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Renouer un dialogue serein et fécond entre magistrats et avocats

Le 20 juin 2022, le Conseil consultatif conjoint de la déontologie de la relation magistrat-avocat s’est vu remettre les trois rapports des groupes de travail lancés le 26 mai 2021. Dalloz actualité revient sur les principales recommandations qui s’en dégagent.

Il y a trois ans, le 26 juin 2019, une charte portant création du Conseil consultatif conjoint de la déontologie de la relation magistrat-avocat a été signée par une pluralité d’acteurs : la Cour de cassation, le Conseil supérieur de la magistrature, les conférences nationales des premiers présidents et procureurs généraux près les cours d’appel, les conférences des présidents et des procureurs de la République près les tribunaux judiciaires, l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer et l’ordre des avocats au barreau de Paris. Cette charte a donné plusieurs missions pour élaborer des référentiels précis sur cette relation particulière entre deux acteurs majeurs de la Justice, à savoir les avocats et les magistrats. Le premier rapport note les raisons de la distanciation entre ces deux corps de métiers tenant à une multiplicité de facteurs parmi lesquels on compte l’augmentation croissante du nombre d’avocats, la dématérialisation de la procédure, la disparition des espaces d’échanges, le recul des règles de courtoisie à l’audience par exemple (Rapport « Usages et bonnes pratiques » p. 4). La mission confiée au Conseil consultatif conjoint était donc particulièrement délicate puisque la crispation entre les professions se fait parfois de plus en plus patente, jusque dans les salles d’audience et ce devant les justiciables. Les trois rapports rendus signent un véritable travail d’équipe et de coordination montrant toute la potentialité de la complémentarité de ces métiers. Trois groupes de travail avaient été constitués avec des objectifs distincts. D’abord, le premier avait pour fonction d’isoler les usages et les bonnes pratiques, ce qui s’est cristallisé notamment à travers le renouveau de la notion de « foi du Palais ». Ce groupe a travaillé sur les différents aspects des relations institutionnelles à l’audience ou en dehors de celle-ci. Ensuite, le deuxième groupe de travail avait pour objectif de compiler les principales difficultés rencontrées par les deux professions dans leurs échanges, à savoir notamment autour des demandes de renvoi, des conflits d’intérêts, des comportements à l’audience, de la violation du principe du contradictoire et des comportements délétères. Ce deuxième rapport est particulier en ce qu’il est un recueil de cas pratiques isolant des problématiques réelles et des propositions de solution envisagées par le groupe de travail. Enfin, le troisième groupe avait pour mission de dresser les perspectives des relations avocats-magistrats à l’heure de l’open data, de la construction de nouveaux palais de justice et face à l’essor d’une justice négociée. La Cour de cassation note sur son site internet que ces documents sont « les prémices de ce dialogue retrouvé et apaisé, et d’échanges facilités qui permettent de mieux se comprendre et d’offrir, ensemble, une meilleure justice ». La complexité de l’opération réside dans le spectre assez large d’étude de ces trois rapports qui parviennent sans se recouper à être particulièrement complets dans un ensemble long de près de 100 pages. Il faut peut-être regretter la dispersion des informations dans trois rapports différents mais la synthèse dans un document unique gommera ce léger défaut. Le triptyque assure le respect de la charte portant création du Conseil consultatif conjoint afin non pas seulement d’améliorer la relation elle-même mais de faire rejaillir les améliorations potentielles sur l’acteur majeur du processus judiciaire, à savoir le justiciable « auquel le service de la justice se doit d’être correctement et efficacement rendu ».

De ces trois rapports, deux grandes thématiques apparaissent clairement : la première consiste à dresser une série de bonnes pratiques et la seconde à évoquer des perspectives liées à plusieurs faits incontournables de la Justice de demain. Ce sera le plan de la synthèse de ces rapports.

Isoler les bonnes pratiques et identifier les difficultés pour mieux y remédier

Afin de mieux identifier les facteurs d’amélioration qui peuvent être appliqués pour adoucir la relation magistrat-avocat, les différents groupes de travail ont mis en exergue une série de pratiques destinées à parvenir à cet objectif. Ici, le rôle de la foi du Palais resurgit avec un accent délibéré mis sur l’audience, lieu de certaines crispations tant au civil qu’au pénal.

