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Requête en rectification d’erreur matérielle : pas de délai de prescription

La requête en rectification d’erreur matérielle, qui ne tend qu’à réparer les erreurs ou omissions matérielles qui affectent un jugement et qui ne peut aboutir à une modification des droits et obligations reconnus aux parties dans la décision déférée, n’est pas soumise à un délai de prescription. 

par Mehdi Kebirle 4 juillet 2018

La solution retenue dans cette décision retiendra l’attention en ce que la Cour de cassation se prononce clairement pour l’éviction de tout délai de prescription pour l’exercice de l’action en rectification d’erreur matérielle.

Par acte authentique, une société avait acquis auprès d’une autre société des actions que cette dernière détenait d’une troisième société. Un jugement d’un tribunal mixte de commerce avait prononcé le plan de redressement et d’apurement du passif de cette dernière société. Par requête, le mandataire liquidateur a saisi ce tribunal en interprétation du jugement. La juridiction a rendu un jugement rectificatif qu’une cour d’appel a infirmé au motif que la requête ne relevait pas de l’interprétation mais de l’erreur matérielle. Par une requête postérieure, la société acquisitrice et le mandataire liquidateur ont sollicité la rectification d’une erreur matérielle affectant le dispositif du même jugement.

La juridiction saisie a déclaré cette requête en rectification d’erreur matérielle irrecevable comme prescrite. Pour les juges du fond, l’action en interprétation du jugement, procédant d’une cause distincte mais tendant vers le même but que l’action en rectification, interrompt le délai de prescription de cette dernière. Cette extension de l’interruption suppose que l’interruption soit toujours en cours, ce qui n’est plus le cas en l’espèce, la requête en interprétation ayant été rejetée par la cour d’appel par un arrêt antérieur devenu définitif.

Par un moyen relevé d’office, l’arrêt est cassé au visa de l’article 462 du code de procédure civile. La Cour de cassation énonce que la requête en rectification d’erreur matérielle, qui ne tend qu’à réparer les erreurs ou omissions matérielles qui affectent un jugement et qui ne peut aboutir à une modification des droits et obligations reconnus aux parties dans la décision déférée, n’est pas soumise à un délai de prescription.

La procédure dont il est ici question permet aux plaideurs de procéder, sous certaines conditions, à la correction d’une erreur matérielle affectant un jugement. Lorsque le juge est saisi par requête, il statue sans audience, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties. En cas de décision rectificative, celle-ci sera simplement mentionnée sur la minute et sur les expéditions de la décision.

Lorsqu’un plaideur forme une requête en rectification, il saisit le juge qui a rendu la décision non pas pour que celui-ci porte un nouveau regard sur la décision qu’il a rendue mais simplement pour qu’il écume les scories qu’elle contient. Comme le dit justement un auteur, « la matérialité de l’erreur est la condition nécessaire à la rectification » (N. Fricero, « Rectification des erreurs et omissions matérielles », in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action, 2018, nos 522 s.). L’exigence de matérialité de l’erreur rectifiable entraîne des conséquences importantes ; en premier lieu en ce qui concerne le domaine de la rectification. Dans son attendu de principe, la Cour de cassation rappelle le principe même de la procédure conduisant à corriger les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée. L’article 462 cité par la Cour dispose que ces erreurs ou omissions peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. Aussi, s’il est difficile de dire ce qu’est l’erreur matérielle, on sait au moins ce qu’elle n’est pas. La procédure de rectification ne saurait conduire à porter atteinte à la substance même de la décision, c’est-à-dire aux droits et obligations qui ont été reconnus par le juge et qui ont été cristallisés par l’autorité de chose jugée qui lui est reconnu et à l’acte juridictionnel qui les renferme. Les exemples de cette limite intrinsèque à la notion d’erreur matérielle sont légions. Par exemple, le juge ne peut, sous couvert de rectification, prononcer une condamnation que ne comporte pas le jugement prétendument entaché d’erreur (Civ. 2e, 8 oct. 1988, JCP 1989. II. 21271) ou substituer au débiteur d’une indemnité identifiée par ses précédentes décisions d’autres débiteurs (Civ. 1re, 16 nov. 2004, n° 02-18.600 P, D. 2004. IR 3194 ; JCP 2005. I. 125, obs. A. Mekki). En somme, il est proscrit de modifier les droits et obligations des parties tels qu’ils résultent du jugement et se livrer à une nouvelle appréciation des éléments de la cause (Cass., ass. plén., 1er avr. 1994, n° 91-20.250, D. 1994. 293 , concl. M. Jeol ; RTD civ. 1994. 681, obs. R. Perrot ; JCP 1994. II. 22256, concl. Jéol ; ibid. I. 3805, n° 16, obs. Cadiet). Techniquement, la rectification du jugement ne peut constituer un recours mettant en cause l’autorité de la chose jugée attachée à la décision. Il existe pour cela des voies juridictionnelles idoines, spécialement prévues et strictement réglementées par le législateur.

