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Article
La responsabilité notariale pour défaut de conseil lié à l’assurance emprunteur
La responsabilité notariale pour défaut de conseil lié à l’assurance emprunteur
Le devoir d’information et de conseil du notaire rédacteur d’un acte authentique de prêt lui impose d’informer l’emprunteur sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance décès facultative proposée par le prêteur, la preuve de l’exécution de cette obligation lui incombant.
par Rodolphe Bigotle 13 mars 2020
Entre dans le ministère ordonné aux notaires l’obligation d’instrumenter. En effet, l’article 13 de la loi du 25 ventôse an XI dispose que « les notaires sont tenus de prêter leur ministère lorsqu’ils en sont requis ». Il est souligné que « de la sorte, ils ne peuvent en principe refuser d’accomplir un acte pour lequel leur intervention est nécessaire. Ceci est la conséquence du monopole dont ils sont investis. Toutefois, il appartient au client de formuler particulièrement la demande d’instrumentation » (H. Slim, Étude 438 - La responsabilité des notaires, Lamy Droit de la responsabilité, 2020, n° 438-30).
A ce titre, dans l’exercice de leurs vastes missions, le champ de mise en cause de la responsabilité des notaires est très étendu. Leur contrat d’assurance collective de responsabilité civile professionnelle à adhésion obligatoire leur apporte en contrepartie, ainsi qu’aux clients, des garanties exceptionnelles (R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle. L’exemple des professions du droit et du chiffre, Avant-propos H. Slim, Préf. D. Noguéro, Defrénois, coll. Doctorat & Notariat, tome 53, 2014, n° 73).
Ces garanties génèrent une protection importante du patrimoine de l’assuré, au titre de sa dette de responsabilité, et mise à part la participation du notaire au titre du découvert obligatoire jouant en principe une fonction normative et prophylactique. Elles sont surtout censées mettre en place une sécurité juridique et financière à l’égard des clients des études et des tiers – les victimes des fautes, erreurs et négligences des notaires donc –, a fortiori depuis que l’assurance de responsabilité civile professionnelle des notaires a été rendue obligatoire, en 1955, et qu’a été consacrée légalement l’action directe de la victime à l’encontre de l’assureur de responsabilité.
Ces institutions juridiques ont permis un déplacement de valeurs et de priorité dans le rôle affecté à l’assurance obligatoire de responsabilité civile professionnelle. Il s’agit désormais davantage de sécuriser la créance d’indemnisation de la victime que la dette de responsabilité de l’assuré, même si ces deux objectifs demeurent très interdépendants.
Or, faut-il encore que les acteurs de l’assurance ne dévoient pas ce mécanisme en un outil de pure défense professionnelle, par une résistance judiciaire d’une vingtaine d’années comme dans l’affaire présentement commentée, qui décourage certes la plupart des victimes mais est très coûteuse pour la mutualité et imprègne une mauvaise image à la profession notariale qui, paradoxalement, investit par ailleurs beaucoup dans la promotion de celle-ci, en particulier dans la publicité.
En l’espèce, un notaire a instrumenté, le 22 décembre 2000, un acte authentique portant sur un emprunt bancaire. Cet emprunt a été contracté par le gérant d’une société civile immobilière familiale. Ce dernier est décédé après la souscription de cet emprunt. Ses héritiers ont été assignés par l’établissement de crédit aux fins de remboursement du crédit. L’établissement bancaire a également sollicité le règlement d’indemnités supplémentaires de remboursement aux motifs de l’absence d’adhésion du de cujus à sa police d’assurance décès-invalidité qui était mentionnée dans l’acte de prêt. À leur tour, les héritiers ont assigné en responsabilité et indemnisation l’officier public et ministériel instrumentaire de l’acte de prêt. Ils ont ainsi formulé une demande de condamnation du notaire à leur verser la somme de 330 177,14 €. À ce titre, ils lui ont reproché de ne pas avoir apporté des conseils utiles, notamment à l’occasion de la passation de cet acte. Selon eux, le devoir de conseil qui incombe au notaire aurait dû le conduire à expliquer la portée de la non-adhésion à l’assurance de groupe mise en place par l’établissement de crédit.
