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Responsabilité du fait des produits défectueux : interprétation des règles de prescription à la lumière de la directive de 1985

Afin de tenir compte du retard pris dans la transposition de la directive du 25 juillet 1985 relative aux produits défectueux, la jurisprudence française interprète le droit interne à la lumière de la directive pour les produits mis en circulation entre l’expiration du délai de transposition et l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998. Toutefois, la Haute juridiction s’était jusqu’alors refusée à employer une telle méthode s’agissant de la détermination du délai de prescription. C’est pourtant ce que fait la première chambre civile dans un arrêt rendu le 4 juin dernier. 

Alors que la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 a été abrogée et révisée par la directive (UE) 2024/2853 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 (v. sur ce texte, E. Petitprez et R. Bigot, Premières vues sur la directive européenne [UE] 2024/2853 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, Dalloz actualité, 28 nov. 2024), la question de son application dans le temps continue de soulever des interrogations. C’est ainsi que, dans un arrêt rendu le 4 juin 2025, la première chambre civile a précisé les modalités d’application de la directive de 1985 en France, pour un produit mis en circulation entre l’expiration du délai de transposition de la directive et l’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998.

En l’espèce, à partir d’octobre 1992, une patiente a été traitée avec du Médiator et est décédée en juillet 1997. Imputant ce décès à la prise du médicament (sur l’affaire du Médiator et la reconnaissance de la responsabilité civile des laboratoires Servier, v. Civ. 1re, 20 sept. 2017, n° 16-19.643 F-P+B+I, Dalloz actualité, 2 oct. 2017, obs. T. Coustet ; D. 2017. 2279 , avis J.-P. Sudre ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; RDSS 2017. 1132, obs. J. Peigné ; G. Viney, La responsabilité du producteur du Médiator, D. 2017. 2284 ; P. Jourdain, Médiator : la responsabilité civile des Laboratoires Servier entérinée par la Cour de cassation, RTD civ. 2018. 143 ), ses ayants droit ont saisi l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en décembre 2012. Les conclusions des experts placés auprès de l’ONIAM ayant conclu à une absence de lien entre le décès et la prise du Médiator, les ayants droit de la défunte ont assigné en référé les laboratoires Servier, le 11 mai 2022. Se prévalant des articles 145 et 835, alinéa 3, du code de procédure civile, ils ont demandé une provision, ainsi que la réalisation d’une expertise médicale.

En janvier 2024, la Cour d’appel de Lyon les a déboutés de leurs demandes, au motif que l’action serait prescrite. Les juges du fond ont fait application de l’ancien article 2270-1 du code civil, qui disposait que les actions en matière de responsabilité civile se prescrivaient par dix ans, à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. En l’espèce, le point de départ se situait au jour du décès, soit le 23 juillet 1997. Par conséquent, le 11 mai 2022, le jour de l’assignation, le délai décennal était prescrit.

La famille de la défunte a formé un pourvoi en cassation, invoquant une violation de l’ancien article 2270-1 du code civil tel que devant être interprété dans toute la mesure du possible à la lumière de la directive de 1985 relative aux produits défectueux. Le Médiator ayant été mis en circulation après l’expiration du délai de transposition, mais avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, les juges auraient dû interpréter l’article à la lumière de la directive et retenir comme point de départ du délai décennal non pas la date du décès, mais la date à laquelle les demandeurs ont eu ou auraient dû avoir connaissance du dommage, du défaut du produit et de l’identité du producteur.

Le 4 juin 2025, la première chambre civile casse et annule dans toutes ces dispositions l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon. Dans une motivation enrichie, comprenant huit attendus, elle rappelle les modalités d’application dans le temps de la directive de 1985. Ce faisant, la Haute juridiction interprète des règles de prescription de droit interne à la lumière de la directive européenne, ce qu’elle s’était pourtant refusée à faire par le passé.

Produit mis en circulation après l’expiration du délai de transposition, mais avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 

L’article 21 de la loi du 19 mai 1998 précise que les dispositions de ladite loi ne s’appliquent qu’aux produits mis en circulation après son entrée en vigueur, soit après le 23 mai 1998. Mais la France ayant transposé la directive de 1985 avec beaucoup de retard, il s’est écoulé un temps relativement long entre l’expiration du délai de transposition, fixée au 31 juillet 1988, et la transposition, le 23 mai 1998. Ce retard a conduit la jurisprudence française à appliquer les principes de droit commun de la responsabilité civile « à la lumière de la directive », réalisant ainsi une transposition anticipée de celle-ci (v. par ex., Civ. 1re, 17 janv. 1995, n° 93-13.075, D. 1995. 350 , note P. Jourdain ; ibid. 1996. 15, obs. G. Paisant ; RTD civ. 1995. 631, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1995. 640, obs. B. Bouloc ). La première chambre civile rappelle cette solution, dans l’attendu n° 8, en évoquant l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il « interprète et applique les règles pertinentes du droit interne ». Mais dans le même temps, elle rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, cette obligation trouve ses limites dans les principes généraux du droit et qu’elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (CJCE 4 juill. 2006, aff. C-212/04, AJDA 2006. 2271, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2006. 2209 ; Dr. soc. 2007. 94, note C. Vigneau ; 15 avr. 2008, Impact, aff....

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