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La responsabilité de l’État du fait de l’utilisation d’un Flash-Ball

La cour administrative d’appel de Nantes a condamné l’État à la suite d’un tir de Flash-Ball d’un policier qui avait grièvement blessé un mineur à l’œil. Ce faisant, elle a défini le régime de responsabilité applicable, selon que la victime est tierce ou non à l’opération de police.

par Jean-Marc Pastorle 17 juillet 2018

Les affaires de Flash-Ball devant la juridiction administrative ne sont pas légion. La voie devant le juge pénal étant systématiquement empruntée, les requérants ont rarement actionné le juge administratif. On recense quelques jugements (TA Rouen, 12 avr. 2007, n° 0402856 ; TA Nice, 28 oct. 2014, n° 1202762, AJDA 2015. 536 , concl. J.-M. Laso ; TA Paris, 17 déc. 2013, n° 1217943/3-1, AJDA 2014. 1112 , note E. Akoun ; D. 2014. 17, obs. M. Léna ; AJCT 2014. 122, obs. M. Léna et celui qui fait l’objet du présent appel, v. TA Nantes, 28 nov. 2016, n° 1403983) mais le présent arrêt en appel fait office de précédent.

Le 27 novembre 2007, au cours d’une manifestation d’étudiants et de lycéens contre la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, M. D…, alors âgé de seize ans, a été grièvement blessé à l’œil droit par une balle provenant du tir d’un policier armé d’un lanceur de balles de défense (couramment appelé « Flash-Ball ») de type « LBD 40x46 mm ».

Par un jugement du 28 novembre 2016, le tribunal administratif de Nantes a considéré que la responsabilité de l’État était engagée pour faute dans l’organisation du service de police. Il a également retenu une faute de la victime, exonérant partiellement l’État de sa responsabilité, et a condamné celui-ci à verser à M. D… la somme de 48 000 € en réparation des préjudices subis du fait de cette blessure.

L’État a relevé appel de ce jugement tandis que, par la voie de l’appel incident, M. D… demandait que l’indemnité allouée soit portée à la somme de 172 000 €.

Rappelons tout d’abord que la juridiction administrative est compétente, s’agissant d’une opération de police administrative visant à prévenir des troubles à l’ordre public (CE, sect., 11 mai 1951, n° 2542, Consorts Baud, Lebon p. 265 ; T. confl., 7 juin 1951, n° 1316, Noualek, Lebon p. 636).

Le Flash-Ball, une arme dangereuse

L’usage « d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens » obéit à un régime jurisprudentiel de responsabilité : « la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée, même en l’absence d’une faute lourde, dans le cas où le personnel de la police fait usage d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens et où les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers » (CE, ass., 24 juin 1949, n° 87335, Consorts Lecomte, Lebon p. 307 ). Utilisée en 1949 pour l’usage d’une mitraillette, cette jurisprudence a été étendue à l’usage d’un pistolet (CE 1er juin 1951, n° 6967, Époux Jung, Lebon p. 312). Il s’agit donc d’armes à feu susceptibles d’entraîner la mort. En revanche, ce régime n’a pas été retenu pour les grenades lacrymogènes (CE 16 mars 1956, n° 25468, Époux Domenech, Lebon p. 124 ) ni pour les grenades ayant pour objet de créer un choc (CAA Lyon, 11 nov. 2012, n° 11LY2290).

La question est de savoir si le Flash-Ball comporte des risques exceptionnels pour les personnes, qui serait ainsi susceptible d’engager la responsabilité de l’État. Aucun doute pour le tribunal administratif de Nice (TA Nice, 28 oct. 2014, n° 1202762, AJDA 2015. 536, concl. J.-M. Laso ).

En l’espèce, il résultait de l’instruction que le lanceur de balles de défense de type « LBD 40x46 mm » était à l’époque des faits une arme nouvelle, en cours d’évaluation, qui devait être utilisée par les services de police, ainsi que le prévoyait son « instruction d’emploi provisoire », pour neutraliser des individus déterminés, auteurs de violences, à une distance comprise entre 10 et 50 mètres. Cette arme, beaucoup plus puissante et précise que les « Flash-Ball » classiques, nécessitait, en raison de sa dangerosité, une précision de tir et donc une formation et un encadrement particuliers. Il apparaissait que l’agent de police qui a tiré sur M. D… était insuffisamment formé à faire usage du lanceur « LBD 40x46 mm » et qu’il avait déclaré que son supérieur hiérarchique lui avait dit, au cours de la manifestation, à propos d’un manifestant, dont l’agent de police lui-même reconnaît qu’il ne s’agissait pas de M. D…, que, si ce manifestant continuait à envoyer des projectiles, il faudrait « lui tirer dessus ». Dès lors, précise la cour administrative d’appel de Nantes, « l’utilisation dans les conditions précédemment décrites du lanceur "LBD 40x46 mm", arme dangereuse comportant des risques exceptionnels pour les personnes, sur un manifestant très jeune qui n’était pas l’auteur des jets de projectiles et qui se trouvait à une distance réduite, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État ».

Responsabilité sans faute ou pour faute simple

Après avoir retenu que le Flash-Ball constitue bien une « arme dangereuse », la cour administrative d’appel de Nantes va définir le régime de responsabilité de la puissance publique selon que la victime est un tiers à l’opération de police ou si elle a été visée par celle-ci.

Elle estime que, dans le cas où le personnel du service de police fait usage d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, « la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée, en l’absence même d’une faute, lorsque les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence de ce service public. Il n’en est cependant ainsi que pour les dommages subis par des personnes ou des biens étrangers aux opérations de police qui les ont causés ». Mais lorsque les dommages ont été subis par des personnes ou des biens visés par ces opérations, « le service de police ne peut être tenu pour responsable que lorsque le dommage est imputable à une faute commise par les agents de ce service dans l’exercice de leurs fonctions. En raison des dangers inhérents à l’usage des armes ou engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, il n’est pas nécessaire que cette faute présente le caractère d’une faute lourde ».

La cour retient que la faute de l’agent de police est bien à l’origine de la grave blessure à l’œil droit dont a été victime M. D… Le ministre de l’intérieur n’est donc pas fondé à soutenir que le lien de causalité entre la faute des services de police et la blessure dont M. D… demandait réparation n’était pas direct et certain. Elle retient cependant que la participation de la victime à la manifestation « qui se maintenait, avec d’autres manifestants, à proximité de la brèche que les manifestants avaient pratiquée dans le grillage d’enceinte du rectorat, après avoir été repoussés par les forces de police à l’extérieur du parc qui entoure le bâtiment du rectorat », constitue une faute. Mais, compte tenu du caractère minime de cette faute, celle-ci n’était de nature à exonérer l’État de sa responsabilité qu’à hauteur de 10 %.

La responsabilité pour faute simple de l’État est donc reconnue et le recours du ministre de l’intérieur rejeté. M. D…, qui demandait d’augmenter l’indemnisation accordée par le tribunal au titre de divers chefs de préjudices (patrimoniaux et extrapatrimoniaux, temporaires et permanents), voit celle-ci portée à 86 400 €.