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Règlement Bruxelles II bis : articulation des règles de compétence

Un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre ou est ressortissant d’un État membre ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3 à 5 du Règlement du 27 novembre 2003.

par François Mélinle 24 novembre 2017

Par son arrêt du 15 novembre 2017, la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur une difficulté d’articulation de deux dispositions du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. Cette difficulté concerne les articles 6 et 7 du règlement.

La problématique juridique

Afin de bien appréhender le problème, il est utile de rappeler les principales règles de compétence que le règlement établit en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation du mariage.

L’article 3 retient, notamment, que sont compétentes pour statuer sur ces questions les juridictions de l’État membre a) sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle des époux, ou la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou la résidence habituelle du défendeur, ou en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est ressortissant de l’État membre en question, ou b) de la nationalité des deux époux.

L’article 4 ajoute que la juridiction devant laquelle la procédure est pendante en vertu de l’article 3 est également compétente pour examiner la demande reconventionnelle, dans la mesure où celle-ci entre dans le champ d’application du présent règlement.

L’article 5 précise quant à lui que, sans préjudice de l’article 3, la juridiction de l’État membre qui a rendu une décision sur la séparation de corps est également compétente pour convertir cette décision en divorce, si la loi de cet État membre le prévoit.

L’article 6, dont l’intitulé indique qu’il concerne le « caractère exclusif des compétences définies aux articles 3, 4 et 5 », dispose qu’« un époux qui a) a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou b) est ressortissant d’un État membre […] ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5 ».

L’article 7, qui porte, selon son intitulé, sur les « compétences résiduelles », énonce que, « lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État ». On en déduit, pour la France, qu’il est alors possible d’invoquer l’article 1070 du code de procédure civile ou les articles 14 et 15 du code civil (qui définissent un privilège de nationalité lorsque le demandeur ou le défendeur a la nationalité française).

Dans ce cadre, il s’agit de déterminer comment les articles 6 et 7 doivent être combinés. À ce propos, deux approches sont concevables.

Il est possible de soutenir que dès lors que son intitulé pose le caractère exclusif des compétences définies par les articles 3, 4 et 5, l’article 6 permet au demandeur d’attraire un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre ou qui est ressortissant d’un État membre uniquement devant la juridiction désignée par les articles 3, 4 et 5, sans qu’il soit possible à ce demandeur de rechercher un tribunal compétent sur le fondement de l’article 1070 du code de procédure civile ou des articles 14 et 15 du code civil.

À l’opposé, on pourrait soutenir que, si les articles 3, 4 et 5 ne donnent pas compétence à une juridiction française alors que l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses visées par l’article 6 (l’époux défendeur a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou est ressortissant d’un État membre), il serait envisageable de recourir à une compétence résiduelle du juge français par application des articles 1070 du code de procédure civile ou 14 et 15 du code civil.

Dans l’affaire jugée par la première chambre civile le 15 novembre 2017, les juges du fond s’étaient prononcés en faveur de cette seconde approche. Une personne de nationalité française et un ressortissant belge s’étaient mariés en France. Ils avaient dans un premier temps fixé leur résidence en Belgique, avant de s’installer en Inde. Puis, lors d’un séjour en France, l’épouse saisit un juge français d’une requête en divorce. Les juges du fond ont alors retenu qu’aucun des chefs de compétence énoncés par les articles 3, 4 et 5 du règlement ne pouvait être retenu. Ils ont ensuite constaté qu’en l’absence d’une résidence habituelle en France, leur compétence ne pouvait pas être fondée sur l’article 1070 du code de procédure civile. Ils ont donc retenu leur compétence sur le fondement de l’article 14 du code civil qui permet à un demandeur français de saisir un juge français, même dans l’hypothèse où il n’existe aucun rattachement (en particulier, le défendeur n’a pas son domicile en France) du dossier avec la France.

L’apport de la doctrine

Cette position des juges du fond était quelque peu surprenante.

