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Requête en divorce et présence de griefs dans les conclusions subséquentes

En application des articles 251 du code civil et 1106 du code de procédure civile, des conclusions déposées postérieurement à la requête en divorce ne peuvent en affecter la régularité, même si elles mentionnent des griefs étrangers aux demandes formulées au titre des mesures provisoires.

par Antoine Bolzele 12 novembre 2019

L’arrêt rendu par la Cour de cassation, promis à une large diffusion, condamne des pratiques procédurales autoritaires suivies par certains juges du fond. En l’espèce, une requête en divorce est déposée par le mari. Aux termes des dispositions des articles 251 du code civil et 1106 du code de procédure civile, cette requête initiale doit être muette à propos des raisons du divorce, ce qui était le cas en l’espèce. Cependant, dans la perspective de l’audience de tentative de conciliation obligatoire, le mari avait déposé des conclusions dans lesquelles il faisait état de très nombreux griefs à l’encontre de son épouse, lesquels avaient des liens plus ou moins directs avec les mesures provisoires sollicitées. L’épouse soulève alors l’irrecevabilité de ces écritures, ainsi que l’irrecevabilité de la requête initiale. Cette double irrecevabilité est accueillie par le juge aux affaires familiales dont l’ordonnance est confirmée par la cour d’appel. Selon les juges du fond, s’agissant d’une procédure orale, les conclusions doivent être assimilées à la requête et obéir aux mêmes principes. Dès lors que ces conclusions contiennent des griefs étrangers aux mesures provisoires, elles contreviennent aux exigences légales. La Cour de cassation n’est pas d’accord. D’une part, la teneur des conclusions ne pouvait affecter la régularité de la requête. D’autre part, l’interdiction de faire état, dans la requête en divorce, des motifs du divorce ne s’applique pas aux écritures déposées par les parties à l’appui de leurs observations orales lors de l’audience de conciliation. Selon les juges du droit, la solution adoptée par les juges du fond était donc doublement contraire à la loi.

Depuis la loi du 26 mai 2004 et son décret d’application du 29 octobre 2004, la procédure de divorce fait l’objet d’un tronc commun pour les divorces contentieux. Dans un objectif d’accélération de la procédure et de pacification de la séparation, le législateur a souhaité que la requête initiale ne contienne pas les griefs qui justifient la séparation. Par conséquent, la requête doit être neutre (A. Lienhard, La requête initiale unique. Première phase du tronc commun, AJ fam. 2004. 435 ). Il reste que cette volonté de pacification relève souvent de la quadrature du cercle en matière de contentieux familial. En effet, si la requête doit être purgée de tout grief, elle doit être complète et précise en ce qui concerne les mesures provisoires. Or les demandes des parties sur ces mesures provisoires sont parfois difficilement séparables des griefs ayant conduit l’un des époux à saisir le juge. Un mari toxicomane et alcoolique peut-il bénéficier du droit de garde des enfants ? Si l’on doit, dans la requête, présenter à part les motifs exposés au titre des mesures provisoires, il n’en demeure pas moins que, pour espérer les obtenir, certains praticiens n’hésitent pas à développer certains griefs dans leurs conclusions déposées en vue de l’audience de conciliation obligatoire. Dans ces écritures, ils sont amenés d’une manière ou d’une autre à faire état d’éléments de faits qui se présentent naturellement comme des infractions aux règles du mariage. Autrement dit, il arrive que, par le biais des moyens développés à l’appui des demandes formées au titre des mesures provisoires, certaines requêtes ou des conclusions subséquentes viennent à exposer plus ou moins volontairement des griefs laissant clairement apparaître les motifs du divorce. C’est ce glissement subreptice que refusent les juges du fond : la requête doit à tout prix rester neutre car, à ce stade, le juge ne doit pas entrer dans le débat de fond sur l’imputabilité du divorce.