Le rôle structurant de la foi du Palais et de la formation

Le premier groupe de travail commence par un avant-propos qui peut étonner puisqu’il invoque la notion de « foi du Palais » en précisant que « le rappel formel de la notion (ndlr : la foi du Palais) au sein d’un guide de bonnes pratiques et d’usages est apparu incontournable aux membres du groupe tant il constitue le ciment des relations entre magistrats et avocats, même si aucune sanction n’est attachée à sa violation » (p. 7 du rapport « Usages et bonnes pratiques »). À dire vrai, si l’étonnement peut saisir le lecteur, c’est parce que la notion de foi du Palais n’est que rarement mise en avant. Elle peut se définir comme un usage ancien qui consiste à protéger l’échange au sein de la communauté des gens de justice. En ceci, il s’agit d’une règle non écrite garantissant une certaine confidentialité, ici entre l’avocat et le magistrat se croisant dans le Palais de justice lors d’un échange informel. Le rapport présente la foi du Palais comme un « remède » dont l’efficacité ne serait pas à prouver afin d’adoucir la relation entre l’avocat et le magistrat. La notion est d’ailleurs parfois utilisée en jurisprudence pour garantir la confidentialité de ces discussions hors procédure (Crim 14 févr. 2004, n° 03-82.494, cité page 9 du rapport « Usages et bonnes pratiques »). Le groupe de travail milite ainsi pour une extension de cet usage séculaire lequel permettrait de rendre meilleures les relations entre professionnels. On comprend surtout de la foi du Palais qu’elle permet l’inclusion des deux professions dans une même communauté, celle du lieu de Justice, leitmotiv que l’on retrouve dans l’ensemble des rapports rendus au Conseil consultatif conjoint de la déontologie notamment à travers l’architecture des Palais de justice (cf. infra).

La foi du Palais passe également par de bonnes relations institutionnelles entre bâtonniers et chefs de cour et de juridiction. Le rapport passe en revue différentes recommandations pour fluidifier celles-ci (p. 18 et suivantes) et en favorisant des réunions institutionnelles entre ces différents organes. La volonté de « favoriser entre chefs de cour et bâtonniers du ressort un dialogue permanent » signe l’exigence d’interaction fondamentale entre les acteurs institutionnels des deux corps de métiers. On notera que, sur ce point, c’est le fonctionnement de la juridiction qui est au cœur de la discussion en tant, qu’à nouveau lieu de justice, plus que lieu de travail du magistrat.

Les bonnes pratiques passent également par une meilleure formation. Le groupe de travail isole plusieurs recommandations qui consistent à mélanger les acteurs lors des sessions de formation et à favoriser une interaction pendant la formation continue et ce afin de croiser les points de vue. Cette diversité pendant les formations reste une excellente chose car le retour croisé des expériences permet évidemment d’isoler des difficultés communes et de prendre conscience de la spécificité de l’autre corps de métier. C’est également lors de la formation initiale que l’accent doit être mis (p. 14 du rapport Usages et bonnes pratiques) en invitant à mieux sensibiliser auditeurs de justice et élèves-avocats aux usages de la profession à laquelle ils ne se destinent pas. L’idée selon laquelle il faudrait favoriser les stages des élèves avocats en juridiction reste un excellent moyen de faire comprendre le fonctionnement et les enjeux de la fonction de juger.

L’accent est mis dans ce premier rapport sur le rôle de l’audience.

De l’intérêt de l’audience

Le rapport pointe l’existence d’une certaine dissymétrie qui se retrouve dans le plan adopté : l’audience civile entretiendrait moins de crispations que son pendant pénal. Par exemple, on remarque d’emblée que le groupe de travail met en lumière que certaines chambres civiles de cours d’appel demandent que les dossiers ne soient plus plaidés. Si cette situation « n’est pas normale » selon le rapport, ce dernier rappelle le « rôle social du juge » dans sa dimension d’écoute des parties et donc des avocats. Les recommandations page 24 du rapport « Usages et bonnes pratiques » invitent ainsi à préserver l’oralité des débats et favoriser une interaction durant les plaidoiries notamment. Ces propositions invitent à considérer l’audience civile comme un lieu d’écoute et non simplement comme un lieu de dépôt. Reste simplement à savoir si le débat de l’utilité réelle de la plaidoirie dans l’ensemble des contentieux (notamment les contentieux techniques et chiffrés comme la liquidation des régimes matrimoniaux et des successions) sera un jour mis sur le table. Sur ce point, le rapport est silencieux. 