Par un arrêt du 21 août 2018, la cour d’appel d’Agen a rejeté la demande héritiers. À cet effet, l’arrêt a retenu, d’abord, qu’ils reprochent au notaire de n’avoir pas attiré l’attention du défunt sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance facultative, ce qu’il leur appartient de prouver. Il a relevé, ensuite, que, s’il n’est pas écrit dans l’acte qu’une information a été donnée par le notaire sur les conséquences d’une non-souscription de l’assurance décès facultative, exiger un tel degré de précision revient à faire peser sur le notaire instrumentaire, non plus une obligation de conseil pour un acte donné, mais une obligation de mise en garde sur l’opportunité économique. Les héritiers ont donc formé un pourvoi en cassation.
Ils ont soutenu, en premier lieu, que le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques attachés aux actes auxquels il est requis de donner la forme authentique. Selon eux, quand bien même l’assurance invalidité décès ne serait pas obligatoire et ne constituerait pas une condition du prêt, et quand bien même il n’aurait pas connaissance de l’état de santé de l’emprunteur, le notaire ne peut se contenter de rappeler dans l’acte de prêt la souscription par la banque d’une assurance de groupe destinée à couvrir ses clients contre les risques de décès invalidité avec référence aux documents correspondant. Par conséquent, les héritiers ont estimé qu’il incombe au notaire requis de donner la forme authentique à un acte de prêt d’attirer l’attention de l’emprunteur sur les risques liées à l’absence de souscription de l’assurance décès invalidité et qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1382 ancien devenu 1240 du code civil.
En second lieu, les demandeurs au pourvoi ont rappelé que la charge de la preuve de l’accomplissement de son devoir de conseil incombe au notaire, et non, comme l’a décidé la cour d’appel, au client de l’étude d’avoir à établir que le notaire n’avait pas attiré son attention sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance invalidité décès.
Par un arrêt du 8 janvier 2020 rendu sur le fondement de la responsabilité délictuelle du notaire (C. civ., art. 1240 ; anc. art. 1382), la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel. Les magistrats du quai de l’horloge ont précisé que « le devoir d’information et de conseil du notaire rédacteur d’un acte authentique de prêt lui impose d’informer l’emprunteur sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance décès facultative proposée par le prêteur, la preuve de l’exécution de cette obligation lui incombant » (Civ. 1re, 8 janv. 2020, n° 18-23.948).
Le fondement de la responsabilité extracontractuelle en matière notariale est prédominant. En effet, l’authentification d’actes, au sens large – avec ses prolongements –, entre dans les attributions du notaire en qualité d’officier ministériel et de sa mission d’ordre public. À ce titre, elle participe d’une obligation statutaire dont la méconnaissance est sanctionnée par une responsabilité de nature délictuelle (R. Bigot, Le prolongement de la mission de rédaction d’actes : nouveau critère pour la responsabilité notariale, RLDC 2008/45, n° 2810, p. 16).
Gardien de la sécurité juridique, le notaire authentificateur d’actes est tenu de les imprégner de la plus grande efficacité juridique. Dans cette mission, il doit apporter les renseignements utiles, les informations nécessaires, les conseils de nature à éclairer les parties – toutes les parties, quelle que soit leur qualité ou leurs compétences personnelles, ce qui imprègne le devoir de conseil d’un caractère absolu (Civ. 1re, 22 févr. 2017, n° 16-13.096 ; 13 déc. 2012, n° 11-19.098, Bull. civ. I, n° 258 ; D. 2013. 13 ; AJ fam. 2013. 132, obs. A. Cousin ; RTD civ. 2013. 95, obs. J. Hauser ; ibid. 657, obs. B. Vareille ; 5 avr. 2012, n° 11-15.056, AJDI 2012. 454 ; Civ. 3e, 14 mai 2009, n° 08-12.093, AJDI 2009. 649 ; Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 04-14.487, Bull. civ. I, n° 556 ; D. 2007. 304, obs. I. Gallmeister ; 12 juill. 2005, n° 03-19.321, Bull. civ. I, n° 323 ; 12 juill. 2005, n° 03-19.321, D. 2005. 2340, obs. X. Delpech ; AJDI 2005. 758 ; 4 avr. 2001, n° 98-19.925, Bull. civ. I, n° 104 ; 25 nov. 1997, n° 95-18.618, Bull. civ. I, n° 329 ; 4 juin 1996, n° 94-12.170, Resp. civ. et assur. 1996, comm. n° 325) – et les mettre en garde (Civ. 1re, 4 nov. 2011, n° 10-19.942, D. 2011. 2793 ; AJDI 2012. 52 ) d’éventuels dangers ou risques d’une opération ou d’un montage contractuel, en d’autres termes porter à la connaissance des clients les effets et plus largement la portée de l’acte envisagé (Civ. 1re, 3 mai 2018, n° 16-20.419, D. 2018. 1010 ; AJDI 2019. 228 , obs. J.-P. Borel ; AJ fam. 2018. 401, obs. S. Ferré-André ; RTD civ. 2018. 691, obs. P.-Y. Gautier ).
