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Réquisitoire au procès Jawad Bendaoud : « Le plus médiatique n’était pas le plus inquiétant »

Mardi 6 janvier, le procureur a requis quatre ans d’emprisonnement contre Jawad Bendaoud et Mohamed Soumah pour avoir aidé deux criminels – en l’occurrence, deux des terroristes du 13 novembre. Contre Youssef Aït-Boulahcen, la peine maximum a été requise : cinq ans d’emprisonnement pour non dénonciation d’un crime terroriste.

par Julien Mucchiellile 6 février 2018

Après que les plaidoiries des parties civiles, dans ce premier dossier indirectement lié aux attentats du 13 novembre, eurent duré plus de trois jours d’audience, le temps des réquisitions a prévalu. Le procureur Nicolas Le Bris a tout d’abord expliqué que la disjonction de cette partie du dossier à la procédure des attentats de Paris avait pour but de préserver « la gravité du futur procès d’assises » de l’esprit rigolard (« particulier », dit-il) qui a nimbé ce procès. Puis, face aux prévenus Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen, qui comparaissent depuis le 24 janvier devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, il a averti le tribunal : « Pour moi, dans ce procès, le plus médiatique n’était pas le plus inquiétant, loin de là ».

Il débute par le plus médiatique et son acolyte, l’ultra volubile Jawad Bendaoud et le débonnaire Mohamed Soumah. Il répond tout d’abord à la demande de requalification de la partie civile, qui voudrait que soit ajoutée à la prévention de l’article 434-6 du code pénal1 la circonstance aggravante « d’acte de terrorisme », prévue à l’article 421-1 du code pénal, c’est-à-dire l’intention d’agir en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. La peine serait portée à douze ans. Suivant la position du parquet – qui est également celle des juges d’instruction –, le procureur rejette cette demande, car cela supposerait que les deux prévenus aient hébergé Abdelhamid Abaaoud et Chabib Akrouh en raison des attentats qu’ils venaient de perpétrer, ce que le procureur ne croit pas, alors que l’article 434-6 du code pénal ne demande qu’une chose : que le logement rue du Corbillon à Saint-Denis ait été fourni malgré la qualité de terroriste des hôtes, ce qui est plus vraisemblable, selon le dossier d’instruction.

« Vouloir être hébergé chez Jawad, c’est louche »

À vrai dire, l’article 436-6 du code pénal ne pose qu’une condition : que la personne hébergée soit auteure ou complice d’un crime puni d’au moins dix ans d’emprisonnement (comme tous les crimes). Mais il est implicite, pour l’accusation, que la nature terroriste des crimes commis importe grandement. Le procureur problématise : « Il y a selon moi deux questions qui se posent. Pouvaient-ils ignorer que les deux fuyards avaient commis un crime ? Avaient-ils la connaissance précise du crime commis ? Seule la réponse positive à ces deux questions pourrait m’amener à requérir le maximum encouru, six ans d’emprisonnement ».

À la première question, le procureur répond oui. Il se fonde sur le casier judiciaire des deux prévenus, qui « connaissaient parfaitement le travail de la police, qui savent qu’à ce moment, tout leur travail est tourné vers les auteurs des attentats », et qui, « dans ce contexte, ne pouvaient ignorer que les personnes en fuite avaient commis des faits extrêmement graves ». Soraya, la colocataire d’Hasna Aït-Boulahcen, qui a averti la police de ce qui se tramait, a dit qu’Hasna « avait acheté de la coke à un black et lui avait demandé une planque pour deux cousins recherchés par la police ». À Mohamed Soumah, Hasna a également confié qu’un tiers (Mohamed Belkaïd) devait lui envoyer un mandat cash. Pour le procureur, cela établit la connaissance que Soumah devait avoir, dès ce moment, de l’existence d’une bande organisée.

Autre élément : « Vouloir être hébergé chez Jawad, c’est louche ». Jawad Bendaoud qui, par le passé, a déjà hébergé des « mafieux » russes. D’ailleurs, M. Bendaoud avait confié : « Pour moi, ils pouvaient avoir tiré sur des gens, avoir eu une embrouille de cité », ce qui en fait, dans son esprit, des criminels accomplis. « Ils ne pouvaient ignorer le caractère criminel des deux fuyards », conclut le procureur qui passe à la seconde question.