L’audience pénale suscite plusieurs difficultés différentes qui se retrouvent dans le rapport qui ne formalise pas moins de 19 recommandations à son sujet. On notera que le groupe de travail n’a pas réellement trouvé de résultat à la situation de l’hypothèse de l’expulsion de l’avocat qui cristallise une certaine tension encore aujourd’hui. La préconisation consensuelle est alors minimale en matière de gestion des incidents d’audience (p. 31 du rapport) montrant peut-être les limites de la charte initiale pour l’heure sur des sujets aussi conflictuels. Est évoquée, sur ce point précis, ainsi la possibilité d’un appel préalable et obligatoire au bâtonnier et aux chefs de juridiction, ce qui suppose de suspendre l’audience pour attendre le résultat de cet appel.

Le rapport « Usages et bonnes pratiques » doit être complété par le deuxième document intitulé « Cas pratiques » qui évoque plusieurs situations pouvant poser difficulté. Les 36 pages de ce deuxième rapport ne seront pas étudiées exhaustivement dans la présente analyse et nous invitons le lecteur à s’y référer car il est peu commode de commenter ces situations pratiques. Il faut toutefois s’intéresser à la méthodologie qui est employée : la dizaine de situations envisagées recoupent des événements assez fréquents en audience qui peuvent à eux seuls provoquer une certaine crispation entre les deux corps de métiers. À chaque cas pratique est proposée une solution consensuelle permettant de mieux appréhender les relations entre les avocats et les magistrats. Mais on notera surtout que le but reste d’anticiper les potentielles crispations autour de l’échange et de la compréhension notamment en termes de règles de déontologie respectives et propres à chaque métier (p. 34 et 35 du recueil de cas pratiques). Plusieurs cas pratiques sont dédiés par exemple au refus de renvoi et à l’interdiction de plaider. Le groupe rappelle la nature de mesure d’administration judiciaire de la décision de renvoi qui signe une intervention du chef de juridiction malaisée pour rectifier le tir le cas échéant. En réalité, cette intervention n’aura aucun effet sur ladite demande de renvoi précisément mais elle pourrait aboutir à mettre fin à une pratique « contestable pouvant s’apparenter à des abus » (p. 10 du recueil de cas pratiques).

Ces deux premiers rapports témoignent d’un certain nombre de difficultés rencontrées sur le terrain. Leur lecture montre que les deux groupes de travail se sont confrontés à certaines crispations particulières qui ne peuvent être résolues à l’aide de documents écrits mais à force de temps et de mesures gommant la distanciation entre les corps de métiers. Comme le note la conclusion du rapport « Usage et bonnes pratiques » : « les membres du groupe de travail ont néanmoins fait le constat – et c’est heureux – que ce qui les rassemblait était bien plus important que ce qui les distinguait » (p. 34). La démarche qui peut paraître empreinte d’évidence s’explique par la volonté délibérée du groupe qu’il faut en revenir à des principes cardinaux et essentiels plongeant leurs racines dans les règles déontologiques communes.

À cette confection de bonnes pratiques répond des perspectives pour la Justice de demain. 

Quelles perspectives ?

Les perspectives dessinées par le troisième groupe de travail concernent deux enjeux majeurs sur la façon de dire le droit et de la produire mais également sur l’architecture des lieux de justice afin de recentrer la relation magistrat-avocat dans leur maison commune.

L’essor de nouvelles façons de dire le droit et le produire

Le troisième rapport explore la piste de la confrontation de l’open data avec la relation magistrat-avocat. Sur ce point, il faut assurément lire ce document en complémentarité avec le rapport remis à la Cour de cassation le 15 juin dernier sur la diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence commenté il y a quelques jours dans ces colonnes (C. Hélaine, Quelle jurisprudence à l’ère des données judiciaires ouvertes ?, Dalloz actualité, 20 juin 2022). Ce « chantier majeur pour la justice » (p. 12) implique pour le groupe de travail de proposer une instance chargée d’en assurer la régulation, point sur lequel il rejoint le rapport remis à la Cour de cassation qui recommandait également la création d’un groupe institutionnalisé. Mais on notera que les propositions sur l’open data s’arrêtent là, la seconde recommandation étant liée à la formation des avocats et magistrats aux nouveaux outils numériques qui reste incontournable en la matière. Il n’y a guère à regretter ici, ces deux préconisations formalisent davantage la prise en compte par le groupe de travail des difficultés posées par la diffusion des données décisionnelles. Elles devront s’inscrire en complémentarité avec le rapport de la Cour de cassation pour pouvoir s’inscrire dans une forme de continuité notamment pour garantir comment les avocats se saisiront des décisions des juges du fond dans leurs conclusions.

