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Rémunérations des associés de SEL : extension du régime à tous les libéraux et à toutes les formes sociales !

Les libéraux subissent de plein fouet et pour la première fois, à l’occasion de leur déclaration des revenus de 2024, l’impact de la nouvelle doctrine fiscale publiée le 15 décembre 2022, les contraignant à distinguer artificiellement deux parties dans leur rémunération, soumises à deux régimes fiscaux distincts, entrainant complexité et incompréhension devant ce système qui ne concerne que certains professionnels et pas les autres. L’espoir résidait dans un recours du Conseil national des barreaux (CNB) devant le Conseil d’État, lequel vient de le rejeter, en étendant le régime contesté à toutes les professions et à toutes les formes sociales. L’arrêt annule toutefois certains éléments de détail du nouveau régime. 

Il y a des réformes qui vous saisissent d’incrédulité. On se dit que ce n’est pas possible, que c’est inique, que le bon sens va l’emporter. Et puis non ! Le texte est adopté et il faut subir. Ce scénario vient de se dérouler pour certaines professions libérales réglementées (PLR), à savoir les professions juridiques et judiciaires (PJJ), qui se sont vu imposer un très improbable régime de distinction de leurs rémunérations par une modification de la doctrine fiscale intervenue le 15 décembre 2022 et dont la mise en œuvre, initialement immédiate, a été reportée au 1er janvier 2024, de sorte que c’est maintenant que les effets pratiques sont ressentis, au moment de la déclaration des revenus de 2024.

Cette réforme, qui vient s’ajouter à plusieurs autres spécificités désagréables du régime des libéraux, crée une nouvelle discrimination entre les PLR, puisque certaines professions y échappent, bien qu’exerçant sur le même marché que celles qui y sont soumises, et à l’égard des commerçants, industriels, artisans et agriculteurs.

Saisi d’un recours par le CNB, auquel aucune autre profession n’a voulu se joindre, le Conseil d’État vient de rejeter la plupart de ses demandes par un arrêt du 8 avril 2025.

Rappel des épisodes précédents

On rappellera brièvement la genèse de cette étrange réforme laquelle a fait l’objet d’un commentaire détaillé dans ces colonnes (P. Touzet, Rémunérations des associés de SEL : un régime strict, discriminatoire, et des incertitudes nombreuses, Dalloz actualité, 27 nov. 2023).

À l’origine, le régime fiscal applicable aux rémunérations des associés et dirigeants de sociétés d’exercice libéral (SEL) a subi d’importantes perturbations, à la suite de deux arrêts rendus par le Conseil d’État en 2013 et en 2017 (CE 16 oct. 2013, n° 339822 ; 8 déc. 2017, n° 409429, nous avions commenté, à l’époque, cette seconde décision).

Depuis ces décisions en effet, le régime spécial des sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées (SELAS) et des sociétés d’exercice libéral à forme anonyme (SELAFA) était fragilisé, car cette jurisprudence était contraire à la doctrine fiscale, fondée sur la réponse ministérielle Cousin (Rép. min., n° 39397, JOAN Q 16 sept. 1996 ; v. aussi, BOI-RSA-GER-10-10-20, § 140), qui considérait que les rémunérations dites « techniques » perçues par les associés non dirigeants de SEL entrent dans la catégorie des traitements et salaires (TS), alors que par les deux arrêts précités, le Conseil d’État a estimé, au contraire, que ces rémunérations techniques perçues par un associé de SELAS ou de SELAFA doivent recevoir, en l’absence de lien de subordination, la qualification de bénéfices non commerciaux (BNC).

La profession d’avocat a tenté à de multiples reprises d’obtenir des pouvoirs publics, pour tous les associés de SEL, un régime homogène fondé sur l’article 62 du code général des impôts, sans y parvenir. Le 15 décembre 2022, assez brutalement car cette réforme devait initialement entrer en vigueur le 1er janvier 2023, soit quinze jours plus tard, l’administration a modifié sa doctrine pour la calquer sur la jurisprudence du Conseil d’État.

Le nouveau régime

Désormais, est érigée en principe l’imposition dans la catégorie des BNC des rémunérations dites « techniques » perçues par les associés d’une SEL au titre de l’exercice de leur activité professionnelle, sauf en présence d’un lien de subordination entre l’associé et la SEL au titre de cette activité, auquel cas c’est le régime des traitements et salaires qui s’applique).

La doctrine fiscale était ainsi mise en harmonie avec la jurisprudence précitée, mais sans en définir les contours, lesquels ont été précisés ultérieurement par plusieurs rescrits de la Direction de la législation fiscale (DLF ; v. not., le rescrit du 27 déc. 2023, BOI-RSA-GER-10-30).

Successivement, au fur et à mesure des précisions apportées par l’administration, on a pu comprendre que le nouveau régime fiscal des associés de SEL n’était composé que de contraintes et d’aucun droit, notamment pas des droits qui découlent normalement du statut d’« indépendant BNC ».

On tentera ci-dessous de décrire ce régime de façon claire et synthétique :

  • (1) l’associé doit distinguer sa rémunération de dirigeant social – soumise aux régimes habituellement applicables selon le type de société (CGI, art. 62 ou 80 ter) – et celle d’associé exerçant, soumise au régime BNC ;
  • (2) il doit tenir une comptabilité BNC et établir une 2035 pour la partie « exerçant » de sa rémunération : il s’agit d’une sujétion entièrement nouvelle, qui n’est pas assez dénoncée : dans une société d’avocats comportant dix associés, il faudra donc onze comptabilités ;
  • (3) en plus de ces sujétions administrativo-comptables, il perd l’abattement de 10 % sur l’essentiel de sa rémunération, certains considérant que c’est le but ultime de la réforme ;
  • (4) bien que BNC, il n’est pas considéré comme un indépendant ;
  • (5) il ne peut pas bénéficier des dispositions de la loi du 14 février 2022, et notamment de la protection du patrimoine personnel qui en découle ;
  • (6) il ne peut pas opter pour l’assimilation à l’EURL ni bénéficier du régime de l’impôt sur les sociétés pour son BNC ;
  • (7) il n’est pas considéré comme créant une activité au sens du micro BNC, même s’il n’a déclaré aucun BNC au cours des dix ou vingt dernières années, la DLF précisant que « pour l’appréciation du seuil d’application du régime micro BNC, il convient de retenir les sommes déclarées dans la catégorie des traitements et salaires au titre de l’année civile précédente et/ou de la pénultième année, qui auraient été déclarées dans la catégorie des BNC si elles avaient été perçues à compter de 2024 ». En d’autres termes, pour l’application du régime micro BNC, l’administration considère que les revenus antérieurs, bien que non qualifiés de BNC, sont des BNC.
  • (8) l’associé n’est pas assujetti à la TVA ni à l’obligation de facturation de ses rémunérations. L’administration estime en effet que l’associé exerçant de la SEL n’est pas lui-même un exploitant, et il est donc « logique » qu’il ne soit pas assujetti. Mais dans ce cas, est-il « logique » que l’associé, non-exploitant, soit soumis à un régime...

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