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Les réticences du milieu judiciaire face aux legaltechs

Une recherche a souhaité étudier comment le numérique transforme le droit et la justice. Pour cela elle a croisé une analyse des outils numériques existants, s’est interrogée sur leur encadrement juridique mais a également questionné magistrats et promoteurs des legaltechs.

par Pierre Januelle 23 juillet 2019

La justice prédictive n’existe pas

Cette recherche, publiée sous l’égide la Mission Droit et Justice a été conduite par trois chercheurs : Lêmy Godefroy, Maître de conférences HDR en droit, Frédéric Lebaron, Professeur en sociologie, et Jacques Lévy-Vehel président de Case Law Analytics.

Le rapport rejette tout d’abord l’expression « justice prédictive » (Dalloz actualité, 15 avr. 2019, obs. T. Coustet ). Et derrière cette impossibilité une crainte : que la machine dise un jour le droit.

La recherche présente différents outils numériques et leur application à certains contentieux. Elle se penche, entre autres, sur les préjudices corporels. Parmi ses résultats, elle montre que les petites cours d’appel sont globalement moins généreuses que les plus grandes. Autre calcul : l’impact du montant proposé par l’assureur sur l’indemnisation accordée. Une approche mathématique montre que l’assureur n’a souvent pas intérêt à proposer une indemnisation nulle.

Les magistrats plutôt ouverts

L’étude s’est penchée sur ce que pensent les magistrats sur les modes algorithmiques d’analyse des décisions (MAAD). 67 des 197 magistrats sollicités ont répondu. Loin d’être des opposants, 85 % des répondants ont un avis globalement favorable. Seuls 10 % sont défavorables, et 5 % considèrent le mouvement de toute façon inéluctable. Parmi ses aspects positifs, les MAAD affineraient les actuels barèmes (Dalloz actualité, 31 mai 2019, art. P. Januel isset(node/195952) ? node/195952 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195952) et insuffleraient un sentiment de plus grande sécurité juridique. Gage d’une plus grand prévisibilité, ils favoriseraient également les règlements alternatifs des différends.

Parmi les craintes, le risque d’un effet performatif et du conformisme est exprimé par 40 % des magistrats. De manière unanime, les magistrats considèrent que ces outils ne doivent pas se substituer au juge : cela entraînerait la déshumanisation de la justice, la rupture du dialogue avec les justiciables et la privatisation du règlement des litiges.

D’où aussi une volonté de restreindre le champ d’application de ces outils aux « contentieux où des évaluations pertinentes pourraient être opérées à partir de critères connus et identifiables ». Ils permettraient alors d’éviter les disparités flagrantes d’indemnisation et de sécuriser les juges. Outre le contentieux de la réparation des préjudices corporels sont cités les préjudices économiques, les pensions alimentaires, l’article 700 du code de procédure civile ou les indemnités de licenciement.

Des garanties sont proposées : que les résultats des algorithmes soient versés au débat judiciaire, comme d’autres éléments, que la motivation soit renforcée et que la justice soit rendue collégialement. Pour les magistrats interrogés, il importe aussi « que les MAAD soient encadrés par les services du ministère de la Justice » (Dalloz actualité, 13 juill. 2018, obs. T. Coustet isset(node/191614) ? node/191614 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>191614). 83 % des magistrats s’opposent aussi à tout restriction de l’appel.

Qui sont les legaltech ?

Selon l’Observatoire de la legaltech et des start-up du droit, 150 structures environ étaient recensées en avril 2019. Une série d’entretiens a été réalisée par la mission auprès d’acteurs des start-up françaises. L’enquête note que si le marché le plus fréquemment cité pour les entreprises de legaltech recensées est celui des avocats (63 %), le chiffre d’affaires que représentent les professionnels de l’assurance ou les directions fiscales des entreprises dans le domaine de l’optimisation fiscale, semblent plus volumineux. Seuls 3 % des entreprises recensées par l’Observatoire se revendiquent de la « justice prédictive », alors que 13 % évoquent l’intelligence artificielle et 6 % le Machine Learning.

La définition de la notion de justice prédictive diffère sensiblement entre les acteurs. Mais une unanimité se fait autour du conservatisme du monde judiciaire (Dalloz actualité, 27 oct. 2017, obs. A. Portmann isset(node/187342) ? node/187342 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187342). Parmi les propos rapportés : « Les algorithmes, c’est juste un outil d’aide à la décision. C’est vrai que c’est un peu bizarre en droit, parce que les gens font tout un plat, mais ce sont des démarches qui sont appliquées dans quasiment tous les domaines, quoi. À part le droit ». « Ils ont vraiment peur que ça leur pique leur travail ».

Deux enseignements : tout en autant que les outils, ce qui importera sera leur appropriation par les acteurs du droit. De plus, si d’importantes forces de changement sont déjà à l’œuvre, elles reposent plutôt sur des acteurs subalternes ou périphériques au champ juridique, l’enquête soulignant le caractère atypique de leurs trajectoires (Dalloz actualité, 20 févr. 2019, obs. A. Bolze isset(node/194568) ? node/194568 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194568).