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Retard d’accès au droit à un avocat en raison de l’absence de comparution dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen : non-conformité du droit espagnol

Les États membres de l’Union européenne ne peuvent créer de dérogations supplémentaires à celles prévues par le droit de l’Union concernant le droit à l’assistance d’un avocat pour la personne sous le coup d’un mandat d’arrêt européen.

par Alice Roquesle 30 avril 2020

La directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, et notamment son article 3, § 2, lue à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, selon laquelle le bénéfice du droit d’accès à un avocat peut, au cours de la phase préalable au procès pénal, être retardé en raison de l’absence de comparution du suspect ou de la personne poursuivie, et ce à la suite d’une citation à comparaître délivrée devant un juge d’instruction, jusqu’à l’exécution du mandat d’arrêt national émis contre l’intéressé.

Le litige portait en l’espèce sur l’interprétation jurisprudentielle de dispositions de droit espagnol.

Le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution espagnole garantit que « toute personne a droit à la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts, sans qu’il puisse jamais être porté à ses droits de la défense ». Ce sont ensuite les articles 118 et 527 du code de procédure pénale espagnol qui viennent régir le droit à l’assistance d’un avocat.

Ces dispositions sont interprétées par la Cour constitutionnelle et la Cour suprême espagnole, en ce sens que le droit d’accès à un avocat peut dûment être retardé si le suspect ou la personne poursuivie ne comparaît pas à la première citation du juge et qu’un mandat d’arrêt, européen ou international, est émis. L’accès à l’avocat et son intervention dans la procédure sont retardés jusqu’à ce que le mandat soit exécuté et le suspect conduit par la force publique devant le juge. Ainsi, selon la jurisprudence espagnole, le droit à l’assistance d’un avocat est subordonné à l’obligation, pour la personne mise en cause, de comparaître en personne devant le juge. Le bénéfice d’un tel droit pourrait être refusé lorsque cette personne est absente ou impossible à localiser. Selon cette jurisprudence, la comparution personnelle de l’intéressé serait donc considérée comme une obligation.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie de la question de la conformité de cette jurisprudence aux articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, notamment, 3 de la directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires.

L’article 3 de la directive 2013/48/UE prévoit que « les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective ». Il prévoit en outre que ce droit est ouvert au suspect ou à la personne poursuivie sans retard indu et à partir de la survenance du premier en date des quatre événements visés sous le paragraphe 2.

L’article 3 prévoit également des dérogations au droit d’accès à un avocat. Les paragraphes 5 et 6 disposent que, dans des circonstances exceptionnelles et au cours de la phase préalable au procès pénal uniquement, les États membres peuvent déroger temporairement :

• « à l’application du paragraphe 2, point c), lorsqu’il est impossible, en raison de l’éloignement géographique d’un suspect ou d’une personne poursuivie, d’assurer le droit d’accès à un avocat sans retard indu après la privation de liberté » ;

• « à l’application des droits prévus au paragraphe 3 dans la mesure où cela est justifié, compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, sur la base d’un des motifs impérieux suivants :
a) lorsqu’il existe une nécessité urgente de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne,
b) lorsqu’il est impératif que les autorités qui procèdent à l’enquête agissent immédiatement pour éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale ».

La CJUE considère qu’il ressort de l’économie et des objectifs de la directive 2013/48/UE que les dérogations temporaires que les États membres peuvent prévoir sont énumérées de manière exhaustive. Elle ajoute qu’interpréter l’article 3 de la directive 2013/48/UE comme permettant aux États membres de prévoir d’autres dérogations au droit d’accès à un avocat que celles limitativement énumérées priverait ce droit de son effet utile.

La Cour constate que le bénéfice du droit à l’assistance d’un avocat ne dépend pas, selon la directive, de la comparution de l’intéressé. Elle estime, d’autre part, que l’absence de comparution du suspect ou de la personne poursuivie ne fait pas partie des motifs dérogatoires prévus par les paragraphes 5 et 6 de l’article 3 de la directive 2013/48/UE et ne saurait justifier une atteinte à ce droit.

La CJUE en conclut que « la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, et notamment son article 3, § 2, lue à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, selon laquelle le bénéfice du droit d’accès à un avocat peut, au cours de la phase préalable au procès pénal, être retardé en raison de l’absence de comparution du suspect ou de la personne poursuivie, et ce à la suite d’une citation à comparaître délivrée devant un juge d’instruction, jusqu’à l’exécution du mandat d’arrêt national émis contre l’intéressé ».

En jugeant la dérogation espagnole non conforme et en précisant le caractère exhaustif de la liste dérogatoire, la Cour de justice de l’Union européenne prévient les États membres : les dérogations au droit d’accès à un avocat autres que celles prévues par les paragraphes 5 et 6 de l’article 3 de la directive 2013/48/UE ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne.