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La relaxe d’Édouard Balladur s’impose, selon sa défense

En trois heures de plaidoiries, les deux avocats de l’ancien Premier ministre, Mes François Martineau et Félix de Belloy, ont raillé une instruction à charge, où les rumeurs sont devenues certitudes, un dossier où l’accusation s’est perdue en conjectures sans jamais rapporter la moindre preuve de la participation de leur client au financement occulte de sa campagne présidentielle de 1995. La décision de la Cour de justice de la République sera rendue le 4 mars à 11 heures.

par Pierre-Antoine Souchardle 4 février 2021

Démonter, déconstruire, démolir l’accusation. C’est ce à quoi se sont attachés les deux avocats de M. Balladur, absent mercredi, comme lors du réquisitoire la veille. Une défense de sape à deux voix. L’ancien Premier ministre est jugé pour complicité et recel d’abus de biens sociaux sur fond de financement illégal de sa campagne de 1995 grâce à des rétrocommissions sur des contrats d’armement à destination de l’Arabie saoudite et du Pakistan.

« Malgré la durée de l’instruction, l’épaisseur indigeste du dossier qui vous est soumis, l’accusation n’apporte toujours pas la preuve certaine de la culpabilité d’Édouard Balladur », lance Me Martineau. « Nous vous demandons de relaxer quelqu’un qui a déjà été condamné des milliers de fois par ce tribunal spécial, pour ne pas dire sauvage, de l’opinion publique », a renchéri Me de Belloy, caustique et drolatique tout au long de sa plaidoirie.

Mardi, le ministère public a requis un an d’emprisonnement et 50 000 € d’amende à l’encontre de l’ancien Premier ministre. Deux ans avec sursis et 100 000 € d’amende contre François Léotard, alors ministre de la Défense dans le gouvernement de M. Balladur.

« Édouard Balladur est accusé d’être le promoteur d’un vaste système de rétrocommissions à son profit », a ironisé Me Martineau. Une somme de 10 250 000 F en espèce a été déposée le 26 avril 1995 sur son compte de campagne.

« Vous êtes saisis de faits d’un siècle dernier, d’une autre époque, celle où l’on parlait en francs, où les politiques utilisaient le subjonctif et les journalistes le conditionnel. Une époque où la corruption d’agents publics étrangers dans les contrats internationaux était autorisée et déductible fiscalement », poursuit Me Martineau. L’avocat s’est attaché à démontrer que les faits imputés à M. Balladur étaient prescrits malgré les décisions contraires de la Cour de cassation dans ce dossier. En substance, l’avocat affirme que les abus de biens sociaux imputés aux deux sociétés d’armement d’État n’étaient pas dissimulés. « Toutes les informations étaient sur la table des administrateurs et des actionnaires ». Rien n’était dissimulé, tout aurait dû donc être prescrit au plus tard en 1998.

La théorie selon laquelle l’ancien Premier ministre et son ministre de la Défense auraient imposé un second réseau d’intermédiaires, le réseau K, dans cinq contrats d’armement d’un montant de près de 32 milliards de francs ne tient pas la route selon la défense. Aucun élément matériel dans le dossier ne vient étayer cette accusation.

Ce réseau, ayant obtenu, selon l’accusation, des « commissions exorbitantes », aurait fait parvenir en France d’importantes rétrocommissions dont aurait bénéficié un Premier ministre en campagne et sans appui financier d’un parti.

Pour preuve, toujours selon l’accusation, la concomitance d’un retrait les 6 et 7 avril 1995 de 13 millions de francs du compte à Genève d’une des membres du réseau K et le dépôt en espèce sur le compte de campagne de M. Balladur le 26 avril de la même année. « À partir de là, on procède uniquement par suppositions, par hypothèses et par affirmations que rien ne vient véritablement étayer », martèle Me Martineau.

« La chronologie des retraits d’espèces effectués […] en Suisse début avril 1995, en francs français, pour des montants correspondant parfaitement aux remises faites en espèces sur le compte de l’AFICEB dans des conditions qui sont pour le moins suspectes, constitue, sinon une preuve matérielle irréfutable, un élément constitutif certain », a considéré mardi le ministère public.

