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Règlement « Aliments » : compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en opposition à exécution

Par un arrêt du 4 juin 2020, la Cour de justice se prononce en faveur de la compétence internationale des juridictions de l’État membre d’exécution pour connaitre d’une action en opposition à exécution introduite par le débiteur d’une créance d’aliments.

par Guillaume Payanle 18 juin 2020

Le règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JOUE n° L 7, 10 janv. 2009, p. 1) poursuit l’objectif louable de permettre aux créanciers d’aliments d’obtenir aisément, dans un État membre de l’Union, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans les autres États membres sans aucune formalité.

Si cet objectif est clairement exposé dans le considérant n° 9 de ce règlement, le système de reconnaissance et d’exécution transfrontières des décisions de justice prévu par le législateur européen est assez complexe (chapitre IV du règlement). Deux régimes juridiques distincts coexistent et s’appliquent respectivement lorsque l’État membre d’origine est (ce qui est le plus souvent le cas) ou non (ce qui est le cas du Danemark) lié par le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Contrairement au premier régime, où elle est supprimée, le second repose sur la prévision d’une procédure de déclaration constatant la force exécutoire, à l’image du dispositif retenu dans le règlement (CE) n° 650/2012 « Successions transfrontières » du 4 juillet 2012 (JOUE n° L 201, 27 juillet 2012, p. 107). À ces deux corps de règles, s’ajoute une série de dispositions communes relatives notamment au traditionnel principe de l’« absence de révision quant au fond » des décisions dans l’État membre d’exécution (Règl. (CE) n° 4/2009, art. 42) ou à leur exécution proprement dite. À ce titre, par exemple, l’article 41, paragraphe 1er, énonce que « sous réserve des dispositions du présent règlement, la procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l’État membre d’exécution. Une décision rendue dans un État membre qui est exécutoire dans l’État membre d’exécution y est exécutée dans les mêmes conditions qu’une décision rendue dans cet État membre d’exécution ».

La Cour de justice a déjà eu l’occasion d’interpréter l’article 41, paragraphe 1er, du règlement (CE) n° 4/2009 et, ce faisant, de clarifier les conditions dans lesquelles l’exécution transfrontière d’une décision peut être demandée par le créancier d’aliments. Elle a notamment reconnu la possibilité pour le créancier d’aliments, qui a obtenu une décision en sa faveur dans un État membre et qui souhaite en obtenir l’exécution proprement dite dans un autre État membre, de présenter directement sa demande à l’autorité compétente de l’État membre d’exécution, sans avoir à procéder par l’intermédiaire de l’autorité centrale de cet État (CJUE 9 févr. 2017, aff. C-283/16, M. S. c/ P. S., Dalloz actualité, 22 févr. 2017, obs. F. Mélin ; D. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 409, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2017. 568, note N. Joubert ; Procédures, avr. 2017. Comm. 66, obs. C. Nourissat ; Europe, avr. 2017. Comm. 165, obs. L. Idot ; Gaz. Pal., 4 juill. 2017, p. 80, note C. Anger).

La présente affaire permet à la Cour de justice de poursuivre son analyse de la portée de cet article, en raisonnant cette fois plus particulièrement sur l’office de la juridiction de l’État membre d’exécution.

En l’espèce, une juridiction polonaise a condamné un père au paiement d’une pension alimentaire en faveur de sa fille. Par la suite, cette décision a été déclarée exécutoire en Allemagne, lieu de résidence du père, et une procédure d’exécution forcée a été engagée à l’encontre de ce dernier. Par la suite, faisant valoir que la dette alimentaire en cause au principal avait déjà été acquittée, le débiteur d’aliments a formé, devant la juridiction allemande de renvoi, une action en opposition à exécution, en application de l’article 767 de la ZPO (code de procédure civile allemand).

