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Réquisitions durant l’enquête : irrégularité des autorisations générales et permanentes

L’autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de faire procéder à des examens techniques ou scientifiques doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête préliminaire en cours et non par voie d’autorisation générale et permanente.

par Sébastien Fucinile 24 janvier 2020

Par un arrêt du 17 décembre 2019, la chambre criminelle a affirmé, au visa de l’article 77-1 du code de procédure pénale, qu’« il résulte de ce texte que l’autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de faire procéder à des examens techniques ou scientifiques doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête préliminaire en cours et non par voie d’autorisation générale et permanente ». Elle a précisé que « cette interprétation est commandée par la nécessité de garantir la direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République ». Elle a ainsi cassé l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui avait admis la possibilité pour le procureur de la République de délivrer aux enquêteurs une autorisation générale et permanente, valable pour toutes les affaires, de requérir des instituts aux fins d’analyse de prélèvements et de comparaison avec les données du fichier national automatisé des empreintes génétiques. La Cour de cassation s’oppose ainsi à un tel procédé, ce qui semble tout à fait conforme à la lettre et à l’esprit de l’article 77-1 du code de procédure pénale.

L’article 77-1 du code de procédure pénale permet de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques durant l’enquête préliminaire. Tandis que l’article 60, applicable durant l’enquête de flagrance, permet à l’officier de police judiciaire de requérir, à son initiative, toute personne qualifiée, l’article 77-1 exige, durant l’enquête préliminaire, une autorisation du procureur de la République. Plus précisément, cet article prévoit que « le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l’officier ou agent de police judiciaire a recours à toutes personnes qualifiées ». La même distinction est reprise pour les autres formes de réquisitions aux articles 60-1 et 77-1-1 du code. Ainsi, si l’officier ou, sous le contrôle de ce dernier, l’agent de police judiciaire peut procéder à des réquisitions de sa propre initiative durant l’enquête de flagrance, l’autorisation du procureur de la République est nécessaire durant l’enquête préliminaire. La question se posait alors, dans l’arrêt commenté, de savoir si l’autorisation doit être donnée pour chaque réquisition ou si le procureur peut autoriser de manière permanente l’enquêteur à procéder à certains types de réquisitions. En l’espèce, le procureur avait autorisé les enquêteurs « à requérir [l’Institut national de la police scientifique] ou [l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale] aux fins d’analyse des prélèvements effectués sur une scène d’infraction, un objet ou une victime, et de comparaison avec les données du [Fichier national automatisé des empreintes génétiques] aux fins de confirmation des rapprochements ». Autrement dit, les enquêteurs étaient autorisés à procéder à ce type de réquisitions en enquête préliminaire dans toutes les affaires.

La Cour de cassation a déjà accepté les autorisations générales du procureur de la République de procéder à certains types de réquisitions. Par exemple, elle a déjà accepté l’autorisation de « procéder à toutes réquisitions utiles à la manifestation de la vérité » (Crim. 20 juill. 2011, n° 11-81.823, Dalloz jurisprudence), mais il semble que l’autorisation ne valait que pour une affaire déterminée. Dans un autre cas, la Cour de cassation a accepté l’autorisation de procéder à « toute réquisition en matière de téléphonie » (Crim. 9 nov. 2011, n° 11-84.315, Dalloz jurisprudence). Il n’apparaît pas clairement si cette autorisation a été donnée pour une affaire déterminée ou pour toutes les affaires. La Cour de cassation, par l’arrêt commenté, ne semble pas remettre en cause la possibilité de procéder à des réquisitions générales portant sur une affaire déterminée. En effet, elle précise que l’autorisation « doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête préliminaire en cours », ce qui semble permettre une autorisation générale de procéder à certains types de réquisitions au cours d’une enquête particulière.

La chambre criminelle a précisé que cette interprétation était « commandée par la nécessité de garantir la direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République ». En effet, contrairement à l’enquête de flagrance où, en raison de l’urgence, les pouvoirs des enquêteurs sont élargis, le procureur de la République doit exercer un contrôle plus fort durant l’enquête préliminaire. Pour cette raison, la plupart des actes d’investigation durant l’enquête préliminaire doivent être effectués, hors les cas où l’autorisation est donnée par le juge des libertés et de la détention, avec l’autorisation du procureur de la République. Car le procureur doit assurer un contrôle de l’enquête préliminaire. En vertu de l’article 39-3 du code de procédure pénale, « il contrôle la légalité des moyens mis en œuvre par [les enquêteurs], la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, l’orientation donnée à l’enquête ainsi que la qualité de celle-ci ». Or il ne peut en aucun cas accomplir une telle mission, notamment quant à la proportionnalité des actes d’investigation, s’il délivre une autorisation générale et permanente de procéder à certaines formes de réquisitions valant pour toutes les affaires. S’il ne semble pas nécessaire, pour la Cour de cassation, qu’il délivre une autorisation spéciale à chaque réquisition, il doit nécessairement autoriser le recours à certains types de réquisitions dans une affaire déterminée. Sans cela, il ne peut exercer un quelconque contrôle de légalité et de proportionnalité des actes d’investigation. Cette décision permet en somme de réaffirmer l’exigence d’un contrôle effectif des enquêtes préliminaires par le procureur de la République.