Il est vrai que le règlement soulève, en matière d’articulation des règles de compétence, des difficultés certaines (A. Boiché, Contentieux judiciaire international et européen. L’articulation des règles du nouveau droit communautaire du divorce avec les règles nationales de compétence directe, Gaz. Pal. 27-28 mai 2005, p. 23) et que l’on a pu souligner le fait que la lecture des articles 6 et 7 est malaisée (E. Gallant, in L. Cadiet, E. Jeuland et S. Amrani-Mekki (dir.), Droit processuel civil de l’Union européenne, Lexisnexis, 2011, n° 196 ; adde P. Wautelet, in J.-F. Van Droogehnbroeck (coord.), Droit judiciaire européen et international, LGDJ/La Charte, 2016, p. 155).

Néanmoins, il a été justement souligné que, dès lors que l’époux défendeur a, au sens de l’article 6, sa résidence habituelle dans un État membre ou est ressortissant d’un tel État, la compétence du juge saisi ne peut être appréciée qu’au regard des articles 3, 4 et 7, qui ont un caractère exclusif en ce sens que les règles de compétence qu’ils définissent sont limitatives (B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, Economica, 2013, n° 782 ; I. Barrière Brousse et M. Douchy-Oudot (dir.), Les contentieux familiaux, LGDJ, 2016, n° 450 ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, PUF, 2017, t. II, n° 755 ; H. Gaudemet-Tallon, J.-Cl. Droit international, vis Divorce. – Divorce prononcé en France. – Introduction. – Compétence des tribunaux français. – Particularités de l’instance, fasc. 547-10, n° 42). Le recours, dans le cadre de l’article 7, aux règles de compétence prévues par la loi de l’État dont un juge a été saisi n’est par conséquent que résiduel et ne peut intervenir que dans les limites posées par le règlement. Une telle perspective résulte d’une lecture autonome de chacun de ces deux articles.

Ainsi, un ressortissant français résidant en Russie devra saisir le juge italien si son épouse brésilienne réside en Italie, en application de l’article 6 (qui vise le cas d’un époux ayant sa résidence dans un État membre) et de l’article 3 (qui donne compétence au juge de l’État où se trouve la résidence habituelle du défendeur), sans pouvoir invoquer le privilège de nationalité de l’article 14 du code civil en vue de saisir un juge français. En revanche, si cette même épouse brésilienne réside en Argentine, l’époux pourra saisir un juge français dans le cadre de l’article 7 : en l’absence d’un défendeur ayant sa résidence habituelle dans l’Union ou ressortissant d’un État de l’Union, aucune juridiction de l’Union n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, ce qui ouvre la voie à l’application des règles de compétence du droit français et en particulier à l’article 14 du code civil.

La position de la Cour de cassation

L’arrêt du 15 novembre 2017 se situe précisément dans la perspective promue par la doctrine. Il casse la décision d’appel pour violation de l’article 6 du règlement, après avoir retenu, en substance, que, puisque l’époux était un ressortissant belge, sans résidence habituelle en France, les juges du fond n’auraient pas dû retenir leur compétence à son égard sur le fondement de l’article 14 du code civil. Ainsi que l’indique l’arrêt, un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre ou est ressortissant d’un État membre ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3 à 5 de ce règlement.

Cette position, qui peut être approuvée, est énoncée pour la première fois par la Cour de cassation. Les arrêts qu’elle avait jusqu’à présent prononcés sont en effet intervenus à propos de cas différents (Civ. 1re, 30 sept. 2009, n° 08-19.793, Dalloz actualité, 9 oct. 2009, obs. I. Gallmeister , note B. Audit ; ibid. 2009. 2419, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2009. 452, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2010. 133, note H. Gaudemet-Tallon ; 25 sept. 2013, n° 12-16.900, D. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Dr. fam. 2014. 18, comm. M. Farge), de même qu’un arrêt de la Cour de Justice du 29 novembre 2007 (CJCE 29 nov. 2007, n° C-68/07, D. 2008. 27 ; ibid. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2008. 34, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2008. 343, note E. Gallant ; JCP 2008. II. 10042, note A. Devers ; Europe 2008, n° 27, obs. L. Idot ; Procédures 2008, n° 42, obs. C. Nourissat ; RJ com. 2008. 123, obs. G. Raymond).