L’intérêt de l’arrêt rapporté est de souligner les conséquences de la rectification, qui se trouvent aussi sur le terrain procédural. La requête en rectification n’est soumise à aucun délai de prescription, précisément parce qu’il ne saurait être question d’altérer les droits et obligations. Le mécanisme de prescription est un mode d’extinction d’un droit par l’effet du temps qui passe. Un droit prescrit est un droit éteint par l’écoulement d’un certain laps de temps. Au-delà de ce temps, l’action en justice devient impossible, de sorte qu’une prétention introduite relativement à ce droit n’est plus recevable et peut être combattue au moyen d’une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 122). Celui qui pouvait agir pour faire reconnaître son droit devant un juge ne le peut plus car il s’en est soucié trop tardivement. En l’occurrence, la haute juridiction précise que le droit de demander la rectification d’une décision matériellement erronée. La solution doit être approuvée. D’une part, aucun texte n’impose un délai de prescription particulier quant à l’exercice de l’action en rectification. Bien au contraire, le législateur a pris soin de concevoir largement cette possibilité en prévoyant, au sein même de l’article 462 du code de procédure civile, que les erreurs et omissions peuvent « toujours » être réparées. Pour les juges du fond, puisqu’aucune prescription légale n’encadre le délai dans lequel une demande en rectification d’erreur matérielle doit intervenir, il convenait par conséquent de lui appliquer le délai de prescription extinctive de droit commun, c’est-à-dire cinq ans. Ils ont en outre considéré que, si l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en va autrement lorsque les deux actions, quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but. C’était pour eux le cas de l’action en interprétation du jugement et de l’action en rectification. Or ce raisonnement était doublement erroné (et sans doute excessivement complexe). D’abord, si la loi ne prévoit aucun délai de prescription c’est tout simplement parce qu’aucun délai de prescription ne doit être appliqué… Ensuite, l’action en interprétation et l’action en rectification n’ont pas du tout le même but. L’une tend à éclairer la compréhension « intellectuelle » du jugement, l’autre à la délivrer de ces scories « matérielles ».

Plus fondamentalement, si aucun délai de prescription n’est imposé pour l’action en rectification, c’est qu’il n’est aucunement question de l’exercice d’un droit substantiel. La procédure de rectification permet simplement de corriger l’expression d’une pensée que le juge croyait juste mais qui se révèle viciée par inadvertance et qui ne traduit pas réellement ce que ce dernier a voulu ordonner. Libérer l’action en rectification de tout délai de prescription, c’est permettre, au fond, de retranscrire la réelle pensée du juge sans graver dans le marbre d’une décision devenue définitive ce que le juge n’a jamais voulu dire. La procédure de rectification tend au fond à rétablir la concordance entre le for intérieur du juge et la volonté exprimée. Elle rétablit l’harmonie rompue de la lettre et de l’esprit. Or il est toujours préférable de réunir ce qui souffre d’être séparé, peu important le temps que cela doit prendre. L’écoulement du temps ne saurait s’opposer à ce que la simple raison commande.