Selon la défense, cette prétendue identité des montants, la proximité des dates de retrait et de dépôt, ne résiste pas à l’analyse des éléments du dossier. Les billets de 500 F retirés à Genève étaient neufs et enliassés, ceux déposés sur le compte de campagne en vrac, usagés et de montants différents. Les billets retirés à Genève ne sont pas ceux qui ont été déposés le 26 avril à Paris, assure Me de Belloy. Mais l’accusation a continué sur cette hypothèse. « Plutôt entrer dans une course effrénée pour surtout ne pas se dédire faire marche arrière, malgré la matérialité des faits. Tout ce qui compte, c’est de faire coïncider les montants », poursuit-il.

Personne n’a voulu entendre, plaide-t-il, que ces fonds pouvaient provenir de la vente d’objets lors des meetings. « En vingt-cinq ans, il n’y a pas eu un élément matériel tangible, concret venu contredire les explications données au Conseil constitutionnel ». Explications « moquées, caricaturées », rappelle-t-il avant d’avancer que le recueil de 15 000 € à 20 000 € par département pendant la campagne ne semblait pas irrationnel.

« Comme vous allez le relaxer sur le recel, vous allez le relaxer sur la complicité », a demandé Me de Belloy. L’enquête, dit-il, est partie dans « une espèce de folle course pour montrer qu’Édouard Balladur a participé, a mis en place, a favorisé, a grenouillé dans ces rétrocommissions. Pour montrer qu’Édouard Balladur est le grand architecte des rétrocommissions ».

L’ancien Premier ministre, rappelle-t-il, n’est pas intervenu dans le dossier Agosta, la vente de sous-marins au Pakistan. Alors, poursuit-il, puisque les enquêteurs ne trouvent rien, ils vont aller voir sur les contrats saoudiens, notamment Sawari II, la vente de frégates militaires.

Sa seule intervention dans ce dossier, résume-t-il, sera de limiter le sous-financement proposé par le ministère de la Défense qui pouvait faire peser un risque sur les finances de l’État. Le ministère de la Défense chiffrait à 2,8 milliards de francs. Matignon tranchera à 1,8 milliard quand Bercy voulait le réduire à 1,4 milliard. « Le seul arbitrage, il est favorable au ministère de l’Économie », s’étrangle l’avocat avant de se lancer dans une variante de la tirade d’Harpagon. « À aucun moment, Édouard Balladur ne dit “mes rétrocommissions, mon argent, ma cagnotte, ma cassette”. Ce n’est pas le premier de ses soucis. » « Cet arbitrage, poursuit-il, freine drastiquement ce que demandait le ministre de la Défense, François Léotard. »

Me de Belloy a consacré sa fin de plaidoirie à la présomption d’innocence, « l’immense apport de la Révolution française ». Et de citer les travaux de la Cour de cassation sur cette notion. « Il faut en déduire que le bénéfice du doute est la conséquence opérationnelle de l’impossibilité, pour qui en a la charge, d’apporter la preuve de l’élément matériel ou de l’élément moral de l’infraction et d’emporter ainsi la conviction du juge répressif. L’innocence, n’est plus seulement présomption, mais devient vérité judiciaire. » Avant d’ajouter : « Avec les théories totalement délirantes de l’accusation, il n’y a pas la moindre preuve, vous devez relaxer Édouard Balladur. Il vous est interdit de prendre une autre décision que cela. »

Une décision de relaxe, souffle-t-il à la CJR, qui sera caricaturée en une justice des puissants, mais « la justice n’est pas là pour plaire », rappelle l’avocat. « Là où l’accusation s’est perdue en conjectures, en hypothèses, votre motivation tiendra en quelques lignes. Elle fera deux paragraphes. L’accusation n’apporte pas les preuves de ses allégations ni sur recel ni sur complicité. Les éléments du dossier montrent des preuves tangibles qui contredisent l’accusation. Votre décision sera limpide. »

Vérité judiciaire attendue le 4 mars.

 

 

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