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Régime du rachat des droits de l’avocat se retirant d’une association d’avocats

Si une association d’avocats se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 à 1844-17 du code civil, cependant, l’article 1843-4 ne lui est pas applicable en l’absence de capital social et ne peut être étendu aux comptes à effectuer lors du départ d’un avocat.

par Xavier Delpechle 9 mars 2021

Cet arrêt de rejet est l’occasion de revenir sur une structure d’exercice en commun de la profession d’avocat aussi connue dans son existence que mystérieuse dans son régime, à savoir l’association d’avocats. Il s’agit même de la plus ancienne des structures d’exercice des avocats. C’est, en effet, le décret n° 54-406 du 10 avril 1954 qui consacre la possibilité offerte aux avocats d’avoir recours aux associations d’avocats. Son existence a aujourd’hui pour siège l’article 7, alinéa 1er, de la loi n° 71-1130 du 30 décembre 1971 (« L’avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit au sein d’une association dont la responsabilité des membres peut être, dans des conditions définies par décret, limitée aux membres de l’association ayant accompli l’acte professionnel en cause ») et son régime est succinctement décrit aux articles 124 à 128-2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

L’introduction en droit français de cette structure « constitua un progrès considérable : pour la première fois, les avocats étaient autorisés à se regrouper pour partager, au travers d’un contrat, leurs charges et leurs bénéfices » (CNB, Guide de l’exercice en association d’avocats [association & AARPI], oct. 2017). Malgré son appellation, il ne s’agit en rien d’une association « loi 1901 ». « Dans la mesure où elle répond à la définition de la société figurant à l’article 1832 du code civil (mise en commun d’apports en vue de partager des bénéfices), l’association d’avocats a la nature juridique d’une société. N’étant pas immatriculée, elle ne dispose pas de la personnalité juridique, ce qui conduit à la considérer comme une société créée de fait » (eod. loc.).

Le présent arrêt de rejet confirme pleinement ces affirmations. Trois avocats avaient décidé de se regrouper et, de ce fait, avaient conclu ensemble une convention d’association. Mais l’un d’entre eux a décidé de se retirer de l’association à compter du 1er novembre 2016, ce dont sont convenus les associés par une convention du 15 novembre 2016. Aucun accord n’étant intervenu sur les modalités de son retrait, l’avocat retrayant a alors saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats de la Haute-Loire d’une demande d’arbitrage. Ces modalités, on l’imagine, étaient essentiellement financières, l’intéressé souhaitant que ses droits au sein du groupement lui soient rachetés à leur juste valeur.

Au stade de l’appel, la cour d’appel de Riom a limité à 14 664,64 € la somme lui demeurant due par ses anciens associés, alors que, visiblement, il en espérait davantage. D’où un pourvoi en cassation. En réalité, il reproche aux juges d’appel d’avoir refusé l’arbitrage à dire d’expert prévu par l’article 1843-4 du code civil pour l’évaluation de ses droits dans l’association d’avocats dont il faisait partie, au motif que la procédure d’arbitrage du bâtonnier était dérogatoire au droit commun et excluait totalement l’application de ce texte. Selon le I de l’article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, « dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné soit par les parties, soit, à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ». À défaut – et comme c’était toujours le cas avant cette ordonnance – l’expert dispose d’une entière liberté d’appréciation pour fixer la valeur des parts sociales selon les critères qu’il jugeait opportuns.

Pour l’avocat retrayant, la cour d’appel a violé ce texte, ensemble l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971. Il précise, se fondant en cela sur la solution retenue par la Cour de cassation il y a près de deux ans à propos de la valorisation des parts d’une société civile d’avocats à la suite du retrait d’un avocat membre de cette société (Civ. 1re, 9 mai 2019, n° 18-12.073, Dalloz actualité, 3 juin 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1044 ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2020. 108, obs. T. Wickers ; Rev. sociétés 2019. 688, note J.-F. Barbièri ), que l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, ne dérogeait pas à l’article 1843-4 du code civil. Dans sa rédaction issue de cette dernière loi, il n’y déroge qu’en ce qu’il donne compétence au bâtonnier pour procéder à la désignation d’un expert aux fins d’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats. Compte tenu de la date (15 novembre 2016) de la convention conclue entre les membres de l’association qui acte le retrait de l’un d’entre eux, c’est l’article 21 pris dans sa nouvelle rédaction qui devrait logiquement s’appliquer.

Toutefois, pour la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi de l’avocat retrayant, « [si] une association d’avocats se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 à 1844-17 du code civil, cependant, l’article 1843-4 ne lui est pas applicable en l’absence de capital social et ne peut être étendu aux comptes à effectuer lors du départ d’un avocat ».

La solution est doublement intéressante. D’abord, on relèvera l’affirmation selon laquelle l’association d’avocats est soumise aux articles 1832 à 1844-17 du code civil, à savoir les règles du droit commun des sociétés. C’est donc là la confirmation selon laquelle l’association d’avocats constitue effectivement une société. Ensuite, est confirmée l’idée selon laquelle ce groupement est une société non dotée de la personnalité morale, de telle sorte qu’elle n’est pas dotée d’un capital social et ne peut émettre des parts sociales, lesquelles représentent des droits (pécuniaires et politiques) à l’encontre de cette personne morale qu’est la société. Comme dans la société en participation, les associés sont titulaires de « droits qu’ils tiennent du contrat de société », ces droits étant d’ailleurs cessibles (Com. 15 mai 2012, n° 11-30.192, D. 2012. 1401, et les obs. ; Rev. sociétés 2013. 88, note B. Dondero ). C’est ce qui explique l’exclusion de l’article 1843-4 du code civil, lequel ne s’applique qu’en cas de « cession des droits sociaux d’un associé ».

Le rejet de pourvoi est donc logique, mais la Cour de cassation n’en approuve pas pour autant le raisonnement des juges d’appel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle procède par substitution de motifs. La cour d’appel de Riom avait considéré, en substance, que l’article 21 de la loi de 1971 excluait le jeu de l’article 1843-4 du code civil. Tel n’est en réalité pas le cas. Si ce second texte est écarté, c’est tout simplement parce que la cession de droits tirée du contrat d’association d’avocats ne relève pas du champ d’application de ce texte. L’article 21 – en son alinéa 2 – est ici bel et bien applicable, à l’exception des dispositions qui prévoient que, en cas de désaccord, le bâtonnier, « le cas échéant, procède à la désignation d’un expert pour l’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats ». Il semble donc que ce soit le bâtonnier qui soit tenu de fixer la valeur des droits de l’avocat retrayant, à moins que, comme le prévoit expressément le même alinéa in fine, le « bâtonnier [ait délégué] ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu’à tout membre ou ancien membre du conseil de l’ordre ».