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Réhabilitation judiciaire et interdiction définitive du territoire français : le mariage de la carpe et du lapin

La demande de réhabilitation d’une condamnation à une peine qui, par sa définition même, n’a pas fini d’être exécutée est irrecevable. Tel doit donc être le cas d’une demande de réhabilitation d’une peine d’interdiction définitive du territoire français. 

par Dorothée Goetzle 12 mars 2018

L’article 133-12 du code pénal dispose que toute personne frappée d’une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle peut bénéficier soit d’une réhabilitation de plein droit, soit d’une réhabilitation judiciaire accordée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale. L’une des particularités de la réhabilitation est que ce mécanisme est toujours subordonné à l’exécution préalable de la peine prononcée. Ainsi, pour qu’une réhabilitation puisse intervenir, les peines doivent avoir été subies ou être réputées subies. L’intérêt de cet arrêt est de préciser comment la réhabilitation doit se concilier avec la peine d’interdiction définitive du territoire français.

En l’espèce, un individu a été condamné le 12 janvier 2004 par arrêt définitif à cinq ans d’emprisonnement et à une interdiction pour une durée de cinq ans du territoire français du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants. Par la suite, le 27 mars 2006, il est condamné par arrêt définitif à titre de peine principale à l’interdiction définitive du territoire français pour détention non autorisée de stupéfiants. Il sollicite par requête sa réhabilitation judiciaire. Sa demande est déclarée irrecevable au motif qu’il ne remplit pas les conditions pour pouvoir bénéficier d’une réhabilitation. En effet, toute demande en réhabilitation doit être formée après un délai de trois ans en matière correctionnelle. L’article 786 du code de procédure pénale précise les modalités de calcul du point de départ de ce délai. Ainsi, ce délai part, pour les condamnés à une peine privative de liberté, du jour de leur libération définitive et, à l’égard des condamnés à une sanction pénale autre que l’emprisonnement ou l’amende, prononcée à titre principal, de l’expiration de la sanction subie. Il faut donc déduire de cette disposition que, si, comme en l’espèce, l’interdiction du territoire a été prononcée à titre principal, le point de départ du délai correspond à l’exécution de la peine. Dans ce cas, la peine ne peut donc pas se prescrire.

C’est ainsi que la chambre de l’instruction relevait, in casu, deux obstacles à la recevabilité de la requête. Premièrement, elle soulignait que l’exécution de l’interdiction définitive du territoire était nécessairement encore en cours puisqu’elle avait été prononcée à titre définitif. Deuxièmement, elle affirmait que la réhabilitation ne pouvait nécessairement pas entraîner l’extinction de l’interdiction définitive du territoire prononcée à titre de peine principale, puisque la réhabilitation suppose que la peine ait été exécutée. Pour parfaire ce raisonnement, la chambre de l’instruction ajoutait que la peine perpétuelle réelle d’interdiction définitive du territoire devait être regardée comme une peine de réclusion criminelle à perpétuité pour laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine. Enfin, les magistrats précisaient opportunément que l’interdiction définitive du territoire ne pouvait être assimilée à une peine manifestement disproportionnée. Ils justifiaient cet argument en constatant que, si l’intéressé ne peut ni former une demande en réhabilitation judiciaire ni bénéficier d’une réhabilitation légale, il peut néanmoins être dispensé d’exécuter sa peine dans l’hypothèse d’une grâce. De même, sa condamnation peut être effacée par l’effet d’une loi d’amnistie. En outre, il peut bénéficier d’une réhabilitation judiciaire s’il a rendu des services éminents à la France et, enfin, il bénéficie des dispositions de l’article 769, alinéa 3, du code de procédure pénale qui prévoit le retrait du casier judiciaire des fiches relatives à des condamnations prononcées depuis plus de quarante ans, s’il n’est pas, dans l’intervalle, condamné à une nouvelle peine criminelle ou correctionnelle.

Peu convaincu par ces arguments, l’intéressé forme un pourvoi en cassation. À ses yeux, il résulte des articles 782 du code de procédure pénale et 133-12 du code pénal que toute personne condamnée par un tribunal français, à une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle, peut être réhabilitée sans que le législateur ait prévu d’exception. Ensuite, il considère que la chambre de l’instruction ne pouvait pas, d’un côté, considérer que l’interdiction définitive du territoire français n’était pas constitutive, par essence, d’un traitement inhumain et dégradant et, de l’autre côté, s’abstenir de tout questionnement sur les conséquences concrètes de l’absence de possibilité de réhabilitation. En d’autres termes, le condamné reproche à la chambre de l’instruction de ne pas avoir vérifié si l’éloignement à vie de son environnement familial, conséquence de l’absence de possibilité de réhabilitation, n’était pas constitutif d’un traitement inhumain et dégradant. En outre, il déplore que la chambre de l’instruction ne se soit pas prononcée sur la question d’un éventuel traitement discriminatoire puisque cette absence de possibilité de réhabilitation ne peut concerner que les seuls étrangers auteurs de délits de droit commun. Enfin, il estime que les mesures exceptionnelles d’effacement de la condamnation invoquées par la chambre d’instruction ne le concernent pas personnellement et sont inapplicables dans l’immédiat. 

La chambre criminelle rejette son pourvoi. Elle considère en effet « qu’en déclarant irrecevable la demande de réhabilitation d’une condamnation à une peine qui, par sa définition même, n’a pas fini d’être exécutée, la chambre de l’instruction a fait une exacte application des articles 782 et suivants du code de procédure pénale dont les dispositions ne sont pas incompatibles avec les dispositions conventionnelles invoquées ».

Si, en théorie, un étranger peut toujours solliciter sa réhabilitation judiciaire pour une condamnation prononcée par une juridiction française (Crim. 20 juin 1919, Gaz. Pal. 1919 1. 239), cet arrêt confirme la difficulté à laquelle il se trouvera confronté s’il est définitivement interdit de territoire français (Crim. 14 déc. 2016, n° 14-83.400, Dalloz actualité, 10 janv. 2017, obs. L. Priou-Alibert ). Du point de vue juridique, ce raisonnement est partagé par le Conseil constitutionnel, qui, le 27 novembre 2015, a considéré que les dispositions de l’article 786 du code de procédure pénale n’étaient contraires ni au principe d’égalité devant la loi ni au principe de proportionnalité des peines. Cet article prévoit, en son troisième alinéa, qu’à l’égard des condamnés à une sanction pénale autre que l’emprisonnement ou l’amende, prononcée à titre de peine principale, le délai pour solliciter une réhabilitation judiciaire part de l’expiration de la sanction subie. Dès lors – et c’est là le cœur de la solution rapportée –, pour une personne condamnée à une peine principale d’interdiction définitive du territoire français, toute requête en réhabilitation judiciaire est vouée à l’irrecevabilité car sa peine principale n’expirera qu’à son décès (Cons. const. 27 nov. 2015, n° 2015-501 QPC, D. 2015. 2446 ; AJ pénal 2016. 142, obs. C. Saas ; Constitutions 2015. 647 ).