Ce troisième rapport « Prospectives » reste aussi l’occasion de s’attarder sur les modes alternatifs de règlement des différends. On retrouve des idées assez communes tant au niveau de la formation que de l’institutionnalisation notamment du médiateur. L’accent est mis sur la déontologie des acteurs de ces modes alternatifs (p. 9) tout en anticipant un possible manque de conciliateurs, ce qui doit nécessairement interroger sur les moyens humains dédiés à cette question. On constate que le rapport appelle de ses vœux une unification d’une « pratique nationale des MARD » (p. 10), formulation qui peut interroger. Sur ces difficultés précisément, on note que le rapport dresse une liste de perspectives générales qui n’auront peut-être pas beaucoup de succès tant un point commun rassemble les avocats et les magistrats, celui d’une certaine défiance par rapport à ces modes alternatifs de règlement des différends encore aujourd’hui. Mais, ce constat peut être amoindri par les recommandations de ce groupe mixte qui souhaite « encourager les acteurs de la justice à promouvoir la conciliation et la procédure participative » ; ce qui peut être un premier pas vers une meilleure ou, en tout cas, plus grande utilisation de la justice participative. C’est dans cette optique que le troisième groupe de travail a également évoqué la troisième voie pénale en souhaitant structurer la gestion de celle-ci au plan institutionnel (p. 18 et 19 notamment). Ce qui est souhaité à ce sujet, sur le fond, reste la logique du dialogue et de l’échange existant déjà « puisque des avocats vont à la rencontre des parquetiers dans une logique d’échange constructif » (p. 17 du rapport Prospectives).

À cette façon nouvelle de dire le droit ou de le produire répond une volonté de faire retrouver au Palais de justice l’une de ses fonctions, celle du lieu d’échanges entre avocats et magistrats.

Le palais de justice, lieu privilégié de l’échange

Le groupe de travail a également étudié un point plus original, celui de l’architecture et de l’immobilier des Palais de justice. Le rapport « Prospectives » note ainsi page 19 que ces lieux ont tendance à se transformer en « bunker » rendant plus complexe la relation avocat-magistrat. La conception des nouveaux palais de justice ne comprenant bien souvent pas de local dédié à l’ordre des avocats a pu contribuer à l’éloignement entre les deux corps de métiers. Le document émet l’idée de retrouver ces lieux au sein des juridictions.

Les propositions formulées par le troisième groupe de travail ont ici pour vocation essentielle de replacer l’avocat au cœur du Palais de justice en l’associant non seulement physiquement mais également institutionnellement dans les discussions par exemple sur les protocoles de sécurité des palais. Les lieux d’échanges ayant souvent disparu, le rapport propose de les rétablir pour qu’avocats, magistrats et personnels de greffe s’y retrouvent dans des moments informels. On notera également la volonté de mieux distinguer l’usager, le justiciable, de l’avocat au sein de l’accueil du palais de justice pour ménager des « espaces partagés par les avocats, les magistrats et les personnels de greffe ».

Conclusion

De ces trois rapports pluriels naissent des constats communs. La relation magistrats-avocats s’est distendue de manière diffuse dans le temps. Pour réparer les conséquences de cet éloignement, les recommandations formulées visent à mieux structurer les échanges voire à en retrouver tout simplement l’existence à travers des lieux dédiés à la question. Le Palais de justice devient alors la maison commune où les professionnels ne font pas que se croiser. Reste à savoir ce que ces trois rapports auront comme conséquence pratique. L’expérience montre que les documents n’ont parfois qu’un faible effet sur les problèmes qui y sont pointés. L’idée directrice est bien résumée dans les trois rapports : loin d’être adversaires, ces deux professions sont pleinement complémentaires. Maintenant que les difficultés sont isolées et que des recommandations sont formulées, il convient de les mettre en pratique et ce afin de faire renaître la relation magistrats-avocats et ce au profit du justiciable.

Affaire à suivre !