effectif puisse être exercé par le propriétaire.

Cependant, au-delà de cette solution, une question reste en suspens au regard des deux suites possibles de cet arrêt. En effet, si le bien est remis à l’AGRASC, la possibilité de le récupérer est limitée au verdict du jugement au fond « en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement », au regard de l’article 99-2 du code de procédure pénale en son second alinéa. Ainsi, l’appel de l’ordonnance en restitution, pourtant pendant, serait nul, le mis en examen ne pouvant pas récupérer le bien confié à l’AGRASC, et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme serait par conséquent violé. La solution de la chambre criminelle serait erronée.

En revanche, suivre le raisonnement de la chambre criminelle aurait pour effet de déclarer l’appel de l’ordonnance en restitution comme effectif. Et, par conséquent, l’ordonnance de remise du bien à l’AGRASC serait nulle, une hiérarchisation entre les deux ordonnances du juge d’instruction serait établie et l’article susmentionné serait interprété au-delà de sa lettre.

In fine, la solution la plus simple et en accord avec le droit européen aurait été de permettre au mis en examen de s’opposer à l’ordonnance de remise du bien à l’AGRASC, en interjetant appel. Le bien aurait été ainsi remis entre les mains du juge d’instruction. Le mis en examen aurait, de ce fait, pu demander par requête, sa restitution.