Après l’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004, la question s’était posée de savoir quelle était la sanction en cas de non-respect du principe de neutralité de la requête : nullité de forme, inexistence des mentions relatives aux griefs ou fin de non-recevoir ? Dans le silence de la loi et du décret, une circulaire d’application du ministère de la justice avait opté pour une méthode douce : si la requête contenait des indications qu’elle ne devait pas contenir, il ne fallait pas en tenir compte (n° CIV/16/04, § 2.1.1.1). Pourtant, dans une ordonnance du juge des affaires familiales du 22 novembre 2005, c’est la sanction la plus dure, à savoir celle de l’irrecevabilité, qui avait été choisie (TGI Bordeaux, 22 nov. 2005, RTD civ. 2006. 288, obs J. Hauser ). L’arrêt d’appel censuré par la Cour de cassation témoigne que cette interprétation très stricte est encore présente dans l’esprit de certains magistrats. Peut-on leur en vouloir ? En vérité, cela est difficile si l’on part du constat que la volonté des juges du fond est que l’objectif des textes, celui de prohiber toute motivation sur les causes du divorce, soit parfaitement assuré. Il n’en demeure pas moins que, vis-à-vis du justiciable, dont les intérêts sont en principe censés être défendus par les textes, la requête en divorce sans motif est un objet de perplexité, pour utiliser un euphémisme. L’avocat doit ainsi expliquer à son client qui demande le divorce que l’on ne peut pas raconter l’histoire du couple ni les préjudices subis, pas même à l’appui des mesures provisoires. Il faut se taire pour ne pas cristalliser une atmosphère contentieuse et agressive qui n’est pas de nature à favoriser la conciliation et l’orientation des époux vers un accord. Cet angélisme du législateur est loin des réalités sociales auxquelles sont confrontés les praticiens du divorce. En effet, pour satisfaire à la fois la volonté de leurs clients et respecter les exigences idéalistes de la loi, les avocats sont parfois conduits à contorsionner leurs écritures pour éviter l’irrecevabilité. De plus, le principe conduisant à purger la requête de tout grief ne fait que retarder le moment où, après l’audience de conciliation obligatoire, les époux se jetteront à la figure les pires reproches dans l’assignation en divorce et les conclusions en réponse. Au final, le législateur s’est aperçu que sa logique idéaliste qui passe par un sas de pacification entre les époux était une perte de temps. Il a donc été supprimé par la loi du 23 mars 2019.

La procédure est parfois bien mise à mal pour satisfaire des intérêts confus et contradictoires qui placent le juge et les avocats dans la difficulté. C’est bien le problème de la procédure de divorce qui est orale et partiellement écrite, ce qui engendre de nombreuses complications comme l’illustre l’arrêt commenté. Au fond, la position des juges du fond est rigoureusement conforme aux buts poursuivis par la loi. Sans que la lettre soit aussi explicite, le message peut être compris par certains juges comme une injonction, celle de briser la pratique de certains avocats qui perturbent le bon déroulement de la procédure et sa rapidité. Lors de la requête, rien ne doit transparaître des motifs de la demande en divorce. Les avocats doivent plier, même si cela défie un peu trop le sens commun. En rétablissant celui-ci, la Cour de cassation défend une autre idée de la bonne application de la loi. Pour les juges du droit, il ne faut pas sanctionner outre mesure une pratique qui consiste à déposer des conclusions en vue de l’audience de conciliation. D’autant que la base juridique de la sanction qui consiste à déclarer les conclusions irrecevables et la requête irrégulière est fragile. En effet, déclarer que l’irrecevabilité de conclusions entraîne rétroactivement l’irrégularité d’une requête conforme aux exigences légales reste un raisonnement très discutable. Enfin, aussi condamnable soit-elle, cette pratique est vouée à disparaître en raison de la réforme attendue de la procédure de divorce. Autrement dit, la Cour de cassation suit aussi, à sa façon, la bonne application de la loi. Il ne s’agit donc pas d’une jurisprudence contra legem puisque les positions des juges du fond et de la Cour de cassation peuvent toutes les deux se recommander d’être conformes aux textes. L’autre leçon que l’on peut tirer de l’arrêt est de vérifier le principe qu’il n’existe pas de jurisprudence claire sans texte clair. Si le juge doit appliquer la règle de droit, encore faut-il que son sens soit explicitement énoncé. Lorsque la loi exprime les idées peu lucides du législateur sur les réalités judiciaires et lorsque celui-ci est animé par des motifs électoralistes commodes et complaisants, les praticiens, magistrats et avocats, doivent en permanence s’adapter, ce qui ne facilite pas l’exercice de leur métier. C’est pourquoi on attend avec impatience les nouvelles dispositions qui s’appliqueront à la procédure de divorce, en espérant qu’elles seront plus adaptées aux réalités.