Autrement dit, il s’agit d’éclairer les clients sur les conséquences de leurs actes (Civ. 3e, 10 juill. 1970, nos 68-13.508 et 68-13.564, Bull. civ. III, n° 484). À cet effet, le notaire devra leur livrer toute information permettant de leur expliquer la nature et la portée de leurs actes ou de leurs engagements (Civ. 1re, 20 juill. 1994, n° 92-16.159, Bull. civ. I, n° 260 ; RTD civ. 1995. 365, obs. J. Mestre ; 28 oct. 1997, n° 95-21.629, Bull. civ. I, n° 300 ; AJDI 1998. 188 ; ibid. 189, obs. G. Teilliais ). Selon une formulation assez détaillée adoptée par la Cour de cassation, les notaires sont ainsi « tenus d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique » (Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 04-14.487, préc.). La doctrine autorisée relève qu’il appartient également à ces officiers ministériels de mettre en garde les clients contre une omission ou une négligence éventuelle (H. Slim, op. cit., n° 438-7).
Il est justement souligné qu’ « il ne peut donner une authenticité à un acte sans avoir, dans le même temps, porté à la connaissance de ses signataires tout ce qui pourrait venir par la suite en perturber sa juste exécution. L’acte efficace est celui qui remplit les objectifs que se sont fixées les parties. C’est la raison pour laquelle la mission du notaire, en sa qualité de rédacteur d’acte, ne peut se borner à donner à l’acte instrumenté une forme écrite (Civ. 1re, 18 mai 2004, n° 01-11.956) : elle s’étend à l’exécution d’un devoir d’efficacité justifiant qu’un devoir de conseil renforcé lui soit imposé, celui-ci ayant pour but de saisir l’occasion de son intervention pour que l’acte soit enrichi de tous les éléments lui permettant de traduire le plus efficacement possible la volonté des parties. Les diverses déclinaisons du devoir de conseil répondent d’ailleurs toujours à ce même objectif d’efficacité : informer, conseiller ou mettre en garde, chacune de ces obligations est censée garantir, dans toute situation, l’expression fidèle, dans l’acte, du but poursuivi par les parties » (M. Hervieu, Être de bon conseil : une lourde tâche pour le notaire, Dalloz étudiant, 25 févr. 2020).
Le potentiel du devoir de conseil des notaires, décortiqué par la doctrine, « inclut incontestablement les obligations substantielles nécessaires à assurer la validité et l’efficacité de l’acte et non pas seulement celles qui leur sont complémentaires et qui visent uniquement à informer ou avertir le client de la portée de l’acte ou de l’existence d’un risque » (C. Biguenet-Maurel, Le devoir de conseil des notaires, préf. J. de Poulpiquet, Defrénois, 2006, n° 450).
Le rédacteur d’actes supporte ainsi le poids, sur chacune de ses épaules, d’une obligation de conseil et d’une obligation d’efficacité « tant technique que pratique », lesquelles sont en définitive indissociables (P. le Tourneau, La responsabilité des professionnels du droit, in La responsabilité. Aspects nouveaux, LGDJ, 2003, p. 421).
Une perte d’efficacité de l’acte dans sa globalité peut dès lors résulter d’un manquement du notaire à son obligation de mise en garde. S’il n’attire pas l’attention, comme en l’espèce, de son client sur les risques que les engagements par lui consentis sont susceptibles de produire, un préjudice peut directement en découler pour ce dernier. Dès lors, l’officier ministériel doit se réserver un rôle plus actif en amont de la formation de l’acte. À tout le moins, s’il n’invite pas l’emprunteur à souscrire à cette assurance qui lui apporterait, ainsi qu’à ses ayants droit, plus de sécurité en aval, le notaire doit-il l’avertir des risques encourus s’il n’entend pas souscrire pareille assurance.
