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Responsabilité du praticien : conformité de l’acte médical aux recommandations émises postérieurement

Un professionnel de santé est fondé à invoquer le fait qu’il a prodigué des soins qui sont conformes à des recommandations même émises postérieurement à l’acte litigieux. Il incombe, alors, à des médecins experts judiciaires d’apprécier, notamment au regard de ces recommandations, si les soins litigieux peuvent être considérés comme appropriés. 

par Anaïs Hacenele 15 mai 2018

Depuis l’arrêt Mercier (Civ. 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier, GAJC, 12e éd., 2008, nos 162-163 ; GADS 2010, n° 33 ; D. 1936. 1. 88, concl. P. Matter et rapp. L. Josserand ; Gaz. Pal. 1936. 2. 41, note A. Besson ; S. 1937. 1. 321, note A. Breton et rapp. Josserand ; RTD civ. 1936. 691, obs. R. Demogue), le médecin est tenu d’une obligation de moyen qui impose au patient victime (ou à ses ayants droit) qui souhaite engager sa responsabilité de prouver qu’en ne délivrant pas des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science, il a commis une faute.

Cette solution a été consacrée par le législateur dans la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, à l’article L. 1142-1, I, du code de la santé publique qui prévoit qu’« hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ». Le praticien a la possibilité de se libérer de sa responsabilité en établissant qu’il n’a pas commis de faute.

C’est ce que vient rappeler l’arrêt de cassation rendu le 5 avril 2018 par la première chambre civile en renseignant sur les éléments dont il faut tenir compte pour apprécier l’existence de cette faute médicale.

À la suite d’un accouchement difficile, un enfant né par voie basse en état de mort apparente, a, malgré un transfert immédiat dans un centre hospitalier, conservé d’importantes séquelles neurologiques. Selon les experts, alerté à deux reprises, au cours du travail, sur l’existence d’anomalies du rythme cardiaque fœtal, le praticien aurait dû pratiquer une césarienne. Son attitude attentiste est à l’origine de l’état d’hypoxie majeure de l’enfant qui présente des séquelles importantes de l’anoxo-ischémie cérébrale et qui a perdu une chance, estimée à 70 %, sinon de ne présenter aucune lésion neurologique, du moins de présenter des lésions beaucoup moins importantes.

Les parents de l’enfant ainsi que sa grand-mère maternelle ont assigné le praticien en responsabilité et indemnisation.

Contestant toute responsabilité, ce dernier a sollicité une expertise judiciaire et produit plusieurs avis médicaux amiables, remettant en cause les conclusions des experts relatives tant à la nécessité de procéder à une césarienne en urgence qu’à l’origine des séquelles présentées par l’enfant.

La cour d’appel rejette cette demande d’expertise judiciaire et condamne le praticien sur le fondement du rapport d’expertise amiable à indemniser les victimes ainsi que la caisse primaire d’assurance maladie, au titre d’une perte de chance, subie par l’enfant à hauteur de 70 %, de ne présenter aucune séquelle ou de conserver des séquelles moindres. Elle écarte les avis médicaux produits par le praticien, en retenant qu’ils se réfèrent à des recommandations du collège national des gynécologues et obstétriciens français édictées en décembre 2007, soit trois mois après la naissance de l’enfant, qui ne sont pas pertinentes, dès lors que les données acquises de la science doivent s’apprécier à la date de l’événement examiné.

Selon les juges du fond, l’appréciation du comportement du praticien et de l’acte médical doit se faire au jour de l’accouchement et en fonction des recommandations qui existent à cette date. La conformité à des recommandations médicales postérieures à l’événement est indifférente. Parce qu’en l’occurrence, au jour de l’accouchement, ces recommandations n’étaient pas émises, il n’y a pas de conformité, de sorte que le praticien a commis une faute.

La question portait précisément sur le point de savoir si pour apprécier l’existence d’un comportement fautif du médecin seuls des recommandations et avis qui existent au jour de l’accouchement peuvent être pris en compte ou s’il et possible de se fonder sur des recommandations et avis apparus postérieurement ?

La Haute juridiction casse l’arrêt pour violation de l’article L. 1112-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique, elle énonce qu’« un professionnel de santé est fondé à invoquer le fait qu’il a prodigué des soins qui sont conformes à des recommandations émises postérieurement et qu’il incombe, alors, à des médecins experts judiciaires d’apprécier, notamment au regard de ces recommandations, si les soins litigieux peuvent être considérés comme appropriés ».

Dans un premier temps, la première chambre civile rappelle que tout professionnel de santé peut bien évidemment démontrer qu’il n’a pas commis de faute en établissant que les soins qu’il a prodigués sont conformes à des recommandations. Il précise que ces recommandations peuvent avoir été émises postérieurement à l’acte médical susceptible d’être fautif. Il n’est donc pas nécessaire que ces avis médicaux existent au jour de la pratique de l’acte.

Dans un second temps, elle se prononce sur l’appréciation des soins litigieux en précisant que ce sont des experts médicaux judiciaires qui doivent se prononcer sur ces recommandations et à qui il incombe de se prononcer sur la conformité des soins pratiqués pour dire s’ils étaient ou non appropriés à la situation.

