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Restrictions au droit du majeur en curatelle de se marier conformes à la Convention européenne

Le droit des majeurs protégés est décidément mis à l’épreuve du droit international. Après les réserves exprimées quant à sa conformité à l’article 12 de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH, 12 déc. 2006), c’est à présent l’adéquation à l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme de l’article 460, alinéa 1er, du code civil, soumettant le mariage du majeur en curatelle à l’autorisation du curateur ou, à défaut du juge des tutelles, qui se trouve propulsée sur le devant de la scène juridique. 

par Nathalie Peterkale 15 novembre 2018

L’affaire est connue pour avoir été portée, à deux reprises, devant les plus hautes juridictions françaises. En l’espèce, un homme âgé de 72 ans avait été placé en curatelle renforcée pour une durée de cinq ans, à la demande de sa fille adoptive. Quelques mois plus tard, il avait demandé au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en charge de la mesure de protection, l’autorisation de se marier avec une femme qu’il connaissait depuis quinze ans, devenue sa compagne un an avant son placement en curatelle. Entendu ensemble puis séparément par la curatrice, le couple lui avait fait part des motivations religieuses qui fondaient son désir de se marier. La curatrice y opposa néanmoins un refus au motif qu’elle connaissait le curatélaire depuis peu de temps et ne disposait pas du recul suffisant pour autoriser ce mariage. Le majeur protégé saisit alors le juge des tutelles en application de l’article 460, alinéa 1er, du code civil. Après avoir ordonné une enquête sociale et une expertise médicale, celui-ci rejeta la demande de la personne protégée en retenant que, si l’attachement de cette dernière à sa compagne était incontesté, un tel attachement s’avérait insuffisant, au regard des conclusions de l’enquête sociale et de l’expertise médicale, pour autoriser le mariage. L’enquête avait relevé que le curatélaire, qui souffrait d’alcoolisme, n’avait pas cessé de boire, qu’il ne recherchait dans le mariage qu’« une sécurité plus importante » pour éviter « une fin de vie solitaire » et que des considérations financières se trouvaient à l’origine d’un grave conflit entre la fille du majeur et sa compagne. En appel, les juges du second degré confirmèrent cette décision, en observant que, si le curatélaire avait manifesté à plusieurs reprises le souhait d’épouser sa compagne, les troubles dont il souffrait avaient perturbé son jugement. La cour d’appel s’était fondée pour parvenir à cette conclusion sur les certificats médicaux, lesquels soulignaient tout à la fois l’aptitude du majeur protégé à consentir à son mariage et son incapacité à en mesurer les conséquences patrimoniales. Devant la Cour de cassation, le majeur en curatelle posa une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur la conformité de l’article 460, alinéa 1er au regard du principe de la liberté du mariage. Saisie par la Haute juridiction, le Conseil constitutionnel déclara le texte conforme à la Constitution, au motif qu’il n’interdit pas le mariage mais le permet avec l’autorisation du curateur, dont le refus peut être soumis au juge des tutelles lequel doit se prononcer, après débat contradictoire, par une décision motivée elle-même susceptible de recours. Les magistrats de la rue Montpensier relevèrent, en outre, à l’appui de la constitutionnalité du texte, qu’eu égard à ses conséquences personnelles et patrimoniales, le mariage est un acte important de la vie civile, si bien que les restrictions qu’y apporte l’article 460, alinéa 1er, ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté de se marier (Cons. const., 29 juin 2012, n° 2012-260 QPC, D. 2012. 1675 ; ibid. 1899, point de vue G. Raoul-Cormeil ; ibid. 2699, obs. D. Noguéro et J.-M. Plazy ; ibid. 2013. 1089, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2012. 463, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2012. 510, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2012. Comm. 148, obs. I. Maria ). Par un arrêt du 5 décembre 2012 (Civ. 1re, 5 déc. 2012, n° 11-25.158, D. 2012. 2964 ; ibid. 2013. 1089, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2013. 61, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2013. 93, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2013. Comm. 14, obs. I. Maria), la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le curatélaire, au motif que, d’une part, l’article 460, alinéa 1er avait été déclaré conforme à la Constitution et, d’autre part, la cour d’appel avait légalement motivé sa décision en analysant les certificats médicaux et l’ensemble des pièces du dossier pour en déduire souverainement que le majeur en curatelle n’était pas en mesure de donner un consentement éclairé son mariage. À la suite de cette décision, celui-ci saisit la Cour européenne des droits de l’homme, en invoquant la violation de l’article 12 de la Convention.

