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Responsabilité pénale de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée : la nécessaire recherche de la fraude

La chambre criminelle rappelle qu’en cas de fusion-absorption, la responsabilité pénale de la société absorbante peut être engagée s’agissant de faits commis par la société absorbée, y compris antérieurement au 25 novembre 2020, dans l’hypothèse d’une fraude. Aussi appartient-il au juge de rechercher, y compris d’office, si une telle fraude a été commise.

par Julie Galloisle 11 mai 2022

En l’espèce, en novembre 2014, un homme avait porté plainte avec constitution de partie civile du chef de recel d’abus de biens sociaux, lequel aurait été commis par une société, à l’occasion d’une opération de promotion immobilière qui s’était déroulée à compter de 1991. Le 27 mai 2020, le juge d’instruction, en charge de l’information judiciaire ainsi ouverte, rend toutefois une ordonnance de non-lieu.

La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, dans son arrêt rendu le 21 janvier 2021 confirme l’ordonnance ainsi entreprise au motif que l’action publique se trouve éteinte. En effet, la société poursuivie, qui se serait rendue coupable dudit délit, a fait l’objet d’une fusion ayant consisté en une dissolution sans liquidation et un transfert universel de ses actifs et passifs au profit d’une autre société, actionnaire unique de la société absorbée, le 5 décembre 2005. Ainsi dissoute, la première société n’a plus d’existence juridique, et ce depuis sa radiation au registre du commerce et des sociétés (Crim. 25 oct. 2016, n° 16-80.366, Dalloz actualité, 18 nov. 2016, obs. D. Aubert ; D. 2016. 2606 , note R. Dalmau ; ibid. 2017. 245, chron. G. Guého, L. Ascensi, E. Pichon, B. Laurent et G. Barbier ; ibid. 2335, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 36, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2017. 234, note H. Matsopoulou ; RSC 2017. 297, obs. H. Matsopoulou ; RTD civ. 2017. 399, obs. H. Barbier ; RTD eur. 2017. 336-17, obs. B. Thellier de Poncheville ; BRDA 4/17, n° 1). Dans ces circonstances, l’action publique se trouve éteinte à son encontre ; son comportement infractionnel ne peut donc plus être poursuivi, encore moins condamné à une quelconque peine, à l’instar de l’amende. Ce n’est en effet que dans l’hypothèse où l’amende a été fixée de façon définitive avant la fusion de deux sociétés, bien que non encore soldée, de sorte qu’elle fait partie du passif du patrimoine de la société absorbée, que la société absorbante est tenue de la payer (C. pén., art. 133-1, al. 1er, in fine). Étant précisé que, même dans cette hypothèse, l’absorbante n’est pas pour autant reconnue coupable de l’infraction.

Mais surtout les juges versaillais refusent de considérer que la responsabilité pénale de la société absorbante puisse être recherchée pour des faits de recel d’abus de biens sociaux commis par la société absorbée. Ils jugent en effet que la partie civile appelante ne pouvait leur demander « de retenir une nouvelle interprétation de la responsabilité pénale des personnes morales au regard des réalités économiques de la fusion-absorption et du fait qu’elle peut constituer un moyen pour une société d’échapper aux conséquences des infractions qu’elle aurait commises ».

Pour eux en effet, « une telle interprétation ne saurait […], sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique garanti par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, s’appliquer à une opération conduite en 1991, suivie d’une fusion-absorption à une date où seule l’interprétation classique de la responsabilité pénale des personnes morales pouvait être envisagée par les acteurs et bénéficiaires de cette opération économique ». Prenant appui sur le principe de prévisibilité, la chambre de l’instruction écarte l’application du revirement de jurisprudence intervenu le 25 novembre 2020. Dans cette retentissante décision, la Cour de cassation, tout en reconnaissant la possibilité, en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive 2011/35/UE du 5 avril 2011, relatif aux fusions internes de sociétés anonymes, de condamner pénalement la société absorbante à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération » (Crim. 25 nov. 2020, n° 18-86.955, Dalloz actualité, 10 déc. 2020, obs. J. Gallois ; D. 2021. 167 , note G. Beaussonie ; ibid. 161, avis R. Salomon ; ibid. 379, chron. M. Fouquet, A.-L. Méano, A.-S. de Lamarzelle, C. Carbonaro et L. Ascensi ; ibid. 477, chron. F. Dournaux ; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2020. 576, note D. Apelbaum et A. Battaglia ; Rev. sociétés 2021. 79, étude B. Bouloc ; ibid. 115, note H. Matsopoulou ; RSC 2021. 69, obs. P. Beauvais ; ibid. 525, obs. D. Zerouki-Cottin ; RTD civ. 2021. 133, obs. H. Barbier ; RTD com. 2020. 961, obs. L. Saenko ; ibid. 2021. 142, obs. A. Lecourt ; JA 2020, n° 630, p. 3, édito. B. Clavagnier), réservait effectivement cette hypothèse uniquement aux opérations de fusions-absorptions réalisées à compter de son prononcé.

Il est souvent reproché à la Cour de cassation, lorsqu’elle fait usage de son pouvoir créateur, les incertitudes ou les divergences de sa jurisprudence, rendant le droit difficilement prévisible. Or, à l’époque des faits, et jusqu’à cette décision de 2020, la chambre criminelle faisait une interprétation exactement inverse de l’article 121-1 du code pénal de sorte que les justiciables personnes morales pensaient pouvoir recourir sans risque pénal à une opération de fusion-absorption. Aussi, la chambre criminelle a décidé de moduler dans le temps les effets de son revirement en jugeant que « cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020, date de prononcé de l’arrêt, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme » et ainsi en conformité avec la jurisprudence européenne selon laquelle l’application rétroactive d’un revirement imprévisible de jurisprudence in defavorem méconnaît le...

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