Sur le fond, rappelons que l’assurance d’un prêt immobilier n’est pas obligatoire. Toutefois l’organisme prêteur peut l’exiger, en particulier en ce qui concerne les risques liés au décès, l’incapacité, l’invalidité et la perte totale et irréversible d’autonomie. Néanmoins, l’emprunteur n’est pas obligé de choisir l’assurance proposée par le prêteur.
Sur la forme, une assurance emprunteur peut donc être souscrite soit de façon individuelle, soit de manière collective, par adhésion facultative, où chaque assuré consent à devenir membre du groupe (v. R. Bigot et A. Cayol (dir.), Droit des assurances, Ellipses, 2020, à paraître). Dans ce dernier cas, il s’agit d’un contrat d’adhésion, formé aux conditions prédéfinies dans l’accord-cadre conclu en amont entre l’assureur et le souscripteur. Ce contrat-cadre définit donc les conditions du contrat d’adhésion qui se formera en aval entre l’assureur et chaque adhérent (Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 05-21.822, D. 2008. 1954, obs. X. Delpech , note D. R. Martin ; ibid. 2447, chron. C. Goldie-Genicon ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; ibid. 393, obs. E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2008. 477, obs. B. Fages ; ibid. 478, obs. B. Fages ; Com. 13 avr. 2010, n° 09-13.712, D. 2010. 1208, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 1643, obs. D. R. Martin et H. Synvet ). Avant d’adhérer, les conditions de la garantie doivent être portées à sa connaissance de l’adhérent, de même que doit lui être délivré par la banque tout conseil relatif à l’adéquation de l’assurance envisagée à sa situation personnelle (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, D. 2007. 985 , note S. Piédelièvre ; ibid. 863, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 120, obs. H. Groutel ; ibid. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 319, obs. L. Grynbaum ; RTD com. 2007. 433, obs. D. Legeais ). Lorsque l’acte d’emprunt se retrouve entre les mains d’un notaire aux fins d’authentification, ce dernier se fait le doublon ou le relais avisé des conseils à l’attention des parties.
Côté prêteur, il a été jugé, en matière d’actes de prêts hypothécaires, que bien qu’il n’ait aucunement négocié l’acte, le notaire reste tenu d’aviser des prêteurs sur l’insuffisance ou la faiblesse des garanties acceptées, s’il est en mesure de les connaître ou de les suspecter (Civ. 1re, 26 nov. 1996, n° 94‐18.582, Bull. civ. I, n° 419 ; D. 1997. 7 ; 5 oct. 1999, n° 97‐14.545, Bull. civ. I, n° 258 ; D. 1999. 244 ).
Côté emprunteur, il a été relevé que « lorsque le prêteur propose à l’emprunteur l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit en vue de garantir en cas de survenance d’un des risques que ce contrat définit, soit le remboursement total ou partiel du montant du prêt restant dû, soit le paiement de tout ou partie des échéances dudit prêt, l’article L. 312‐9 du code de la consommation (en vigueur jusqu’au 30 juin 2016, remplacé, à compter du 1er juill. 2016, par l’art. L. 313‐14, nouv., issu de l’ord. n° 2016‐301 du 14 mars 2016, JO 16 mars) précise qu’au contrat de prêt doit être annexé « une notice énumérant les risques garantis et précisant toutes les modalités de la mise en jeu de l’assurance ». Dès lors engage sa responsabilité le notaire qui omet d’annexer ladite notice à un acte de prêt auquel il a prêté son concours dès lors que l’article L. 312‐9 est applicable au prêt en question (Civ. 1re, 14 janv. 2010, n° 07‐22.043) » (H. Slim, op. cit.). Le devoir de conseil du notaire a cependant des racines plus profondes.
Pour exécuter pleinement et de manière circonstanciée son devoir de conseil des parties sur toutes les suites, favorables et défavorables, en particulier celles à haut risque, que peuvent produire l’acte instrumenté, le notaire doit parfois préalablement solliciter de leur part des informations utiles à son efficacité. À cet effet, il doit être en quête de la connaissance de la situation personnelle des clients (Civ. 2e, 2 avr. 2009, n° 07-16.670).
Dans l’affaire sous arrêt, non seulement l’aspect familial de l’entreprise que l’emprunteur dirigeait aurait dû être pris en compte, mais encore l’état de santé de ce dernier. Par conséquent, il était du devoir du notaire d’ « aviser son client de l’adéquation des risques couverts par la banque prêteuse à sa situation personnelle et l’avertir des conséquences, pour les autres membres de la SCI, d’un refus de garantie » (M. Hervieu, op. cit.).