Se posait, en conséquence, la question de savoir si les dispositions de l’article 460, alinéa 1er, du code civil, qui subordonnent le mariage du majeur en curatelle à l’autorisation du curateur ou, à défaut, du juge des tutelles, sont contraires à la liberté du mariage telle qu’elle est protégée la Convention. Ainsi que l’observe la juge Nussberger dans son opinion dissidente, l’interrogation conduit à rechercher si la volonté de la personne protégée de se marier peut être écartée au nom de la protection de ses intérêts et jusqu’où cette protection peut-elle aller. Pareille réflexion revêt, bien sûr, une acuité toute particulière toutes les fois que, comme en l’espèce, la réalité du consentement et la constance de la volonté du majeur sont vérifiées. Elle prend une importance cruciale à l’aune du rapport du Défenseur des droits suggérant d’abandonner le paradigme de la protection de l’intérêt supérieur et objectif de la personne vulnérable au profit de celui du respect de ses choix et de ses préférences (Défenseur des droits, La protection des majeurs vulnérables, sept. 2016) et du récent rapport de la mission interministérielle sur la protection des personnes vulnérables, suggérant la mise en place d’un cadre juridique plus respectueux de leurs droits (A. Caron-Déglise, Rapport de mission interministérielle. L’évolution de la protection juridique des personnes, sept. 2018). Une telle amélioration passe notamment, selon le rapport, par la suppression des « autorisations préalables actuellement prévues pour le mariage ou la conclusion d’un pacte civil de solidarité et (la reconnaissance du) droit pour la personne protégée d’en décider seule, sauf à prévoir la possibilité pour la personne en charge de la mesure de protection, de s’opposer à un tel projet lorsqu’il apparaît que la personne protégée est, à cette occasion, victime d’un abus (Rapp. préc. prop. n° 9).

Dans sa décision du 25 octobre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme rejette, pourtant, le grief d’inconventionnalité de l’article 460, alinéa 1er, du code civil au regard de l’article 12 de la Convention. La Cour souligne, d’abord, que la liberté du mariage, protégé par ce texte, ne fait pas l’objet, contrairement à la protection de la vie privée et familiale organisée par l’article 8 de la Convention, d’un contrôle de proportionnalité. Il s’agit seulement de rechercher, ici, si l’ingérence de l’État, compte tenu de la marge d’appréciation qui lui est laissée, est arbitraire ou disproportionnée. Elle en déduit, ensuite, que l’article 460, alinéa 1er ne traduit pas une telle ingérence, dans la mesure où il vise à protéger la personne, privée d’une partie de sa capacité juridique, contre un projet contraire à ses intérêts. De plus, les restrictions au droit de se marier font l’objet d’un contrôle juridictionnel.

Si elle illustre, sans doute, le souci de concilier la préservation des intérêts de la personne protégée et le respect de sa volonté, la solution de la Cour n’en fait pas moins très nettement prévaloir la première sur le second. Or, ainsi que l’observe très justement la juge Nussberger, « le point de départ de l’analyse doit être la volonté clairement exprimée par le requérant d’épouser une amie de longue date ». Cette volonté, qui n’était pas contestée en l’espèce, a été sacrifiée à la faveur de la protection de ses intérêts financiers, voire de ceux de son héritière présomptive. Pareil résultat dénote une pratique paternaliste, peu respectueuse des droits fondamentaux de la personne protégée. En effet, d’une part, la protection doit être inféodée aux seuls intérêts du majeur vulnérable et non à ceux de tiers, fussent-ils ses proches. Elle ne saurait se retourner contre la personne protégée, en mettant obstacle à l’exercice d’un droit éminemment personnel et de ses convictions religieuses. D’autre part, la protection du patrimoine de la personne désireuse de se marier peut emprunter, dans biens des cas, des voies moins radicales – et moins infantilisantes – que celle d’un refus d’autorisation au mariage. Il incombe, en effet, au curateur, dans le cadre de sa mission d’assistance et de contrôle et de son obligation d’information de la personne protégée (C. civ., art. 457-1), d’accompagner celle-ci pour le choix d’un régime matrimonial approprié à sa situation et à celle de son conjoint ainsi que pour la préservation de ses comptes bancaires d’éventuelles atteintes de son époux et, le cas échéant, d’alerter le juge des tutelles et le procureur de la République en cas d’abus. De lege ferenda, il serait souhaitable, si l’exigence de l’autorisation préalable du curateur ou du juge des tutelles était abrogée, de « rendre obligatoire », ainsi que le suggère le rapport de la mission interministérielle, « la conclusion d’un contrat de mariage soumis à la vérification du juge dans les cas où un dispositif de représentation a été décidé par lui » (Rapp. préc., prop. n° 10). Reste à déterminer quel sera l’avenir de ces propositions. Le Sénat a rejeté, en première lecture, les amendements introduits par la Chancellerie au projet de loi de programmation pour la justice à la suite du rapport, visant à la déjudiciarisation du mariage et du PACS ainsi que du droit de vote du tutélaire. Formons le vœu que l’arrêt Delecolle c/ France ne contribue pas à freiner, lui aussi, ces évolutions.