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Respect de la dignité en détention : une obligation souple

Si les conditions de détention provisoire peuvent éventuellement constituer une atteinte à la dignité de la personne et engagent la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service, elle ne constitue en revanche pas d’obstacle légal au placement et au maintien de cette mesure

par Warren Azoulayle 10 octobre 2019

Au 1er juillet 2019, la France comptait 71 710 personnes écrouées détenues pour 61 105 places opérationnelles (v. Statistiques des personnes écrouées et détenues en France au 1er juillet 2019, Direction de l’administration pénitentiaire, 2019). Ce taux d’occupation n’est pas d’une grande originalité, pas plus qu’il ne surprend. Causant de multiples atteintes aux droits fondamentaux, il rend en outre impossible l’encellulement individuel en maison d’arrêt que les textes imposent depuis plus d’un siècle, réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 lors de laquelle un engagement sur cinq ans était pris, pour lequel un nouveau moratoire était voté pour repousser l’échéance du 31 décembre 2019 faute de mesures prises (v. A. Hazan, Surpopulation carcérale : le fléau français, Après-demain, n° 45, 2018/1, p . 4), puis un autre jusqu’en 2023 selon les travaux préparatoires de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (Loi n° 2019-222, 23 mars 2019).

En permettant l’enfermement de trois, voire quatre individus, dans neuf mètres carrés, la surpopulation carcérale constitue de fait la première violence qu’un individu essuie à son arrivée (v. Sénat, Commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, Rapp. n° 449, p. 120). L’on pourrait légitimement penser que les textes, de droit interne ou international, les travaux doctrinaux, ou encore la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Conv. EDH), permettent de contrôler le respect d’un principe à valeur constitutionnelle qu’est la sauvegarde de la dignité d’une personne faisant l’objet d’une détention, a fortiori lorsqu’elle est provisoire et qu’elle porte sur une personne dont il est présumé qu’elle n’est auteur d’aucune infraction. Ce serait toutefois méconnaître le fait que le droit des livres s’incline parfois, bien malheureusement, devant le droit vivant.

En l’espèce, un individu était mis en accusation et renvoyé devant une cour d’assises des chefs de viols et agressions aggravées. Par un arrêt en date du 29 janvier 2019, il était partiellement acquitté de certains chefs et condamné à dix années de réclusion criminelle. Il interjetait appel de la décision et présentait une demande de mise en liberté le 8 mars 2019, notamment en raison du non-respect des normes d’occupation des cellules fixées par l’administration pénitentiaire puisqu’il était détenu avec deux autres personnes dans une cellule de neuf mètres carrés. Pour la chambre de l’instruction, compte tenu de la peine encourue par l’individu ainsi que l’enjeu de l’appel, le fait que l’individu soit marié à une femme camerounaise et qu’il conteste l’intégralité des faits caractérisaient un risque de fuite.

Par ailleurs, les pièces médicales produites permettaient de s’assurer qu’une mesure de détention n’était pas incompatible avec son état de santé. Il formait alors un pourvoi devant la Cour de cassation, laquelle considérait que, quand bien même une éventuelle atteinte à la dignité serait rapportée par la personne détenue en raison de ses conditions de détention, celle-ci n’a d’autre effet que d’engager la responsabilité de la puissance publique. Toutefois, elle ne saurait constituer un obstacle légal au placement et au maintien en détention provisoire.

Les justifications de telles positions ne sont pas forcément saillantes. D’abord, car les juges du second degré examinent la question du respect de la dignité humaine par les conditions de détention provisoire au regard de critères que le requérant lui-même n’invoquait pas. En effet, une circulaire du 16 mars 1988 est venue définir la capacité des cellules en fonction de leur superficie au sol et prévoyait qu’une cellule de 11 m2 pouvait accueillir une personne, 14 m2 pour deux personnes, plus de 14 jusqu’à 19 m2 pour trois personnes (v. J.-J. Urvoas, L’encellulement individuel dans les prisons : sortir de l’impasse des moratoires, AN, Rapp. no 2388, 2014, p. 24). Le reparamétrage du moyen, passant de la contestation des normes d’occupation des cellules, à celui de la compatibilité d’une mesure de détention provisoire au regard de l’état de santé de l’appelant, permettait à la juridiction d’appel de ne pas répondre à son argumentation.

Ensuite, car le fait de considérer qu’une atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention n‘est pas un obstacle légal s’oppose à l’article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 prévoyant que « toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». De même, l’article 3 de la Conv. EDH interdit aux États membres, entre autres, de soumettre une personne relevant de leur juridiction à des peines ou traitements dégradants. En ce sens, la juridiction de Strasbourg a déjà pu énoncer que toute personne détenue devait l’être dans des conditions compatibles avec le respect de sa dignité humaine sur fondement de l’article 3. De même, eu égard des exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier devait être assuré de manière adéquate (CEDH 26 oct. 2000,  n° 30210/96, Kudla c/ Pologne, §§ 94 s., AJDA 2000. 1006, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 2001. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ; ibid. 2003. 85, étude J. Andriantsimbazovina ; RSC 2001. 881, obs. F. Tulkens ; RTD civ. 2001. 442, obs. J.-P. Marguénaud ). Bien que l’administration de soins médicaux soit parfois une condition nécessaire dépendante de l’état de santé de la personne détenue, les soins ne sont en revanche à eux seuls pas suffisant à démontrer que l’article 3 est respecté.

S’il a pu être relevé qu’aucun gouvernement n’a jusqu’ici, semble-t-il, mené de véritable politique de déflation carcérale (v. P. Januel, AJ pénal 2019. 165 ), combiné à la multiplication des moratoires quant à l’encellulement, et au fait que le respect de la dignité de la personne détenue n’est qu’une obligation relative, rien ne laisse à penser que la réforme pour la justice percera de quelques rayons lumineux que ce soit le sombre univers de la pénitentiaire.