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Rémunération minimale des avocats et restriction de concurrence

Une règlementation nationale qui ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par une organisation professionnelle d’avocats est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché intérieur au sens de l’article 101, § 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

par François Mélinle 12 janvier 2018

Par cet arrêt du 23 novembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se penche sur la règlementation bulgare relative aux avocats, qui prévoit que le montant de la rémunération de l’avocat ou de l’avocat d’un Etat membre de l’Union est déterminé par une convention conclue avec le client. La loi bulgare prévoit que ce montant doit être équitable et justifié mais qu’il ne peut pas être inférieur au montant prévu par un règlement adopté par le Conseil supérieur du barreau en Bulgarie pour le type de prestation concerné. La négociation d’une rémunération inférieure constitue une infraction disciplinaire.

Il s’agissait d’apprécier la compatibilité entre cette règlementation et l’article 101, § 1, du TFUE, qui retient notamment que sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

Dès lors que le Conseil supérieur du barreau bulgare ne se comporte pas comme un démembrement de la puissance publique, il doit en effet être considéré comme une association d’entreprises au sens de l’article 101, lorsqu’il adopte des règlements fixant les montants minimaux de la rémunération de l’avocat (arrêt, point 49).

Il faut dès lors rechercher si cette règlementation est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché intérieur.

Sur le plan des principes, il est certain qu’elle est susceptible de restreindre ce jeu de la concurrence puisque la fixation de montants minimaux de la rémunération de l’avocat, rendus obligatoires par une règlementation nationale, équivaut à la fixation horizontale de tarifs minimaux imposés. En ce sens, elle empêche les autres prestataires de services juridiques d’établir des montants de rémunération inférieurs à ces montants minimaux (en ce sens, v. CJUE 4 sept. 2014, API e.a., aff. C-184/13 à C-187/13, C-194/13, C-195/13 et C-208/13, point 43, CCC 2014, n° 249, note G. Decocq ; Europe 2014, n° 467, note L. Idot.).

Toutefois, la CJUE prend soin de préciser qu’une telle règlementation ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée par l’article 101. Il faut en effet tenir compte du contexte global et, plus particulièrement, de ses objectifs, avant d’examiner si les effets restrictifs de la concurrence qui en découlent sont inhérents à la poursuite de ces objectifs (en ce sens, v. déjà CJUE 4 sept. 2014, préc., point 47) et s’ils sont limités à ce qui est nécessaire pour assurer leur mise en œuvre (arrêt, points 53 à 55). La CJUE ajoute qu’il appartient au juge national de vérifier ces éléments.

Cet arrêt relatif à la législation bulgare n’aura pas de conséquence sur le cadre juridique appliqué en France par les avocats en ce qui concerne leur rémunération (sur ce, v. H. Ader, A. Damien, T. Wickers, S. Bortoluzzi et D. Piau, Règles de la profession d’avocat, Dalloz Action, 2016/2017, p. 1154 s.). Il mérite néanmoins de retenir l’attention car il constitue une illustration éclairante de la jurisprudence de la Cour de justice lorsqu’est en cause une règlementation propre à une profession qui a une incidence sur les prix.