Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Requêtes en nullité durant l’instruction : précisions sur les délais de forclusion

Si le mis en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant un interrogatoire dans un délai de six mois,  ce délai de forclusion ne s’applique pas aux actes auxquels il a été procédé après le dernier interrogatoire.

par Sébastien Fucinile 16 septembre 2019

Par un arrêt du 7 août 2019, la chambre criminelle a rappelé les règles gouvernant les délais de forclusion des requêtes en nullité présentées au cours de l’information judiciaire. Au visa des articles 173 et 173-1 du code de procédure pénale, elle a affirmé qu’ « il résulte de la combinaison de ces textes que, d’une part, sous peine d’irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant un interrogatoire dans un délai de six mois à compter de cet interrogatoire, sauf dans le cas où elle n’aurait pu les connaître, d’autre part, ce délai de forclusion ne s’applique pas aux actes auxquels il a été procédé après le dernier interrogatoire en date de la personne mise en examen, dont celle-ci peut critiquer la régularité ».

Pour la chambre de l’instruction, la requête en nullité portant sur un acte postérieur au dernier interrogatoire était irrecevable en ce qu’elle avait été présentée plus de six mois après le dernier interrogatoire et avant le délai de trois mois suivant l’avis de fin d’information. La Cour de cassation s’oppose à une telle analyse et casse l’arrêt de la chambre de l’instruction. Ce faisant, la chambre criminelle rappelle les règles gouvernant les délais de forclusion des requêtes en nullité.

La présentation d’une requête en nullité est soumise, par les articles 173 et suivants du code de procédure pénale, à une combinaison de délais de forclusion qui doit être bien comprise. L’article 173-1 du code de procédure pénale, tout d’abord, impose à la personne mise en examen de présenter les moyens de nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de l’interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de cet interrogatoire. Il en est de même pour chaque interrogatoire ultérieur : les moyens de nullité des actes accomplis avant un interrogatoire doivent être présentés dans les six mois qui suivent cet interrogatoire à peine d’irrecevabilité. L’article prend soin de préciser que cette irrecevabilité ne s’applique pas pour les moyens de nullité que le mis en examen ne pouvait connaître (V. par ex., Crim. 5 mars 2019, n° 18-85.752, Dalloz actualité, 22 mars 2019, obs. W. Azoulay).

Ensuite, l’article 174 précise que lorsque la chambre de l’instruction est saisie d’une requête en nullité, « tous moyens pris de nullité de la procédure qui lui est transmise doivent, sans préjudice du droit qui lui appartient de les relever d’office, lui être proposés. À défaut, les parties ne sont plus recevables à en faire état, sauf le cas où elles n’auraient pu les connaître ». Ainsi, il convient de soulever tous les moyens de nullité non encore purgés et qui pouvaient être connus lorsqu’une requête en nullité est présentée au cours de la procédure, sans quoi les parties ne seront plus recevables à soulever la nullité de ces actes. Cela s’applique aux moyens de nullité portant sur des actes tant antérieurs que postérieurs au dernier interrogatoire.

Enfin, l’article 175 du code de procédure pénale, dans sa version alors en vigueur, prévoyait que lorsque le juge d’instruction délivrait l’avis de fin d’information, les parties disposaient d’un délai d’un mois si une personne mise en examen est détenue ou de trois mois dans les autres cas, pour présenter des requêtes en nullité, qui étaient irrecevables par la suite. Bien entendu, ce dernier délai s’applique aux nullités non encore purgées, qui ne sont pas irrecevables sur le fondement des articles 173-1 ou 174 du code de procédure pénale. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a modifié cet article et prévoit désormais que ce délai ne s’applique que si les parties ont fait savoir au juge d’instruction, au cours de la procédure ou dans le délai de quinze jours suivant l’avis de fin d’information, qu’elles souhaitent exercer leurs droits découlant de l’article 175.

En l’espèce, un des mis en examen avait soulevé une requête en nullité le 27 juin 2017, portant sur des actes réalisés en 2016 et versés au dossier de la procédure le 15 mars 2017. Son dernier interrogatoire avait par ailleurs eu lieu le 29 janvier 2016. En outre, l’avis de fin d’information avait été délivré le 24 juillet 2017. La chambre de l’instruction avait estimé qu’une requête en nullité n’était recevable que dans les six mois suivant le dernier interrogatoire et que le délai pour déposer de telles requêtes ne réouvrait qu’à compter de l’avis de fin d’information pour trois mois, dans la mesure où personne n’était détenu dans le cadre de la procédure. Or, une telle analyse est en contradiction avec la lettre de l’article 173-1 du code de procédure pénale : en effet, comme l’a relevé la chambre criminelle, le délai de forclusion de six mois suivant chaque interrogatoire ne s’applique qu’aux moyens de nullité portant sur des actes antérieurs ou sur l’interrogatoire lui-même qui étaient connus (v. dans le même sens, Crim. 19 sept. 2001, n° 01-85.202, D. 2001. 3332 ; RSC 2002. 844, obs. D. N. Commaret ). Cet article n’a pas vocation à s’appliquer aux actes postérieurs au dernier interrogatoire. S’agissant de ces actes, les moyens de nullité peuvent être présentés à tout moment, jusqu’au terme du délai de six mois suivant l’interrogatoire ultérieur en l’absence d’avis de fin d’information dans ce laps de temps, ou dans le mois ou les trois mois suivant l’avis de fin d’information le cas échéant. En l’espèce, la requête en nullité a bien été présentée avant l’expiration du délai de forclusion résultant de l’avis de fin d’information ; il est indifférent qu’elle n’ait pas été présentée au sein du délai de trois mois mais avant celui-ci, l’article 173-1 et l’article 175 n’énonçant que des délais de forclusion et non pas des périodes avant lesquelles les requêtes seraient irrecevables.

En outre, la chambre criminelle a approuvé dans ce même arrêt la chambre de l’instruction d’avoir déclaré irrecevable une requête en nullité en ce qu’elle portait sur un moyen de nullité connu avant une précédente requête en nullité. Il s’agit de l’application de l’article 174 du code de procédure pénale qui impose aux parties de présenter en même temps tous les moyens de nullité, sauf s’ils ne pouvaient pas être connus. La requête en nullité, présentée le 2 octobre 2018, portait sur la mise en examen, dont la nullité ne pouvait plus en principe être soulevée passé le délai de six mois suivant l’interrogatoire de première comparution. Mais le moyen de nullité se fondait sur un élément qui ne pouvait pas être connu à ce moment-là : une décision civile portant sur un contrat de vente immobilière conclu par le mis en examen et sur le fondement duquel il était mis en examen pour escroquerie.

La cour d’appel a statué en faveur du mis en examen le 13 décembre 2016 et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision le 7 mars 2018. La chambre de l’instruction avait alors estimé que le moyen de nullité résultant de la décision rendue en matière civile était connu dès le 13 décembre 2016, date de l’arrêt de la cour d’appel qui était frappé de pourvoi. Par conséquent, la chambre de l’instruction ayant statué sur de précédentes requêtes en nullité le 27 juin 2017, il était irrecevable à soulever des requêtes portant sur des moyens de nullité connus avant cette date. La Cour de cassation a approuvé cette solution. Sans entrer dans le débat sur la question de savoir si la décision est devenue définitive après épuisement des voies de recours ordinaires ou après rejet du pourvoi en cassation, il est vrai que le moyen était connu à partir du moment où la cour d’appel a rendu sa décision. En effet, la décision, même si elle n’est pas devenue irrévocable, est de nature à remettre en cause l’existence d’indices graves ou concordants. La solution rendue semble dès lors devoir être approuvée.