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Restitutions durant l’instruction : à quelles conditions ?

L’arrêt rapporté vient enrichir le contentieux des restitutions durant l’instruction en apportant d’intéressantes précisions.

par Dorothée Goetzle 8 novembre 2019

En l’espèce, une société exerçant une activité de promotion immobilière a dénoncé les agissements de son directeur administratif et financier. Ce dernier, au moyen de comptes bancaires ouverts au nom de son employeur mais non enregistrés en comptabilité, aurait détourné des fonds pour un montant total de 12 601 723 €. Avec cette somme, il aurait ensuite fait construire et aménager un bien immobilier, acquis un autre bien au profit de ses beaux-parents et souscrit des contrats d’assurance-vie. Durant l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention (JLD) autorisait le procureur de la République à saisir, en valeur, le solde créditeur de dix-huit comptes bancaires et contrats d’assurance-vie ainsi que plusieurs biens immobiliers. Après autorisation du JLD, un de ces biens était vendu au prix de 850 000 €. Cette somme était consignée par le notaire sur un compte de la Caisse des dépôts et consignation. L’intéressé était mis en examen des chefs d’escroquerie, abus de confiance et blanchiment tandis que son épouse l’était du chef de recel de ces délits.

La société se constituait partie civile et sollicitait la restitution des fonds saisis sur les comptes bancaires et les contrats d’assurance-vie ainsi que de ceux résultant de la vente du bien immobilier. En effet, les objets placés sous main de justice peuvent être restitués au cours de l’information (C. pr. pén., art. 99, al. 1er). C’est alors le juge d’instruction qui est compétent pour décider de la restitution (C. pr. pén., art. 99, al. 1er). En l’espèce, ce magistrat s’opposait aux demandes de restitution. Sur appel de la partie civile, la chambre de l’instruction confirmait l’ordonnance de refus rendue par le magistrat instructeur. Cette juridiction est en effet compétente pour examiner le recours contre une ordonnance refusant une restitution, même formé postérieurement à l’ordonnance de règlement, dès lors qu’il a été formé dans le délai prévu par l’alinéa 4 de l’article 186 du code de procédure pénale (Crim. 30 avr. 2002, n° 01-84.750, Bull. crim. n° 93).

Dans son pourvoi en cassation, la partie civile faisait valoir qu’en l’absence de l’un des motifs de non-restitution visés par l’article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale, la restitution des biens dont elle était propriétaire s’imposait. Elle considérait que le caractère fongible des biens dont la restitution était sollicitée ne faisait pas obstacle à leur restitution puisqu’ils ne pouvaient pas être confondus avec d’autres de la même espèce. Ensuite, elle reprochait aux juges du fond de s’être bornés à constater l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de l’ancien directeur administratif et financier pour faire obstacle à la restitution des fonds saisis sur des comptes dont étaient titulaires son épouse et ses enfants.

Pour justifier le rejet du pourvoi, la chambre criminelle commence par revenir sur les principaux arguments avancés par les juges du fond. En effet, la juridiction d’instruction doit motiver le refus de restitution (Crim. 6 févr. 1997, n° 96-83.462 P, Gaz. Pal. 1997. 1. 183, note Damien). En l’espèce, pour confirmer l’ordonnance de refus de restitution, les juges du fond avaient visé les dispositions du quatrième alinéa de l’article 99 du code de procédure pénale et avaient rappelé que les mis en examen encouraient la peine de confiscation. Cette précision est importante car, au cours de l’information, la juridiction d’instruction ne peut refuser de restituer un objet placé sous main de justice que pour l’un des motifs prévus par l’article 99 du code de procédure pénale (Crim. 5 oct. 1999, n° 98-87.593 P, D. 2000. 385 , obs. M.-C. Amauger-Lattes ; 10 sept. 2002, n° 01-87.573 P, D. 2002. 2849 ; JCP 2002. IV. 2888). Parallèlement, les juges du fond avaient souligné que le mis en examen faisait l’objet d’une procédure collective qui interdisait tout paiement direct aux créanciers.

Les hauts magistrats partagent ces arguments qu’ils confortent, dans leur motivation, par d’intéressantes précisions. En effet, ils soulignent que la victime d’escroquerie et d’abus de confiance ne peut être considérée comme propriétaire des fonds qui en sont le produit au sens de l’article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale, lorsque ceux-ci ont été déposés sur un compte bancaire ou versés à titre de primes d’un contrat d’assurance-vie ouverts au nom de la personne mise en examen ou de membres de sa famille. Ensuite, ils relèvent que la mise en liquidation judiciaire de la personne poursuivie ne s’oppose pas à son éventuelle condamnation à une peine de confiscation et à une mesure préalable de saisie destinée à garantir l’exécution de celle-ci. La nature de la confiscation, qui n’est pas une action en paiement, fait toutefois nécessairement obstacle à toute demande de restitution au stade de l’information.

Avant de rejeter le pourvoi, la chambre criminelle livre un ultime attendu, témoin de son souci de préserver les droits de la partie civile. Les hauts magistrats précisent en effet que les droits de la partie civile qui a bénéficié d’une décision définitive lui accordant des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait d’une infraction pénale sont préservés par la faculté dont elle dispose, en application de l’article 706-164 du code de procédure pénale, d’obtenir de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur dont la confiscation résulte d’une décision définitive (v. Rep. pén, Restitution, par O. Violeau).

Ainsi, cet arrêt rappelle qu’en matière de restitutions, il appartient au juge d’instruction d’examiner les éléments fournis par l’information et d’apprécier souverainement, au vu de ces éléments et compte tenu de l’état de la procédure, s’il y a lieu ou non de faire droit à la demande (Crim. 11 déc. 1973, n° 73-91.525, Bull. crim. n° 459 ; 3 juill. 1987, n° 85-95.826, Bull. crim. n° 283). En l’espèce, deux arguments s’y opposaient : l’absence de qualité de propriétaire des fonds de la partie civile, ces fonds ayant été déposés sur des comptes bancaires, et la mise en liquidation judiciaire de la personne poursuivie. Cet arrêt s’ajoute donc aux cas de refus de restitutions et se rapproche notamment du cas dans lequel une chambre de l’instruction avait refusé de restituer un navire ayant servi au transport de stupéfiants au motif de l’existence d’un doute sur le propriétaire du bâtiment (Crim. 5 janv. 2010, n° 09-81.949 P, AJ pénal 2010. 194, obs. G. Roussel ; Dr. pénal. 2010, n° 68, note M. Véron ; Procédures 2010, n° 162, obs. J. Buisson).