La juridiction de renvoi émet des doutes quant à sa compétence internationale pour connaitre de l’action ainsi engagée devant elle. Prenant appui sur une position défendue par un courant minoritaire de la doctrine allemande, elle est encline à considérer qu’une telle action en opposition à exécution s’analyse en une « action en matière d’obligations alimentaires », au sens du règlement (CE) n° 4/2009, ce qui – selon elle – reviendrait à reconnaître la compétence internationale des seules juridictions polonaises (arrêt, pt n° 25). Cependant, elle concède que ce point de vue n’est partagé ni par la « doctrine dominante » en Allemagne, ni par le législateur de cet État, lesquels privilégient, dans une telle situation, la compétence internationale des juridictions de l’État membre d’exécution de la créance d’aliments (arrêt, pt n° 26). Elle décide donc de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice.

Application du règlement « Aliments ». Dans le prolongement des conclusions de l’avocat général M. Bobek, la Cour de justice débute son raisonnement en établissant que l’action litigieuse – dès lors qu’elle « se greffe sur une demande visant à faire exécuter une décision en matière d’obligations alimentaires » – relève bien du champ d’application du règlement (CE) n° 4/2009 « Aliments » (arrêt, pts nos 31 à 35). Ce préalable lui permet de rappeler la place de ce règlement dans le domaine de la coopération judiciaire civile (TFUE, art. 81) et, singulièrement, sa situation au regard du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 « Bruxelles I bis » (JOUE n° L 351, 20 décembre 2012, p. 1). Pour les hauts magistrats européens, le règlement (CE) n° 4/2009 constitue en effet une « lex specialis en ce qui concerne, notamment, les questions de compétence, de loi applicable, de reconnaissance, ainsi que d’exécution des décisions juridictionnelles dans le domaine spécifique des obligations alimentaires » (arrêt, pt n° 33).

Compétence des juridictions de l’État membre d’exécution. En l’absence de disposition du règlement « Aliments » visant expressément la compétence juridictionnelle au stade de l’exécution (arrêt, pt n° 36), la Cour de justice tire argument du libellé (précité) de l’article 41, paragraphe 1er, de ce même instrument, pour conclure avec raison qu’une action – telle que l’action en opposition à exécution en cause au principal – « qui entretient un lien étroit avec la procédure d’exécution d’une décision rendue par une juridiction de l’État membre d’origine et ayant constaté une créance alimentaire […], relève, tout comme la demande en exécution elle-même de ladite décision, de la compétence des juridictions de l’État membre d’exécution » (arrêt, pts n° 38, n° 42 et dispositif).

La circonstance que l’action litigieuse soit étroitement liée à la procédure d’exécution forcée poursuivie dans l’État membre d’exécution aurait sans doute pu suffire pour justifier la solution retenue. Cependant, la Cour de justice a souhaité également consolider sa motivation au regard des objectifs de simplicité et de célérité poursuivis par le règlement « Aliments », rappelant au passage que la proximité entre la juridiction compétente et le créancier d’aliments ne constituait pas la seule finalité de ce texte (arrêt, pt n° 40). Ce type d’argument est toutefois d’un emploi délicat car on peut soutenir que la solution retenue a pour conséquence d’engendrer une perte de temps et des charges supplémentaires non négligeables pour le créancier d’aliments (à comparer avec arrêt, pt n° 41).

C’est encore au regard de l’article 41, paragraphe 1er, du règlement « Aliments » – ainsi que des dispositions pertinentes du droit allemand – que la Cour de justice apporte des précisions sur l’office de la juridiction de renvoi, en matière probatoire. Après avoir indiqué que l’acquittement de la dette par le débiteur d’aliments au moment de l’exécution compte parmi les motifs de refus ou de suspension de l’exécution prévus par le droit national qui sont compatibles avec le règlement (arrêt, pt n° 45 ; adde, Règl. (CE) n° 4/2009, consid. 30), elle dit pour droit qu’il « appartient à […] la juridiction de l’État membre d’exécution, de statuer sur la recevabilité et le bien-fondé des éléments de preuve rapportés par le débiteur de la créance d’aliments, visant à étayer l’allégation selon laquelle ce dernier a acquitté en grande partie sa dette ». Le fait qu’une partie de cette dette ait été acquittée par l’intermédiaire d’un organisme public – en l’occurrence, le Fonds polonais des pensions alimentaires –, auquel le débiteur aurait remboursé les sommes versées, est indifférent (arrêt, pts 49 et 50).