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La réitération d’une fin de non-recevoir en appel : une affaire de dispositif

La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, soulevée par l’intimé à l’occasion de l’appel principal d’un jugement, constitue un moyen de défense à l’appel principal, qui n’a pas à faire l’objet d’un appel incident.

Voici un arrêt surprenant au premier abord et néanmoins régulier. Il rappelle principalement que les fins de non-recevoir sont des moyens de défense invocables à toute hauteur de cause et notamment en appel, sans qu’il soit besoin de relever appel incident, du moins lorsque le jugement querellé n’a pas statué sur la fin de non-recevoir en cause.

Des consorts assignent une personne en paiement devant un tribunal de grande instance. Par jugement du 7 juin 2019, ce tribunal, devant lequel le défendeur a excipé d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, a, dans le dispositif de son jugement, « débouté les demandeurs » (§ 2). Insistons-y car l’usage du mot « débouté » a un sens précis : il s’agit de souligner que le juge a rejeté les demandes sur le fond, ce dont on peut inférer le rejet préalable de la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

À lire l’arrêt de la Cour de cassation, un doute demeure néanmoins : le dispositif du jugement arborait-il, en plus du débouté, un chef de rejet de la fin de non-recevoir ? La réponse est négative : le jugement écarte certes la prescription et l’irrecevabilité associée dans les motifs mais sans le formaliser au dispositif, lequel se contente effectivement de débouter les demandeurs de leurs prétentions (TGI Saverne, 7 juin 2019, n° 14/01344). Ce point est fondamental ; nous y reviendrons.

Les demandeurs déçus relèvent appel du jugement. L’intimée, sur appel principal, sollicite pour sa part le rejet de l’appel et la confirmation du jugement entrepris. Elle oppose à nouveau la prescription de l’action sans relever appel incident du jugement.

La Cour d’appel de Colmar estimera n’avoir pas à statuer sur cette fin de non-recevoir : « La prescription invoquée par (l’intimée) dans le corps de ses dernières conclusions ne fait pas l’objet d’un appel incident dans le dispositif de celles-ci de sorte que la cour n’est pas saisie de cette fin de non-recevoir ». Sur le fond, la cour d’appel infirme le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, condamne l’intimée. La cour d’appel ne se prononce pas sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription au dispositif de son arrêt, en cohérence avec le motif précité.

L’intimée déçue forme un pourvoi. Les deux moyens de cassation ne sont pas connus car la deuxième chambre civile, réunie en formation de section, décide plutôt d’en relever un d’office, ce qui est notable et judicieux.

Au visa des articles 122 et 123 du code de procédure civile, elle énonce que « la fin de non-recevoir, invoquée par un intimé pour s’opposer à l’appel principal, en vue de déclarer la demande irrecevable, constitue un moyen de défense et peut être proposé en tout état de cause jusqu’à ce que le juge statue » (§ 7). Faisant application de ce conclusif, la Cour de cassation juge que la cour d’appel a violé les textes susvisés en retenant qu’elle n’était pas saisie de la fin de non-recevoir alors qu’elle était bien saisie de la fin de non-recevoir proposée par l’intimée, « moyen de défense opposé à l’appel principal, qui n’avait pas à faire l’objet d’un appel incident » (§ 9). Cassation s’ensuit.

Cet arrêt est peut-être perfectible en la forme mais digne d’une totale approbation au fond. Il montre que la réitération des fins de non-recevoir en cause d’appel est une affaire de dispositif. Le praticien doit, d’abord, examiner le dispositif du jugement, puisqu’un intimé peut effectivement faire valoir une fin de non-recevoir en cause d’appel sans relever appel incident du jugement lorsque ce dernier n’a pas statué au dispositif sur la fin de non-recevoir en cause. Le praticien doit, ensuite, soigner le dispositif de ses conclusions car, contrairement à ce que l’arrêt laisse à penser en première lecture, les fins de non-recevoir doivent encore et toujours y figurer.

Dispositif du jugement et fin de non-recevoir

Il est constant que les fins de non-recevoir sont des moyens de défense (C. pr. civ., art. 122 et sa localisation dans le code) invocables à toute hauteur de cause (C. pr. civ., art. 123). La deuxième chambre civile le rappelle opportunément en transposant cette vérité générale au cas de l’appel : « la fin de non-recevoir, invoquée par un intimé pour s’opposer à l’appel principal, en vue de déclarer la demande irrecevable, constitue un moyen de défense et peut être proposée en tout état de cause jusqu’à ce que le juge statue » (§ 7).

Pour mémoire, en application de...

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