Dès lors, la mention portée à l’acte de prêt de la possibilité de souscription de cette garantie constitue une simple information qui s’avère insuffisante sous l’angle du devoir de conseil (ibid.). Certes, une même obligation de conseil pèse sur l’établissement de crédit (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, préc.). Mais le banquier qui délivre conformément cette information ne libère pas le notaire, dans son rôle statutaire de clef de voûte soutenant l’efficacité juridique de l’opération, de la réitérer et de l’accompagner si nécessaire d’explications et de conseils, puis si besoin d’alerter le client d’un risque que l’acte présente. La présente affaire confirme que l’information ou l’avis qu’un tiers a délivré au client ne dispense pas le notaire de son propre devoir de conseil (Civ. 1re, 26 oct. 2004, n° 03-16.358).
La décision du 8 janvier 2020 illustre enfin parfaitement, après de nombreuses autres, l’intensité du devoir de conseil qui pèse sur le notaire, devoir dont il doit nécessairement se pré-constituer la preuve de la bonne exécution (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 16-19619 ; M. Latina, Le notaire doit prouver qu’il a délivré un conseil concret et adapté à la situation des parties, Defrénois flash 22 oct. 2018, n° 147q0, p. 12). Si cette règle n’est pas nouvelle, elle a pu être différente par le passé. Auparavant, le principe était même interverti. La preuve de la faute notariale incombait à celui qui l’invoque, aux parties ou aux tiers donc (Civ. 1re, 10 juill. 1984, n° 83-11.601, Bull. civ. I, n° 225 ; 28 nov. 1995, n° 93-17.836, Bull. civ. I, n° 436).
Puis la jurisprudence, pour enfin s’adapter à l’obstacle quasi insurmontable pour un tiers ou un client d’établir la preuve d’un fait négatif, en somme de ne pas avoir été informé ou conseillé, a déplacé la charge de la preuve du client demandeur au notaire défendeur (H. Slim, op. cit., n° 438-87).
Par un revirement important, la Cour de cassation a décidé depuis le fameux arrêt Hédreul que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation. Ainsi, il incombe au médecin, tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son patient, de prouver qu’il a exécuté cette obligation (Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685, Bull. civ. I, n° 75 ; D. 1997. 319 , obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre ).
Cette solution a immédiatement été étendue à d’autres professionnels, notamment avocats ou notaires, en leur imposant désormais de prouver le conseil donné (Civ. 1re, 3 févr. 1998, n° 96-13.201, Bull. civ. I, n° 44 ; RTD civ. 1998. 381, obs. P. Jourdain ; ibid. 1999. 83, obs. J. Mestre ; JCP N 1998. 701, obs. J.-F. Pillebout). Avant 1997, la Haute juridiction avait lancé quelques signes avant-coureurs en faisant déjà peser sur le notaire la charge de la preuve d’une mise en garde de ses clients contre les risques encourus (Civ. 1re, 25 juin 1991, n° 89-20.338, Bull. civ. I, n° 212 ; RTD civ. 1992. 758, obs. J. Mestre ).
Il est à présent constant que tout professionnel doit être en mesure d’établir la bonne exécution de son obligation d’information s’il ne veut pas qu’une faute lui soit reprochée à ce titre (Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 04-14.487, préc.). Le professionnel est d’ailleurs le plus à même de pouvoir s’organiser dans cette voie préventive.
La Cour de cassation fait néanmoins montre de souplesse dans le contrôle des moyens de preuve, pouvant être déduits de toute circonstances de la cause (Civ. 1re, 6 juill. 2004, n° 02-20.388). Il est dans tous les cas dans l’intérêt supérieur des notaires, compte tenu de « ce glissement de la charge de la preuve » désormais acquis en droit positif, de « se pré-constituer des preuves permettant d’établir qu’ils ont respecté les obligations qui leur incombent » (H. Slim, op. cit., n° 438-90).
Là aussi, est-il permis de penser que l’option prise par la première chambre civile dans la décision du 8 janvier 2020 « n’est pas la plus mauvaise au plan de la justice distributive. Ne dit-on pas que la règle de droit se construit à partir du choix d’une valeur ? » (M. Beaubrun, L’absolutisme du devoir de conseil du notaire ou le choix d’une valeur, in Mélanges offerts à Jean-Luc Aubert, Dalloz, p. 25 et s., spéc. p. 32).
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