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Régime de la responsabilité de l’arbitre : entre cohérence et incertitudes

Le manquement de l’arbitre au principe du contradictoire porte sur la mise en œuvre d’un principe de procédure civile essentiel gouvernant l’élaboration de la décision juridictionnelle. Partant, cette erreur doit être considérée comme commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle du tribunal arbitral et ne peut être de nature à engager sa responsabilité que si elle est constitutive d’une faute personnelle équipollente au dol ou d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice.

par Léonor Jandardle 17 juillet 2019

Dans le silence des textes, le régime de la responsabilité de l’arbitre se construit progressivement, au fil de la jurisprudence de la Cour de cassation mais aussi de celle des juridictions du fond (v. infra). En considérant à juste titre que la mise en œuvre du principe de la contradiction relève de l’exercice de la fonction juridictionnelle du tribunal arbitral, cet arrêt de la cour d’appel de Paris est sans doute une nouvelle pierre à apporter à cet édifice jurisprudentiel. On y trouve notamment un éclairage opportun s’agissant de la distinction entre les fautes considérées comme relevant de la mission juridictionnelle et celles consistant en une inexécution contractuelle qui sous-tend la dualité de régime de la responsabilité de l’arbitre.

Le litige qui a donné lieu à cet arrêt du 21 mai 2019 trouve son origine dans deux contrats de vente de machines destinées à la production et au façonnage de films plastiques, conclus entre la SARL Blow Pack et la société allemande Windmöller&Hölscher. La clause compromissoire insérée dans ces contrats prévoyait un arbitrage à Paris sous l’égide de la CCI et précisait la langue de la procédure, à savoir le français.

Après avoir ordonné une expertise concernant l’une des machines, le tribunal arbitral a rendu, le 14 septembre 2011, une sentence (CCI n° 15839/EC/ND) condamnant la société Blow Pack. Celle-ci a formé un recours en annulation contre cette sentence au soutien duquel elle faisait notamment valoir qu’en admettant et en examinant certaines pièces produites en allemand par Windmöller qui n’avaient pas été intégralement traduites en français, le tribunal arbitral avait méconnu le principe de la contradiction. Le grief a été accueilli par la cour d’appel de Paris qui, par une décision devenue définitive (Paris, pôle 1, ch. 1, 2 avr. 2013, n° 11/18244, Rev. arb. 2014. 106, note L. Jaeger ; JCP 2013. 800, note C. Duclercq) à la suite du rejet du pourvoi en cassation (Civ. 1re, 18 mars 2015, n° 13-22.391, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; JCP 2015. 582, note C. Duclercq), a partiellement annulé la sentence en application de l’article 1520, 4°, du code de procédure civile (les moyens d’annulation développés ne concernaient que le litige relatif à l’une des machines).

Sous ce même grief, Blow Pack a alors saisi le Tribunal de grande instance de Paris d’une action en responsabilité dirigée contre les trois arbitres composant le tribunal afin d’obtenir réparation des conséquences de l’annulation de la sentence. Cette attitude n’a rien qui doive surprendre – encore que l’annulation de la sentence ne soit pas toujours à l’origine de la mise en cause des arbitres (V. un arrêt récent, Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/195469) ? node/195469 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195469) – mais l’on sait que les honoraires des arbitres, parfois très conséquents, ne peuvent être contestés devant le juge de chargé du contrôle de la sentence (V. not. Paris, 19 déc. 1996, Sté Qualiconsult, Rev. arb. 1998. 121, note C. Jarrosson ; TGI Paris, 25 nov. 1999 et Paris, 23 sept. 1994, Sté Hôtelière de montagne (2 esp.), Rev. arb. 1996. 394, obs. P. Fouchard ; RTD com. 1995. 396, obs. J.-C. Dubarry et É. Loquin). Ce n’est donc que devant le juge de droit commun que Blow Pack pouvait ainsi prétendre à l’indemnisation de ces frais exposés, selon elle, en vain.

Par un jugement du 22 mai 2017, le tribunal de grande instance de Paris déclare toutefois son action irrecevable, estimant que « les fautes alléguées […] ne suffisent pas à caractériser des fautes lourdes susceptibles d’engager la responsabilité personnelle des trois arbitres en ce qu’ils auraient commis des manquements incompatibles avec la fonction juridictionnelle » (TGI Paris, 22 mai 2017, n° 14/14717, Rev. arb. 2017. 977, note J.-Y. Garaud et G. De Rancourt). Et c’est précisément ce que confirme la cour d’appel de Paris dans l’arrêt rapporté. La violation du contradictoire doit être considérée comme commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle du tribunal arbitral et ne peut dès lors être source de responsabilité que si elle est constitutive d’une faute d’une particulière gravité, c’est-à-dire « une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » (Civ. 1re, 15 janv. 2014, Azran, n° 11-17.196, Bull. civ. I, n° 1 ; D. 2014. 219, obs. X. Delpech ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel ; RTD com. 2014. 315, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2016, n° 2, 493, note J.-S. Borghetti ; Cah. arb. 2014, n° 2, p. 299, note L. Aynès ; JCP 2014. 231, avis av. gén. P. Chevalier ; JCP 2014. Doctr. 255, note É. Loquin ; RLDC, juin 2014, p. 23, note H. Slim ; Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107, note M. Mekki ; JCP 2014. Doctr. 857, obs. J. Ortscheidt ; LPA 2014, n° 215, p. 14, obs. L. Degos ; Gaz. Pal. 27-28 juin 2014, p. 18, obs. D. Bensaude)

À ce titre, la solution qui consiste à retenir expressément que le devoir de respecter et de faire respecter le principe de la contradiction relève de l’exercice de la fonction juridictionnelle – qualification retenue à demi-mot par les juges de première instance mais qui n’était pas si évidente au premier abord –, ne peut qu’être...

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