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Rejet de la QPC de l’élève avocat dans l’affaire du voile

La Cour de cassation considère que la QPC soulevée par une élève avocate reprochant à l’article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 réservant le recours aux seuls avocats dont les intérêts professionnels sont lésés de la priver de son droit à un recours juridictionnel ne présente pas un caractère sérieux.

par Cécile Caseau-Rochele 19 mai 2021

La Cour de cassation vient de refuser de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par une élève avocate dans une affaire qui a déjà fait couler beaucoup d’encre.

Pour rappel, une élève avocate de confession musulmane avait revendiqué le droit de se présenter la tête couverte d’un foulard à sa prestation de serment et avait refusé de venir tête nue à la cérémonie au nom de sa liberté de religion. En réponse, le conseil de l’ordre de Lille avait modifié son règlement intérieur en insérant une clause visant à interdire à l’avocat de porter, sur la robe, des signes distinctifs à l’occasion de ses activités judiciaires. Cette dernière ainsi qu’un avocat de l’ordre ont alors formé des recours contre la délibération en vertu de l’article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui réserve le recours aux avocats dont les intérêts professionnels sont lésés. La cour d’appel a déclaré irrecevable le recours de l’élève avocate et a rejeté la demande d’annulation formée par l’avocat (Douai, 9 juill. 2020, n° 19/05808, Dalloz actualité, 21 juill. 2020, obs. G. Deharo ; D. avocats 2020. 422, étude Y. Avril ; Bull. Joly Travail 2020, n° 09, p. 13, note G. Loiseau ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, n° 386, p. 14, note M. Lartigue) ; elle a en effet considéré que l’élève avocate n’avait pas qualité pour agir dès lors qu’elle n’était pas avocate. À l’occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, cette dernière a demandé, par mémoire distinct et motivé, de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC afin d’apprécier si les dispositions de l’article 19 de la loi du 31 décembre 1971 sont contraires au droit à un recours juridictionnel effectif résultant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme en ce qu’elles limitent aux seuls avocats la possibilité de déférer à la cour d’appel une délibération ou décision du conseil de l’ordre de nature à léser leurs intérêts professionnels, à l’exclusion des élèves avocats.

La QPC posée offre à la Cour de cassation l’occasion de se prononcer de façon inédite sur le recours de l’élève avocat sur le fondement de l’article 19 de la loi de 1971. Elle considère que, « même s’il se destine à la profession d’avocat, l’élève d’un centre régional de formation professionnelle dépend juridiquement de ce centre, conformément à l’article 62 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, n’est pas inscrit au tableau de l’ordre ni soumis aux délibérations et décisions du conseil de l’ordre, lesquelles régissent uniquement les avocats » (§ 8). La décision est parfaitement logique. Les élèves avocats n’ont en effet aucun lien de droit avec les ordres ; ils ne dépendent juridiquement que du centre de formation dans lequel ils ont été admis, et ce même pendant la durée du stage (v. Rép. pr. civ.,  Avocat, par J.-J. Taisne et M. Douchy-Oudot, n° 35). La décision est aussi cohérente avec les solutions antérieures. La Cour de cassation a déjà considéré qu’un syndicat d’avocats n’est pas recevable à agir sur le fondement de cet article 19 car il peut agir, comme tout syndicat, selon les règles spécifiques prévues par le code du travail (Civ. 1re, 29 avr. 1980, n° 79-11.988, Bull. civ. n° 131 ; 15 mai 2015, n° 14-15.878, Bull. civ. I, n° 115 ; Dalloz actualité, 21 mai 2015, art. A. Portmann ; D. 2015. 1107 ; ibid. 2016. 101, obs. T. Wickers ). Elle a également jugé que l’action de l’avocat radié est irrecevable puisque celui-ci dispose du recours de droit commun (Civ. 1re, 9 juill. 1996, n° 95-18.507, Bull. civ. I, n° 300 ; D. 1996. 209 ). Ainsi, la Cour de cassation vérifie à chaque fois que le requérant n’est pas privé d’un droit au recours ; en l’espèce, elle a constaté que l’élève avocat « bénéficie d’un recours juridictionnel effectif, prévu à l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971, à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle, prises en application de l’article 13, par le centre auprès duquel il est inscrit ». Ce texte prévoit la compétence de la cour d’appel, mais il reste à préciser exactement ce que sont les décisions qui concernent la formation professionnelle.

La QPC posée relance par ailleurs le débat sur le délicat statut des élèves avocats. Si ces derniers ont pu, à une époque lointaine, être inscrits au tableau des stagiaires, ce tableau n’existe plus aujourd’hui bien qu’ils prêtent serment afin de pouvoir participer à la formation. Ils ne sont donc pas encore considérés comme des avocats membres de la profession, mais ils ne sont plus pour autant des étudiants. Ils sont en réalité en formation dispensée par la profession. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil national du barreau (CNB) travaille sur le sujet dans le cadre plus global de la réforme de la formation des avocats à la suite du rapport Clavel-Haeri (Réforme de la formation des avocats : les pistes du rapport Clavel/Haeri, JCP 2020. 1959). Parmi les nombreux chantiers en cours, les commissions du CNB réfléchissent non seulement au statut de l’élève avocat pendant sa formation mais aussi à celui du jeune avocat diplômé avant sa prestation de serment. L’idée de l’apprentissage pourrait à cet égard être une piste de réflexion.

Au-delà de la question soulevée par la QPC, l’affaire interroge au fond sur la validité de la clause de neutralité litigieuse dans le règlement intérieur de l’ordre et plus largement sur la question sensible maintes fois posée du port du voile avec la robe (v. not. G. Loiseau, La robe et le foulard. La liberté n’est pas une île, Bull. Joly Travail, sept. 2020, p. 13). Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation devrait, après plusieurs séances d’instruction selon un parcours enrichi, rendre sa décision d’ici quelques mois. Il faudra donc encore faire preuve d’un peu de patience pour que le voile soit enfin levé !