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Rejet de la demande d’aide juridictionnelle et délais de l’article 908

La décision de rejet du recours contre une décision du bureau d’aide juridictionnelle, prononcée sans débat à une date qu’aucune disposition n’impose de porter préalablement à la connaissance de l’auteur du recours, ne peut être opposée à celui-ci qu’au jour où elle est portée à sa connaissance par sa notification prévue par les articles 50 et 60 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991. 

par Gaëlle Deharole 18 juillet 2018

À l’occasion d’un litige, une partie avait interjeté appel du jugement d’un tribunal de grande instance et sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Cette dernière demande fut rejetée. L’appel interjeté sur cette décision de rejet fut lui aussi rejeté, comme irrecevable. Le demandeur déposa donc ses conclusions en appel, trois mois et demi après le rejet de son recours contre la décision rejetant sa demande d’aide juridictionnelle.

Les conclusions ainsi déposées contrevenaient donc au délai prévu par l’article 908 du code de procédure civile qui prévoit qu’« à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe ». Cependant, le délai était ici lié à l’exercice infructueux d’une demande d’aide juridictionnelle. Organisée par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’aide juridique assure l’accès au droit des justiciables dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice. La question de l’articulation des dispositions relatives à l’aide juridique avec les dispositions relatives aux délais de procédure et, en particulier, les délais d’appel est donc directement celle du droit d’accès à un tribunal (rappr. Dalloz actualité, 18 juin 2018, art. T. Coustet , sur l’articulation des dispositions de l’article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 avec la Constitution).

Plus précisément, abrogé par le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 prévoyait que, « sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l’article 39, la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas le délai d’appel ». L’alinéa deux ajoutait cependant que « le délai imparti pour signifier la déclaration d’appel, mentionné à l’article 902 du code de procédure civile, et les délais impartis pour conclure, mentionnés aux articles 908 à 910 du même code, courent à compter : a) de la notification de la décision constatant la caducité de la demande / b) de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive / c) ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné ».

La question se posait donc en l’espèce de l’articulation de ces différentes dispositions. La jurisprudence antérieure en avait fait une stricte application en relevant qu’en cas de demande d’aide juridictionnelle, « les délais impartis pour conclure courent à compter de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné » (Civ. 2e, 3 déc. 2014, n° 13-25.330, Dalloz actualité, 12 janv. 2015, obs. F. Mélin ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; AJDI 2015. 215 ; D. avocats 2015. 10, obs. L. Dargent ; 18 févr. 2016, n° 14-14.509, D. 2017. 422, obs. N. Fricero ). Statuant sous les visas des articles 908 du code de procédure civile, 38-1 et 42 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié, la deuxième chambre civile avait ensuite jugé que « seule la notification de la décision constatant la caducité de la demande d’aide juridictionnelle peut faire courir le délai imparti à l’appelant pour conclure » (Civ. 2e,17 mars 2016, n° 15-10.754, Dalloz actualité, 15 avr. 2016, obs. R. Laffly isset(node/178373) ? node/178373 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>178373).

En l’espèce, le conseiller de la mise en état avait quant à lui prononcé la caducité de l’appel sur le fondement des articles 908 du code de procédure civile et de l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, en relevant qu’en cas de demande d’aide juridictionnelle, le point de départ du délai prévu par cette disposition est fixé selon les termes de l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, prévoyant que le délai court de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive. Il avait alors retenu que le recours avait été déclaré irrecevable le 27 mai 2014 et que c’était donc à cette date que la décision était devenue définitive, peu important les modalités ultérieures de sa notification. Mais la possibilité pour le président du bureau de statuer seul (L. 10 juill. 1991 préc., art. 22) à une date qu’il n’est pas obligatoire de communiquer au demandeur à l’aide juridictionnelle était de nature à priver ce dernier de son droit de recours par expiration des délais.

Un pourvoi fut donc formé contre cette décision.

Statuant sous les visas de l’article 38-1, alors applicable, du décret n° 1991-1266 du 19 décembre 1991, ensemble les articles 50 et 60 du même décret et l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, la deuxième chambre civile casse la décision de la cour d’appel pour violation de la loi. Après avoir rappelé qu’aux termes de l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, les délais impartis pour conclure, mentionnés aux articles 908 à 910 du code de procédure civile, courent à compter, selon le cas, de la notification de la décision constatant la caducité de la demande, de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné, la Cour de cassation vient préciser que « la décision de rejet du recours contre une décision du bureau d’aide juridictionnelle, prononcée sans débat à une date qu’aucune disposition n’impose de porter préalablement à la connaissance de l’auteur du recours, ne peut être opposée à celui-ci qu’au jour où elle est portée à sa connaissance par sa notification prévue par les articles 50 et 60 du décret susvisé ».