Si selon ces recommandations le praticien a agi comme il fallait, il doit en être tenu compte pour écarter toute faute de sa part. Si au contraire, les soins prodigués et le comportement adopté ne sont pas conformes aux recommandations, même postérieures, la faute est susceptible d’être constituée et la responsabilité engagée sur le fondement de l’article L. 1112-1, I, du code de la santé publique.

L’obligation essentielle du médecin réside dans le fait de donner aux patients des soins conformes aux données acquises de la science. La jurisprudence n’hésite pas à rappeler, dans le sillage de l’arrêt Mercier, qu’il a l’obligation de prodiguer des soins conformes aux données acquises de la science (Civ. 1re, 16 juin 1998, n° 97-18.481, Bull. civ. I, n° 210 ; D. 1999. 653 , note V. Thomas ; RDSS 1999. 566, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; 6 juin 2000, n° 98-19.295, Bull. civ. I, n° 176 ; RDSS 2000. 730, obs. L. Dubouis ; Paris, 4 juill. 2002, Gaz. Pal. 2002. 2. 1465 ; Civ. 1re, 14 oct. 2010, n° 09-68.471, Bull. civ. I, n° 201 ; RTD civ. 2011. 135, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 2010. 2. 3453, note V. Siranyan et F. Locher ; ibid. 2011. 1. 584, note D. Aubert ; Civ. 2e, 1er juin 2011, n° 10-15.108, inédit) et les plus appropriés (Civ. 1re, 14 oct. 2010, n° 09-68.471, préc.).

Les exemples de faute médicale pendant un accouchement difficile ne manquent malheureusement pas. Il y a une faute lorsque l’accouchement est déclenché prématurément (Civ. 1re, 5 mars 1974, n° 72-12.540, Bull. civ. I, n° 74) ; lorsqu’un gynécologue-obstétricien a donné des consignes de monitorage discontinu « qui étaient totalement obsolètes au regard des données de la science médicale [qui] impliquaient un monitorage continu » (Civ. 1re, 30 oct. 1995, n° 93-20.544, Bull. civ. I, n° 383 ; D. 1995. 276 ; RDSS 1996. 346, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; ibid. 568, obs. G. Mémeteau ; RTD civ. 1996. 636, obs. P. Jourdain ) ou lorsqu’il a sous-estimé la situation obstétricale à haut risque, alors que diverses indications cliniques étaient sans équivoque (Crim. 19 août 1997, n° 96-82.648, NP, RCA 1998, n° 26). C’est également le cas quand une césarienne est effectuée trop tardivement (Toulouse, 3 déc. 2001, JAMP 2002/2. 455, obs. J. Julien) ou en présence d’une erreur de diagnostic de la sage-femme pendant le « travail », ayant conduit le gynécologue à décider d’un accouchement par les voies naturelles, alors qu’il eut été nécessaire de pratiquer une césarienne (Civ. 1re, 10 juill. 2002, n° 01-10.039, Bull. civ. I, n° 197 ; RDSS 2003. 279, obs. M. Harichaux ) et de négligences répétées et déterminantes d’une sage-femme, notamment en débranchant le « monitoring » et en n’appelant pas le médecin à temps malgré l’évolution du travail, ayant contribué à créer le handicap du bébé (Civ. 1re, 17 févr. 2011, nos 10-10.449 et 10-10.670, Bull. civ. I, n° 29 ; D. 2011. 675, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2011. 356, obs. P. Jourdain  ; RLDC 2011, n° 4204, obs. J.-P. B.).

Il arrive, plus rarement, que la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir considéré que l’obstétricien n’était pas responsable des séquelles neurologiques dont souffrait un enfant à la suite d’un accouchement difficile (Civ. 1re, 14 oct. 2010, n° 09-16.085, Dalloz actualité, 25 oct. 2010, obs. I. Gallmeister isset(node/137897) ? node/137897 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>137897).

Quant à l’appréciation de la conformité aux données acquises de la science, jusqu’alors, il avait été décidé qu’il convenait de tenir compte de celles qui existaient au moment des soins et non pas celles qui existent au moment auquel le juge statue (Paris, 19 déc. 2002, Gaz. Pal. 2003. Somm. 1247). La Cour de cassation a par exemple décidé que « l’obligation pesant sur un médecin est de donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date de ces soins ; que la troisième branche du moyen, qui se réfère à la notion, erronée, de données actuelles est dès lors inopérante » (Civ. 1re, 6 juin 2000, n° 98-19.295, Bull. civ. I, n° 176 ; RDSS 2000. 730, obs. L. Dubouis ).

la décision sous commentaire bouleverse quelque peu cette appréciation des données de la science. S’il n’est pas ici question de tenir compte des données existant au jour où le jugement est rendu, il est toutefois possible de se référer à des données apparues postérieurement au jour où les soins ont été pratiqués.

En l’espèce, sans se prononcer sur l’existence ou non d’une faute imputable au médecin, elle reproche aux juges du fond la façon dont ils l’ont appréciée. Ils doivent désormais tenir compte des avis et prescriptions postérieures à la date de la pratique des soins.