« Il y a des éléments troublants, mais pas assez d’éléments »

« Pour moi, c’est un dossier dont on pourrait prendre divers éléments sortis de leur contexte pour apporter une réponse positive », poursuit-il, ajoutant : « il y a des éléments troublants, mais pas assez d’éléments ». D’abord, Hasna Aït-Boulhacen n’a pas été explicite sur l’identité d’Abaaoud. Concernant Mohamed Soumah, le procureur fait part de son scepticisme : « Je doute que l’on puisse venir en aide à l’homme le plus recherché du monde et, en même temps, ne penser qu’à draguer la fille qui nous met en relation avec lui. Cela me parait incohérent ». Même circonspection au sujet de Jawad Bendaoud : « Il a noté ”Hasna appart” dans son répertoire, on a tous compris que M. Bendaoud était quelqu’un d’intelligent. Pourquoi enregistrer à son nom la personne qui nous met en relation avec l’homme le plus recherché du monde ? Pour moi, c’est une vraie difficulté ».

Vient ensuite l’argument des traces d’ADN de Jawad Bendaoud, retrouvées sur le ruban adhésif qui a fixé le détonateur de la ceinture d’explosifs des deux terroristes. Le procureur doute : « Je ne vois pas pourquoi Abaaoud aurait permis à quelqu’un comme Jawad Bendaoud de toucher à sa ceinture d’explosifs, alors que, s’il avait besoin d’aide, il avait sa cousine et Chabib Akrouh à disposition ». Puis, il prévient : « À vouloir mettre un costume trop grand à Jawad Bendaoud, on décrédibilise Abaaoud ». Et on ne veut pas atténuer l’immense nocivité du « cerveau » des attentats.

Et puis, enfin, « l’argument le plus général » qui innocente ces deux dealers impies : ce cupide délinquant de Bendaoud « n’aurait jamais loué l’appartement pour 50 €. Soit il adhère à la cause et il le fait gratuitement, soit il demande beaucoup plus », assure-t-il au tribunal. Sur ce propos, il requiert quatre ans d’emprisonnement à l’encontre de Jawad Bendaoud et Mohamed Soumah.

« Pour moi, c’est le procès de Youssef Aït-Boulahcen »

Le procureur fronce un sourcil. « Youssef Aït-Boulahcen présente un profil bien plus inquiétant. Pour moi, ce n’est pas le procès de Jawad Bendaoud, mais le procès de Youssef Aït-Boulahcen. »

Le jeune homme de 25 ans, sombre et silencieux depuis dix jours, se rétracte un peu plus dans son coin. « On retrouve dans son téléphone de la documentation djihadiste, des photos d’Abaaoud, des contenus antisémites », énumère le procureur. Il y a ces propos très virulents tenus à l’encontre des homosexuels, qu’il aimerait voir tués – comme il le confie à un ami. Le procureur en déduit : « On se retrouve avec quelqu’un qui adhère parfaitement à l’idéologie de l’État islamique ».

Il y a les éléments matériels. Youssef, qui ne signale à aucun moment la radicalisation de sa sœur Hasna, qui fait preuve, selon le réquisitoire, d’une volonté de se rendre utile (il se présentera en bas de la planque avec un paquet de gâteaux et une brique de lait), et qui échange des messages avec sa sœur. L’un d’eux est parfaitement explicite, évoquant Hamid, le cousin de Belgique. Un autre message, à peine codé, annonce que le cousin qui « dort au parc » prépare un autre attentat.

Pour le procureur, Youssef Aït-Boulahcen est « un personnage qui fait froid dans le dos ». Pour « s’être abstenu d’informer les autorités […] d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, avec cette circonstance que le crime consiste en un acte de terrorisme », le procureur demande la peine maximale : cinq ans d’emprisonnement, avec mandat de dépôt.

Le procès d’achève aujourd’hui, avec la fin des plaidoiries de la défense.

 

 

1 L’infraction prévue à l’article 434-6 du code pénal, au visa duquel les deux prévenus sont jugés, prévoit que « le fait de fournir à la personne auteur ou complice d’un crime ou d’un acte de terrorisme puni d’au moins dix ans d’emprisonnement un logement, un lieu de retraite […] est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende » (six ans en l’espèce, car en état de récidive légale, ndlr).